De quels morts s’agit-il en 1 Pierre 4.6 ?

 

 

Par François-Jean Martin

 

 

C’est pour cela, en effet, que les morts aussi ont été évangélisés, afin qu’après avoir été jugés selon les hommes quant à la chair, ils vivent selon Dieu quant à l’esprit. (Traduction Segond révisée dite à la Colombe)


C’est pour cela d’ailleurs que la Bonne Nouvelle a aussi été annoncée à ceux qui maintenant sont morts, afin qu’après avoir subi la même condamnation que tous les hommes dans leur corps, ils vivent selon Dieu par l’Esprit. (Traduction Bible du Semeur).

 

 

À qui et quand l’Évangile a-t-il été prêché ?

 

Selon Alfred KUEN , cette affirmation a été interprétée de 5 manières différentes :

 

Certains y voient une référence à la descente du Christ aux enfers pour prêcher l’Évangile à tous les morts, c’est-à-dire à ceux qui ne l’ont jamais entendu, ou même à ceux qui l’ont rejeté pendant leur vie.

 

Les morts seraient les croyants de l’Ancienne Alliance qui devaient attendre la venue du Messie pour qu’il leur prêche l’Évangile. Les défenseurs de cette vue s’appuient sur leur interprétation de 3.19. Mais la formulation de ces deux versets est très différente et, d’après Hé 11.5, 16, 40 ; 12.23 et le récit de la transfiguration, les croyants de l’AT sont au ciel. Ceux qui sont morts avant la venue du Christ et qui n’ont, par conséquent, jamais entendu l’Évangile bénéficieraient de cette annonce dans l’au-delà. Cette opinion s’appuie aussi sur une certaine interprétation de 3.19 : le Christ leur aurait prêché l’Évangile en même temps qu’aux « esprits en prison »1.

 

Ainsi, ces trois interprétations disent que Jésus est descendu aux enfers, prêcher l’Évangile aux morts. De telles interprétations s’appuient sur une compréhension de deux textes : il est descendu dans les régions inférieures de la terre (Ep 4.9) et il est descendu dans l’abîme (Rm 10.7). Aucun de ces versets n’appuie en fait l’idée d’une descente aux enfers. Les « régionsinférieures de la terre » sont simplement celles de notre Terre, elles sont « inférieures » par rapport à celles du ciel, d’où Jésus est « descendu » lors de son incarnation (puisqu’à cette « descente » est opposée l’ascension du Christ, de cette terre au ciel). Dans Rm 10.7, Paul veut dire qu’il est inutile de monter au ciel ou de descendre dans l’abîme pour apprendre quelque chose de Dieu, car la parole est près de toi, c’est la parole de la foi que nous annonçons.1 Pierre 3.18ss n’appuie pas non plus cette interprétation, car il s’agit de la prédication que Jésus a faite par son Esprit au travers de Noé à la génération d’avant le déluge. Cette interprétation est aussi contredite par Lc 16.26 et par Hé 9.27 qui ne laissent aucune perspective de repentance après la mort.

 

En outre, en 1 Pierre 4.6, la tournure impersonnelle de l’expression à la forme passive – l’Évangile a été annoncé – ne conviendrait guère à une annonce de cet Évangile par le Christ. Mais elle désigne plutôt la proclamation du message évangélique dans le monde par les chrétiens et, par conséquent, ceux à qui ce message a été annoncé étaient alors encore au nombre des vivants. Ces passages étant clairs, nous repoussons donc cette interprétation.

 

Clément d’Alexandrie a suggéré que l’Évangile a été annoncé à ceux qui sont spirituellement morts (cf. Jn 5.25 ; Ep 2.1, 5 ; 5.14 ; Col 2.13). Augustin, Bède, Érasme et Luther ont adopté cette interprétation. Cependant, l’objection vient du v. 5 : comment expliquer que Pierre emploie le mot « morts » avec deux sens différents dans deux versets qui se suivent ? D’autre part, comme l’Évangile continue à être annoncé aux « spirituellement morts », il aurait fallu employer le présent et non l’aoriste (passé).

 

Beaucoup d’interprètes contemporains disent qu’il s’agit de chrétiens qui ont entendu l’Évangile pendant qu’ils étaient en vie, qui l’ont accepté et qui, maintenant, sont morts. C’est ce qui a amené les versions NIV2 et BS à insérer le mot « maintenant » avant « morts ». C’est l’interprétation qui soulève le moins d’objections.

