Foi et athéisme (2): débat J.LENNOX et R.DAWKINS

 

– Thèse n° 2 –

 

La science tend à soutenir l’athéisme et non le christianisme

 

 foi-atheisme
 
 
 

laboMD – La thèse suivante est que la science tend à soutenir l’athéisme et non le christianisme. Et pour illustrer cette thèse, professeur DAWK INS, j’aimerais lire deux extraits de votre livre. Vous y citez votre collègue, le généticien de l’université de Chicago, Jerry COYNE, qui écrivait à d es scientifiques comme E.O. WlLSON, le renommé biologiste de Harvard ou à vous-mêmes que : « La vraie guerre est entre le rationalisme et la superstition… La science n’est qu’une forme de rationalisme. La religion est la forme la plus courante de la superstition » (page 67). Quelques pages avant (page 59), vous écrivez : « L’idée assez courante que la religion et la science ne se recoupent pas, ne traitent pas des mêmes domaines (Non Overlapping Magisteria ou NOMA), n’est pas sérieuse. Cette approche n’est populaire que parce qu’il n’y a pas de « faits objectifs » qui soutiennent l’hypothèse de Dieu. » Pourriez-vous développer un peu ?

 
 
RD – Vous avez lu une citation de Jerry COYNE à propos de la vraie guerre qui a lieu entre le naturalisme et le surnaturalisme. Le contexte de cette citation était le débat entre le créationnisme et l’évolution dans l’éducation américaine. Et dans ce contexte, j’ai été accusé de trahir les miens parce que, comme vous le savez, il y a un problème avec le système éducatif américain, car certains fous cherchent à introduire le créationnisme dans les écoles américaines (ce qui est à l’évidence très mauvais pour la science). Mes collègues scientifiques en sont profondément inquiets et essayent de s’y opposer – je leur souhaite de réussir.
 
 
Ils se plaignent que je ne fais pas avancer les choses, que je leur mets même des bâtons dans les roues en disant ouvertement que c’est ma compréhension de l’évolution qui m’a conduit à l’athéisme. Ils font valoir que si j’étais cité à comparaître devant un tribunal, pour témoigner en faveur de l’évolution et contre l’enseignement du créationnisme, et si l’avocat me demandait : « Monsieur DAWKINS, est-ce vrai que l’évolution vous a conduit à l’athéisme ? », je devrais répondre « Oui ! ». L’avocat se tournerait alors vers le jury et dirait : « C’est bon, il n’y a rien à ajouter ». Effectivement, cela n’aide en aucun cas la cause de la science de lier l’évolution à l’athéisme. C’est cela le contexte de la remarque de Jerry COYNE. Il disait : « OK, si vous ne vous souciez que de l’étroite bataille politique consistant à sauver la science américaine dans les écoles, vous feriez mieux de fermer votre bouche et d’arrêter de parler d’athéisme. »
 
 
Si, par contre, vous pensez, à la manière de COYNE, que la vraie guerre est entre le surnaturalisme et le naturalisme, alors vous diriez que la bataille entre l’évolution et le créationnisme n’est qu’un accrochage mineur, la vraie guerre se situe à un niveau plus profond. Voici le contexte de ma citation.
 
 
La deuxième citation que vous avez lue se réfère au NOMA. C’est le « Non Overlapping Magisteria » (Magistères qui ne se recoupent pas). Le regretté Stephen GOULD a soutenu qu’il n’y avait pas de véritable bataille entre la science et la religion, car elles correspondent à des « Non Overlapping Magisteria » 1 . Ce sont deux domaines complètement différents, un peu comme des bateaux qui se croisent dans la nuit, aucun contact entre eux. Je n’y crois pas un instant !
 
