Les fêtes de l’Ancien Testament : un ciment du peuple

 

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par François-Jean MARTIN

 François-Jean Martin

 

On ne peut dans le cadre imparti à un tel article aborder toutes les fêtes. J’ai choisi de travailler sur la plus connue de celles-ci : la Pâque. Cependant, la fête des Cabanes ou celle de Pourim pourraient être tout aussi démonstratives, pour souligner le rôle de ciment spirituel, culturel et politique que les fêtes de l’Ancien Testament ont joué pour Israël.

 

 

I. Un rite lié à l’élevage et à l’agriculture

 

La Pâque inaugure l’année liturgique d’Israël ; c’est la première fête du printemps. Elle est la plus citée des fêtes dans l’Ancien Testament et semble avoir été considérée au temps de Jésus comme la fête la plus importante de la communauté juive. Cette fête est liée au début du printemps, à l’équinoxe. Aussi est-il normal d’en rechercher des origines dans la fête du renouveau qu’on célèbre dans toutes les sociétés liées à l’élevage et à l’agriculture.

 

Fête existant déjà avant la libération d’Egypte, elle serait liée alors à la vie nomade du peuple, vivant avec ses troupeaux de chèvres et de moutons. C’est dans ce sens que R. De Vaux et L. Rost1 parlent de rite de transhumance, fête annuelle célébrée à la première pleine lune du printemps, au moment où l’on déplace les troupeaux. Ainsi, des clans nomades, donc des familles liées, se réjouissaient (c’était une fête, avec certainement des repas festifs) et partageaient des moments forts où les lignées étaient rappelées, où les rites religieux et sociaux (cosmogonies, appels, mariages, alliances claniques) étaient proclamés et ainsi transmis aux jeunes générations.

 

On a donc là un fort objectif d’identification, d’unification et de transmission aux générations suivantes. Cet aspect de la fête s’est certainement poursuivi en Canaan, car Israël, même après la sédentarisation, comptait encore des tribus comme Ruben et Gad qui sur leur territoire du côté Est du Jourdain ont poursuivi une vie de nomade (Nb 32.1ss). En outre, même du côté Ouest, les rois et les puissants ont eu d’importants troupeaux qui continuaient la transhumance (1 R 5.1-8 ; 1 Ch 27.29-31).

 

La Pâque est souvent associée et parfois confondue avec une autre fête, celle des Massot, appelée fête des Azymes ou des pains sans levain. Elle est qualifiée de hag, c’est-à-dire de pèlerinage. Il s’agit d’une fête agraire, du mois des épis, au début de la moisson (des orges). Elle dure une semaine. Bien qu’associée aussi à la sortie d’Egypte, elle est liée à la sédentarisation en Canaan, avec la gerbe, prémices des moissons, dédiée à l’Eternel (rite de l’orner). R. De Vaux dit d’elle qu’elle inaugurait « le temps sacré qui allait du début de la moisson des orges à la fin de la moisson des blés ».2

 

De plus, Pâque et les Azymes sont liés à la seconde grande fête annuelle, fête de pèlerinage aussi, celle de la Moisson (moisson des blés, Ex 34.22), aussi appelée fête des Semaines, fête des prémices ou Pentecôte. On y offrait du pain levé, signe de la reprise des usages habituels, de la vie qu’on devait à Dieu. Ce rapport est souligné par le nom que les rabbins donnèrent à cette fête : l’assemblée de clôture de la Pâque. Les moissons sont finies. Ces fêtes formaient ainsi un tout.

 

Là encore, les communautés villageoises vivaient des temps de liesse favorables à la transmission des valeurs, des temps initiatiques qui unissent la communauté et permettaient l’unité tribale et nationale et sa transmission aux générations suivantes.

 

 

II. Un rite lié à l’histoire

 

La Pâque juive est surtout connue et vécue comme la commémoration, le mémorial de la sortie d’Egypte, donc du passage de l’esclavage à la liberté3. C’est à ce moment qu’Israël naît en tant que peuple, et ceci, grâce à l’intervention de Dieu. La fête des Azymes a aussi un sens en rapport avec ce fait historique, c’est le souvenir du pain « cuit à la hâte » dans la nuit de la sortie d’Egypte. Ce pain non levé est ainsi à la fois le rappel du « pain de misère » et du « pain de la Liberté ».

