Lire le prophète Ésaïe aujourd’hui !

 

 eunuque-ethiopienBAPTÊME DE L’ENUQUE ETHIOPIEN, REMBRANDT

 

Par LEONHARD MUTZNER

 

Léo Mutzner

 

Après une prédication sur Ésaïe lors d’un culte dans une assemblée, un ami est venu me voir, disant qu’il était justement en train de lire ce livre. Il le trouvait difficile et il m’a demandé conseil. Ce modeste article est une réponse à cet ami ainsi qu’à ceux qui se reconnaissent dans ses propos.

Il est vrai que le livre d’Ésaïe est difficile d’accès. Pour prendre l’image d’un randonneur, qui veut monter sur un haut plateau, la marche d’approche est un peu longue et compliquée. Il faut un minimum d’équipement1, d’investissement et d’entraînement. Mais le paysage en vaut largement la peine !

 

 

Dans notre marche d’approche, nous devons franchir trois obstacles :

 

iconePDFLe premier obstacle à franchir est la compréhension du contexte géopolitique du 8e siècle av. J.-C.

Ainsi nous encourageons la lecture biblique couvrant cette période (2 R 14- 21, 2 Ch 26-33, Osée, Michée).

Un élément clé constitue la prise de conscience de l’extension phénoménale de l’empire assyrien avec sa puissance et sa cruauté. Il ne trouve pas d’égal dans l’Histoire du monde.

Deux crises historiques majeures sont à l’arrière-plan du livre d’Ésaïe. La première se situe en 734 avec Achaz, qui est « proassyrien », et la deuxième en 701 avec Ézéchias qui est « anti-assyrien ». Le prophète établit un lien entre les deux en mettant en avant une confrontation verbale sur le même lieu (És 7.3, És 36.2).

 

 

Le deuxième obstacle à affronter est la structure littéraire. Nous rencontrons par exemple des chiasmes dans des versets, des chapitres, voire même sur plusieurs chapitres. Les chiasmes fonctionnent un peu comme un « chandelier » avec la pensée centrale se trouvant au milieu. On peut le schématiser ainsi : A – B – C – D – C – B – A.

 

 

Le troisième obstacle tient au langage des prophètes. Il est plein de symbolisme, mélangeant passé, présent et futur et s’inscrivant dans la dynamique du Grand Jour de l’Éternel. De ce fait, n’essayons pas trop d’aborder le livre dans une perspective chronologique. Les prophètes privilégient le développement thématique au développement chronologique. Ce dernier s’enracine davantage dans la culture grecque que juive.

 

Une fois ces trois obstacles franchis, s’ouvre devant nous un paysage magnifique : les hauts plateaux du livre d’Ésaïe avec ses pics, ses vallées et ses plaines.

 

 

 

Considérons trois exemples :

 

Commençons avec la personne même de Dieu. Il se révèle de façon magnifique comme le seul Dieu souverain. À l’époque d’Ésaïe, chaque peuple avait ses dieux nationaux et territoriaux. Mais Dieu se revendique être unique, seul, vrai, universel et souverain. Il met tous au défi : « Pour être un dieu, il faut maîtriser l’avenir ! Y a-t-il un dieu en dehors de moi qui peut prédire l’avenir ? » (44.6-8) Un silence gênant s’installe parmi les « prétendants dieux » passés, et même présents ! Dieu annonce une série d’événements en partant de l’époque d’Ésaïe jusqu’à son Grand Jour. Au centre de ces révélations prophétiques se trouve Jésus-Christ.

Dieu est souverain par rapport aux nations et au cours de l’Histoire. Personne et rien ne peut s’opposer à sa volonté. Il écrit l’Histoire avec les rois et les royaumes qui le reconnaissent, l’ignorent ou le méprisent. Il ne se laisse pas enfermer. Il règne, dirige et conduit.

 

Le deuxième exemple concerne la personne de Jésus-Christ.

Nous trouvons trois portraits magnifiques de Jésus. Ils s’intègrent parfaitement dans le développement général. Audelà de leur caractère prophétique extraordinaire, ces textes sont également d’une richesse et d’une profondeur exceptionnelles. Ils constituent une méditation théologique révélant les raisons de la venue de Jésus-Christ et sa mission.