 

Le grand exégète F.F. Bruce la soutient comme suit3 : « Je pense qu’il ne s’agit pas de gens qui étaient morts lorsqu’on leur a prêché, mais qui étaient morts au moment où l’épître a été écrite. Ils ont entendu l’Évangile, ils ont cru et, par la suite, ils sont morts. On pouvait alors se demander : Quel bien l’Évangile leur a-t-il fait puisqu’ils sont morts comme tous les non-croyants ? Pierre répond que les morts qui ont cru ne sont pas privés du bénéfice de l’Évangile. Alors que, selon les hommes (c.-à-d. du point de vue des hommes), ils sont jugés dans la chair (c’est-à-dire qu’ils ont souffert la mort, salaire du péché), selon Dieu (c’est-à-dire du point de vue de Dieu) la vie spirituelle qu’ils ont reçue lorsqu’ils ont cru l’Évangile ne finit pas avec la mort du corps, mais dure éternellement. » Cette pensée doit rassurer les chrétiens auxquels Pierre écrit : leurs frères et soeurs qui ont cru en Christ et qui sont morts n’ont pas cru en vain. La mort de chrétiens troublait les croyants du 1er siècle. Paul avait dû rassurer ceux de Thessalonique au sujet de leur sort (1 Th 4.13-18). Les moqueurs se servaient certainement de cet argument pour ridiculiser l’espérance des chrétiens. Ainsi, l’intention de Pierre serait de répondre à cette objection : que sert-il aux chrétiens d’avoir embrassé l’Évangile, de l’avoir professé fidèlement malgré les persécutions, puisqu’ils sont morts avant le retour du Christ (cf. 1 Th 4.13ss ; 1 Co 15.12, 29ss). Pierre répond que les chrétiens peuvent attendre avec espérance le jugement suprême, où justice leur sera rendue.

 

Cette solution a un très grand avantage, elle nous laisse en territoire connu, elle est en cohérence avec les autres textes : l’Évangile a été annoncé à des hommes et des femmes morts depuis. J.-C. Margot évoque aussi cette interprétation. « Ces morts seraient des membres de l’Église dont la première génération chrétienne s’étonnait qu’ils soient décédés avant le retour du Christ (cf. 1 Th 4.13) : la réponse serait que, puisqu’ils ont accepté l’Évangile, la vie éternelle leur est assurée. »

   LE PARADIS – J BRUEGEL 1

Pour répondre aux objections des moqueurs, Pierre déclare que les bienfaits que nous acquiert l’Évangile demeurent au-delà de la tombe. Si les croyants ont subi la même condamnation que tous les hommes dans leur corps (version BS), c’est-à-dire la mort physique qui est le salaire du péché commun à toute l’humanité, la vie qui leur a été conférée par le Christ est une vie éternelle, c’est-à-dire qu’elle dure pour toujours.

 

 

Conclusion

 

Je me permets de citer Samuel BÉNÉTREAU, qui résume ainsi l’interprétation de ce texte : « Ainsi se dégage une ligne globale d’interprétation pour ce verset d’abord ingrat, mais qui achève sur une note joyeuse la méditation sur la souffrance injuste et son rapport avec l’amour de la vie articulée sur le psaume 34. Les promesses de Dieu, tout comme ses droits, sont réaffirmées. La finalité de la proclamation de l’Évangile demeure au-delà des misères du temps présent et de la mort elle-même. Au plan de l’existence visible et pour des observateurs superficiels, les croyants sont des perdants et des condamnés non réhabilités. Mais sur un autre plan, celui de l’authentique, du permanent, du lumineux, ils sont appelés, il ne faut pas en douter, à partager la pleine victoire de leur Seigneur, victoire de la vie sur la mort : ce sont des gagnants ! C’est avec cette conviction que des prédicateurs ont autrefois porté la bonne nouvelle aussi aux frères maintenant défunts. »

 

 


F-J. M.


NOTES

 

1. On consultera avec profit la série Encyclopédie des difficultés bibliques A. KUEN, Éd. Emmaüs, qui recense toutes les interprétations qui ont été faites sur ces textes. Le présent texte est redevable au tome 3 de cette encyclopédie qui aborde le texte que nous étudions. Je comprends 1 Pierre 3.19 comme : l’Esprit du Christ aurait déjà prêché aux contemporains de Noé par l’intermédiaire de Noé lui-même. Leur emprisonnement correspond alors soit au fait qu’à l’époque leur péché et leur incrédulité les enfermaient comme dans une prison, soit à leur situation présente (choix fait par le traducteur du Semeur qui ajoute le terme maintenant) dans le séjour des morts.

 

2. NIV = New International Version ; BS = Bible du Semeur

 

3. Answers to Questions, Grand Rapids, Zondervan, 1972, p. 129. Il est souvent cité par A. Kuen dans son Encyclopédie des difficultés.

 

4. S. BÉNÉTREAU, 1ère épitre de Pierre, p. 222, Edifac,1984. 5 Les épitres de Pierre, Genève, Labor & Fides, 1960, p.71. 6 Ibid, p. 224. 19