 

 

Avec cet événement, nous nous trouvons au cœur de l’histoire du salut et aux origines de la naissance d’un peuple. C’est bien sûr l’aspect le plus important de la fête et on perçoit que, tout comme un Quatorze Juillet chez nous, cette fête avait pour but de cimenter un peuple composé au départ de tribus unies par des liens familiaux anciens et par une libération commune de l’esclavage et qui auraient pu au travers du temps se délier. Ce n’est pas une vue de l’esprit, car lors de la division en deux royaumes, on voit bien comment Jéroboam réagit en instituant sa capitale Sichem, son sanctuaire Béthel, son culte et ses prêtres afin d’éviter l’unité que la centralisation d’une ville, de son sanctuaire et des pèlerinages (dans le texte de 1 Rois 12.25-33, il s’agit de celui des Cabanes) – en particulier celui de la Pâque – favorisait.

 

Dans l’histoire d’Israël, il semble que la Pâque ait longtemps gardé son caractère de fête familiale avec cependant un sens large à ce terme et même la possibilité de la vivre à plusieurs familles (Ex 12.4). Par la suite, sous la royauté, la célébration de la Pâque a été liée à Jérusalem et au Temple, donnant ainsi un rôle aux sacrificateurs. S’il est évident que cette forme de centralisation fortifiait l’unité nationale et religieuse, elle exposait la fête au danger du formalisme.

 

Cette évolution va faire de la Pâque un pèlerinage obligatoire et poser un certain nombre de problèmes. Il est clair que les finances du Temple et des officiants s’en sont trouvées augmentées, ainsi que le commerce dans Jérusalem. Jeremias donne pour nombre d’habitants à Jérusalem au temps de Jésus 55 000 et 125 000 pèlerins pour la Pâque4. Cependant, cet afflux de pèlerins n’était pas facile à gérer, en particulier au niveau de l’acte sacrificiel au Temple, qui devait être terminé avant le coucher du soleil, mais aussi pour le logement et la sécurité.

 

A l’époque post-exilique, avec la venue d’un plus grand nombre de pèlerins de la diaspora, les autorités religieuses semblent avoir accepté la création de familles « artificielles ». Un certain nombre de personnes pouvaient ainsi se mettre d’accord pour former une « confraternité ». C’est sous cette forme que Jésus célébra la Pâque avec ses disciples.

 

Après la destruction du Temple en 70 apr. J.-C., l’agneau pascal qui ne pouvait plus être immolé fut remplacé par un repas dont le caractère symbolique était accentué. Au cours des siècles de notre ère, des éléments nouveaux sont venus se joindre au repas, dont les derniers datent du 15ème siècle.

 

Ainsi, cette fête, sans jamais perdre complètement son caractère individuel et familial, voit privilégier et accentuer au travers du temps son aspect national. Cependant, quelles que soient les caractéristiques soulignées, elles font toutes référence au fait historique de la libération et proclament le salut offert par Dieu.

 

 

III. Quelques aspects et enjeux du rituel pascal

 

a) Le rituel pascal : une pédagogie identificatrice pour les enfants

 

repas-juifLe rituel pascal dans le judaïsme comprend une préparation fort précise. Avant le jour de la Pâque, les maisons doivent être débarrassées de tout levain selon le commandement de Dieu (Ex 12.15ss). On appelle cette cérémonie « chercher le Hamets », c’est-à-dire, tout ce qui a pu fermenter. Cela est fait le soir qui précède le 14 de Nisân. C’est un moment de joie où les enfants avec la mère recherchent à la lumière des bougies toute miette de pain qui a pu échapper au nettoyage. C’est une leçon de choses pratique que la famille vit ensemble.

 

 

 

C’est aussi une occasion d’enseigner les enfants et de les intégrer à la nation.

 

Dans la soirée du 14 de Nisân, après être allé à la synagogue, le chef de famille trouve à son retour la maison décorée et tout est prêt pour la fête. C’est une fête familiale très joyeuse. La famille s’assemble autour de la table pour manger le seder ou repas pascal. Au cours de ce repas symbolique, le chef de famille lit le récit de l’époque pascale, la haggada5 de Pâque, qui comprend un dialogue entre le père et le fils sur la sortie d’Egypte et la délivrance future.

 

Cet aspect pédagogique vis-à-vis des enfants est un des grands rôles de la fête.

 

« Quand vos fils vous diront : Que signifie pour vous ce rite ? Vous répondrez… » (Ex 12.26ss). La Haggada commentée de Robert Nerson dit à ce sujet : « II est de notre devoir d’éveiller l’esprit et le cœur de nos enfants, en leur expliquant notre façon d’agir, afin qu’ils apprennent à pratiquer, avec compréhension et en pleine connaissance de cause : ce n’est que de cette façon qu’ils pourront assumer leur condition de juif avec conscience et enthousiasme. Peu de fêtes sont aussi riches en enseignements, en particulier pour l’enfant, que Pessah. » II fait sienne, au travers de la voix de son père, son histoire et par là il s’identifie à son peuple. La fête joue là un rôle de ciment très fort.