Dans les chapitres 7-12, Jésus-Christ est présenté comme le Roi. Chacun des trois passages lève un peu plus le voile sur sa personne et son oeuvre. Ésaïe nous annonce sa naissance (7.10-17), nous révèle son identité et son oeuvre (8.23- 9.6) et évoque l’exercice de sa royauté et la nature de son règne (11.1-5).

Dans les chapitres 42-53, Jésus-Christ est présenté comme le Serviteur. Il insiste sur son intimité avec Dieu (42.1-9), l’universalité de son oeuvre (49.1-13), sa fidélité devant l’opposition grandissante (50.4-9) et son oeuvre de salut (52.13- 53.12).

Dans les chapitres 59-63, Jésus-Christ est présenté comme le Conquérant. Ce portrait est sans doute plus difficile à cerner et à expliquer. Il nous amène jusqu’au moment ultime de l’Histoire. Dans le premier d’entre eux, un passage assez obscur (59.21) et dans le quatrième (63.1- 6), il revêt les habits d’un guerrier divin établissant la justice et le salut par un jugement sanglant. Dans le deuxième, il annonce une année de grâce et un jour de jugement (61.1-3). Ce texte est d’ailleurs partiellement lu par Jésus tout au début de son ministère public (Lc 4.14- 30). Dans le troisième, il revêt des habits de justice et de salut et déploie un grand zèle pour son oeuvre (61.11-62.3).

 

Le troisième concerne le peuple de Dieu.

Nous trouvons des passages très sévères dénonçant le péché dans ses dimensions spirituelles et sociales. Mais au milieu de ces passages sombres, Ésaïe nous révèle l’existence d’un nouveau peuple de Dieu, purifié, renouvelé et fidèle. Ce peuple dépasse le cadre de l’Ancienne Alliance. Il réunira tous ceux qui croient en Dieu, le servent fidèlement et obéissent à sa Parole. Dans la « Grande Apocalypse » (24-27), Dieu réunira son peuple pour toujours autour d’un grand festin (25.6-8). Ce texte magnifique est entouré de textes de jugement. Cette proximité de textes de jugement et de salut nous rappelle leur lien. Ils sont en effet inséparables. Sans jugement, il n’y aura pas de salut. C’est le seul moyen de mettre un terme à la cohabitation avec le mal ! Ésaïe insiste sur la confiance en Dieu. Le seul moyen de fuir sa juste colère est de s’approcher avec confiance de sa grâce. Dieu exige une foi sincère, authentique et incarnée (1.12-20, 30.15- 20, 58). Voici deux textes tirés des deux passages historiques cruciaux à l’arrière- plan du livre d’Ésaïe

Au chapitre 7 dans une confrontation dramatique avec le mauvais roi Achaz, Ésaïe dit : Si vous ne croyez pas, vous ne subsisterez pas ! (És 7.9)

Au chapitre 36 dans une confrontation tout aussi dramatique, c’est le délégué du roi assyrien qui pose une question pertinente : En qui mets-tu ta confiance ? (És 36.4) Même si nous ne pouvons pas explorer tous les hauts plateaux du livre d’Ésaïe et escalader tous les sommets, chaque pas, chaque regard et chaque découverte sont riches, stimulants et engageants. Ésaïe nous éclaire : Dieu règne et personne et rien ne peut s’opposer à lui ! Ésaïe nous interpelle : Dieu exige une foi authentique et cohérente ! Ésaïe nous rassure : Dieu pourvoit au salut de ceux qui lui appartiennent !

 

« Même si les montagnes se mettaient à bouger, même si les collines venaient à chanceler, mon amour envers toi ne bougera jamais ; mon alliance de paix ne chancellera pas, déclare l’Éternel, rempli de tendresse pour toi. » (És 54.10)

 

L.M.


 

NOTES

 

 

1. Voici quelques ouvrages ou articles utiles :

  • Précis d’histoire biblique d’Israël, Brian TIDIMAN (Éditions de l’institut biblique de Nogent, 2006), 410 pages
  • La Mésopotamie, Georges ROUX (Éditions du Seuil, 1995), 472 pages
  • Bible Annotée AT7 (Éditions PERLE, 1985), pages 39-297
  • Théologie de l’Ancien Testament, Bruce WALTKE (Excelsis, 2012), 1192 pages
  • Dictionnaire de Théologie Biblique (Excelsis, 2006), pages 240-246
  • Introduction au livre d’Ésaïe, Bible d’étude du Semeur (Excelsis)