 
Je pense que la religion est, dans un sens, une affaire de science et que les affirmations religieuses à propos de l’univers appartiennent au domaine de la science. Je suppose que John LENNOX peut me rejoindre là-dessus. Toute affirmation concernant l’univers est du domaine de la science. Un univers avec un Dieu est un univers bien différent d’un univers sans Dieu. Les méthodes scientifiques sont les méthodes appropriées, ou tout au moins le mode de raisonnement scientifique est une méthode de pensée appropriée pour décider si nous vivons dans tel univers avec « Dieu », ou dans cet autre type d’univers sans « Dieu ». Cela devient d’autant plus limpide lorsque l’on parle de miracles. Il est vrai qu’un nombre non négligeable de théologiens avertis expriment leur non-croyance aux miracles. Mais, ce qui mérite toute notre attention, c’est que les personnes ordinaires sur les bancs des églises, des croyants peu instruits, croient fermement aux miracles. Et ce sont principalement les miracles qui attirent en premier lieu ces personnes à l’église.
 
 
S’il y a des miracles, ils doivent être évalués par des moyens scientifiques. Qu’il s’agisse d’une naissance virginale, si quelqu’un ressuscite des morts, ce sont des revendications strictement scientifiques, même si elles seraient difficiles à vérifier. Comme je l’ai écrit dans mon livre, supposons que nous découvrions un jour des indices ADN qui révéleraient que Jésus n’a jamais eu de père, que Jésus est né d’une vierge. On imagine mal un théologien dire : « Oh non, ces découvertes sont sans intérêt, ce sont des domaines distincts, cela n’a aucun rapport avec la science… ». Bien sûr que non ! La science a toute autorité dans ce type de situation. Voilà ce que je voulais dire à propos de la théorie du NOMA.
 
 
JL – Je suis complètement d’accord avec vous, Richard, sur la « théorie du NOMA », sur l’idée que la science et la religion seraient sur deux plans totalement différents. En effet, lorsqu’on se documente sur cette approche, elle semble assez déconcertante, car elle affirme que la science s’occupe de la réalité et la religion s’occupe de tout le reste ! Evidemment, cette vision ne me satisfait pas. Je suis d’accord avec vous sur le fait que les principes de l’analyse logique que la science nous a fournis sont les bons pour traiter beaucoup des affirmations qui sont au coeur de la foi chrétienne. J’élargirais quand même à la science de l’Histoire : ce sont des événements du passé qui nous préoccupent. Je soutiens fermement que le christianisme n’échappe pas à ces principes logiques.
 
 
Votre thèse de départ est que la science soutient l’athéisme et non le christianisme. Je pense de mon côté que l’athéisme sape sérieusement les fondements de la science. En effet, si nous voulions formuler l’une des hypothèses essentielles de la recherche scientifique, cela donnera it : « Nous croyons en l’intelligibilité rationnelle de l’univers ». Il me paraît intéressant que des scientifiques hors du commun, comme Eugène WiGNER2 et Albert EINSTEIN, utilisent le terme de « foi ». Ils ne peuvent pas imaginer un scientifique qui en serait dépourvu. Pour la simple raison que nous devons nécessairement « croire » en l’intelligibilité rationnelle de l’univers avant même de pouvoir faire de la science. La science ne peut pas, d’elle-même, nous donner ce point de départ. Ce qui me paraît remarquable est le point suivant.

 

Supposez que nous regardions maintenant ce problème en ayant à l’esprit ces deux visions du monde dont nous parlons ce soir, à savoir l’athéisme et le théisme. L’athéisme nous dit (du moins si l’on se réfère à ce que nous dit Richard dans son livre) qu’en raison du fait que la vie humaine a été bricolée par une évolution non orientée, il est improbable que notre vision du monde soit correcte. Absolument d’accord ! Et si vous êtes réductionniste, ce que vous devez être en tant que matérialiste, réduisant les croyances à la physique et la chimie des structures neuronales, alors cela soulève une question très importante, Mesdames et Messieurs : si, en fin de compte, mes croyances, mes théories scientifiques sont les produits des mouvements d’atomes dans mon cerveau, produits eux-mêmes par des processus non dirigés, aléatoires, inertes, pourquoi devrais-je croire en eux ?