 

b) Un sacerdoce universel et une espérance messianique

 

Un autre des aspects frappants du rituel de la Pâque est l’absence de sanctuaire, d’autel, de prêtre. Cela a été souligné très tôt. Le philosophe juif, Philon d’Alexandrie, au premier siècle de l’ère chrétienne, remarque que contrairement aux traditions sacerdotales en vigueur à Jérusalem, le jour de la Pâque les victimes sont immolées par les fidèles eux-mêmes ; il en conclut qu’à cette occasion « le peuple entier, anciens comme jeunes, se considère comme investi de la dignité sacerdotale et exerce la prêtrise en toute immunité et les mains pures », et il ajoute : « Toute maison revêt en ce jour l’aspect d’un temple et la splendeur d’un sanctuaire », puisque le repas pascal s’y déroule. On voit là aussi le caractère unificateur et identificateur de cette conception, le peuple communie fraternellement, chaque père se retrouve transmettre mémoire et sens aux siens, chaque maison est un temple à l’image de celui de Jérusalem.

 

c) Une conception de l’immigrant

 

Enfin, un aspect qu’il est bon de souligner, c’est que cette expérience devait marquer l’Israélite de tous les temps en lui donnant une approche de la question de l’esclavage et de l’immigration tout à fait révolutionnaire. Ainsi, la loi souligne-t-elle plusieurs fois l’attitude à avoir face à l’esclave et à l’étranger (ou immigrant selon la traduction) : « Tu te souviendras que tu as été esclave en Egypte et que l’Éternel ton Dieu t’en a libéré. C’est pourquoi… »6 II y a dans ce dernier aspect, un rôle de communion fraternelle qui dépasse les couches sociales et qui intègre même l’étranger.7

 

Ainsi, la Pâque juive était une fête riche en significations qui visent toutes à proclamer et fêter l’unité. C’est dans cette fête juive que nous retrouvons les racines de la fête chrétienne ; la Pâque juive éclaire déjà l’oeuvre de Jésus-Christ qui est lui aussi « passé » pour libérer et renouveler. En la comprenant mieux, nous fêterons mieux Pâques en 2009 dans nos familles et dans nos Eglises. « Car Christ, notre Pâque, a été immolé. Célébrons donc la fête ! »

 

 

F-J.M.


NOTES

 

1.  R. De Vaux et L. Rost cités dans Essai biblique sur les Fêtes d’Israël par Robert Martin-Achard, Labor et Fides. Genève 1974, p. 31 s.

 

2.  R. De Vaux – Les Sacrifices dans l’Ancien Testament, CRB, 1, 1964, p. 23.

 

3.  Voir articles de l’auteur sur les différentes origines et les enjeux des fêtes de Pâque en Servir en l’attendant N°2 Mars-Avril 1989 et N°4. Juillet-Août 1989, sur Noël et Pentecôte, n° 427, octobre-décembre 1987 et n° 3, mai 1988. Ces articles sont accessibles sur le site des CAEF : www.caef.net

 

4.  Jérusalem au temps de Jésus Joachim Jeremias Ed. du Cerf 1980, pp.115-124.

 

5.  L’interprétation des parties historiques du Pentateuque donna des récits et légendes : la haggada. Ici il s’agit de celle liée à la Pâque. 1983, Paris, Librairie Colbo

 

6.  Voir par exemple Ex 22.20 ; Dt 15.15 ; 16.12; 24.18 et 22.

 

7.  Le judaïsme l’a bien compris, qui dans sa tradition développe cet aspect. Ainsi, pour répondre à la question : « Mais pourquoi Dieu a-t-il permis que le peuple soit esclave en Egypte ? », Rabbi Hanina disait : « C’est que toutes les actions du Saint – béni soit-il – sont proportionnées à leur fin. Au commencement, avant que les enfants d’Israël ne fussent descendus en Egypte, ils méprisaient les fils des servantes et ne les traitaient pas comme des frères ; cela a paru très mauvais aux yeux du Saint – béni soit-il… Il dit : Que vais-je faire pour qu’ils accueillent les fils des servantes ? Je les ferai descendre en Egypte pour être tous réduits en servitude, et quand je les aurai délivrés, je leur donnerai le commandement de la Pâque, afin qu’ils l’observent, eux et leurs fils et les fils de leurs fils, et qu’ils disent tous : « Nous étions esclaves de Pharaon », et deviennent tous égaux ! »