 

En d’autres termes, c’est comme la situation d’une personne assise sur la branche d’un arbre, branche qu’elle est elle-même en train de scier. Il me semble donc que l’athéisme sabote sérieusement l’effort de recherche scientifique. Et selon moi, ceci est une faille fatale. Un argument qui prétend déduire la rationalité de l’irrationalité ne parvient même pas à s’élever, à mon avis, à la dignité d’une « illusion » intelligible. C’est logiquement incohérent.

 

Mais le théisme nous dit que la raison pour laquelle la science est possible, la raison pour laquelle je peux accéder à l’univers, du moins, en partie, à travers mon intelligence humaine, c’est que ce même Dieu qui a créé l’univers est à l’origine de l’esprit humain. Voilà le niveau de base.

 

Si nous passons au niveau supérieur à présent et que nous regardons à la science elle-même, le travail d’orfèvre du réglage de l’univers nous saute aux yeux, on constate que les constantes fondamentales de la nature doivent être très rigoureusement établies afin d’obtenir un univers exactement comme le nôtre. Je sais que certaines personnes, comme Sir Martin REESE l’a formulé, « préfèrent » une explication en terme de multivers (multi-univers), ce qui à mon avis ne résout pas les problèmes logiques. Le verdict d’Arnaud PENZIAS, à qui l’on a décerné le prix Nobel pour la découverte du « fond diffus cosmologique3 », m’intéresse tout particulièrement. Il dit que l’astronomie nous mène à un événement unique, un univers qui a été créé à partir de rien, avec un équilibre très délicat, nécessaire pour fournir les conditions initiales absolument parfaites exigées par la vie, un univers qui se conforme à un plan qu’on pourrait appeler « surnaturel ». C’est donc de la physique elle-même – au vu des constantes de l’univers, ces nombres extrêmement précis – que vient ce genre de conclusion.

 

Je crains que la Bible se trouve encore une fois trop vite écartée dans le livre de Richard. PENZIAS a ajouté : « Les meilleures données que nous avons concernant le Big Bang sont exactement ce que j’aurais prédit avec pour seule ressource les cinq livres de Moïse, les Psaumes ou la Bible en entier. » C’est intéressant n’est-ce pas, Mesdames et Messieurs, que les observations confirmant que l’univers a eu un début ne soient arrivées que dans les années 60 ? C’était un moment exceptionnel, je m’en souviens très bien. Durant des siècles, l’Europe a été dominée par la pensée d’Aristote qui mettait la Terre comme point fixe au centre de l’univers, tout le reste tournant autour, pour l’éternité.

 

Chose fascinante, lorsque des observations ont commencé à s’accumuler attestant qu’il y avait un début absolu à l’espace et au temps, des personnes importantes, y compris le rédacteur en chef, J. MADDOX, ont écrit dans la revue « Nature » : « C’est dangereux, nous n’aimons pas cela, car cela donne trop d’arguments à ceux qui croient en la création ». Pour moi, ce qui m’interpelle, c’est que la Bible est fréquemment rejetée comme anti-scientifique parce qu’elle ne fait pas de prédictions… Absolument pas, c’est faux ! Elle fait une prédiction brillante ! .Durant des siècles, elle a dit : il y a eu un début ! Et si les scientifiques avaient pris ceci plus au sérieux, ils auraient pu découvrir, bien plus tôt, des faits attestant un début.

 


 

NOTES

 

 

1. Stephen Jay GOULD : paléontologue et naturaliste américain de renommée internationale, décédé en 2001.

 

2. Eugène Paul WIGNER (1902-1995) : physicien américain originaire de Hongrie. Il est connu pour ses travaux en physique quantique pour lesquels il s’est vu attribuer le prix Nobel en 1963.

 

3. Rayonnement micro-ondes baignant tout l’univers.