Violences : regard d’un psychiatre

 colere

par Daniel Dejardin

Psychiatre des hôpitaux à DIGNE (04)

 

 

1) Problèmes de définition

Violence vient du latin « violentia » qui signifie force, farouche, caractère violent. Le verbe « violare » signifie traiter avec violence, profaner, transgresser. Ces termes sont rattachés à « vis » qui veut dire force, vigueur, puissance, emploi de la force physique mais aussi abondance, quantité. Il s’agit de la force en action pour exercer la puissance, imposer sa domination.

 

 

Les usages courants du terme indiquent deux orientations principales :

 

  • la violence s’oppose à la paix, à l’ordre qu’elle trouble ou qu’elle remet en cause.

 

  • c’est la force brutale ou déchaînée qui enfreint les règles ou dépasse la mesure.

 

Le Robert définit la violence comme « – le fait d’agir sur quelqu’un ou de le faire agir contre sa volonté en employant la force ou l’intimidation. – le caractère brutal d’une action. »

 

Que retenir ?

 

La violence reste cette force brute, physique, musculaire au service de la colère, de la rage. Force destructrice dont le mobile échappe souvent à la raison, d’où ce lien entre la violence et la folie. Premier péché relaté dans la Genèse, après la sortie d’Eden, la violence de Caïn laisse à jamais sa trace de sang : la violence c’est prendre la vie de son frère.

 

Tuer c’est détruire ce que Dieu a créé de plus précieux, la vie d’un Homme ; c’est l’aveuglement le plus noir qui dérobe au regard l’image à la ressemblance de Dieu que reflète mon frère.

 

C’est faire de lui un objet, un objet de haine, un objet de défoulement, le para-tonnerre sur lequel fond l’arc de tonnerre de frustrations, de jalousies, de déceptions déchaînées. Il n’est pas surprenant que violence et péché soient dès la Genèse associés.

 

La loi avec la sagesse de Son inspirateur distinguera des violences préméditées et involontaires permettant au code pénal Israélite de doser les sanctions. Mais le meurtre reste, en Israël, qu’il soit prémédité ou non, une abomination devant l’Eternel. Seul le Seigneur a le pouvoir de donner la vie, le droit de rappeler à lui la vie. « Toutes les âmes sont à moi, dit le Seigneur ». Jésus va plus loin (très en avance sur les psychologues modernes) en affirmant que toute violence contient en germe le meurtre : « Si tu dis Racca à ton frère, tu es un meurtrier ». Mépriser son frère, lui dénier son statut « d’être fait en image de Dieu » est violence.

 

En effet toute une littérature psychologique largement diffusée, comme le livre de Marie-France IRIGOYEN sur le harcèlement, montre que la violence du quotidien sur le lieu de travail, dans le couple (violence qui ne laisse pas de trace physique) est une agression qui dépose sa marque profonde dans le psychisme. Jésus l’avait enseigné avant elle.

 

 

2) Qu’en est-Il aujourd’hui de cette violence du quotidien ?

 

Elle reste d’abord celle des coups qui font mal, qui font d’autant plus mal qu’ils sont assénés par un proche, un parent. Violences dont sont victimes les plus faibles, les enfants, les handicapés, les personnes âgées. Violences conjugales en forte augmentation souvent associées à l’alcoolisme. Ce sont des violences silencieuses dont la plupart ne seront pas connues ; violence tantôt brutale avec les orages d’agressivité lorsque le mari rentre ivre et bat sa femme, tantôt subtile et perverse, laissant peu de traces physiques mais dont les traces intérieures sont indélébiles.

 

C’est aussi la violence sans coups provenant du harcèlement, du dénigrement, du rejet qui cherche à « faire craquer » un collègue de travail. Agressions de chaque jour, le plus souvent impossibles à prouver, qui sapent le moral et finissent par faire tomber le « collègue » dans un profond désarroi.

 

 

3) Que faire devant ces violences ?

 

a) La première intervention salutaire est de briser l’omerta, la loi du silence. Quand enfin une épouse d’alcoolique contacte un service social, une association pour dire sa souffrance, un processus est engagé. La fatalité, « c’est toujours comme ça et ça sera toujours ainsi » peut être rompue. Un espoir renaît. Paradoxalement c’est dur, c’est très dur de parler des violences subies : on a honte d’avoir été réduit à un objet qui prend des coups.

 

Et puis le lien qui unit le mari violent à son épouse est complexe, défiant les lois du bon sens. L’amour, la haine, prendre des coups, en donner, tout est mélangé de façon inextricable par des années de dysfonctionnement conjugal. Rien ne pourra vraiment changer si un déclic ne s’opère pas dans la tête de la victime : prendre conscience de la folie destructrice de la situation, vouloir en sortir, retrouver une dignité perdue.

 

Si la victime ne veut pas changer ou n’a pas la force de vouloir changer, il convient d’abord de l’aider à prendre conscience de son état avant d’engager de grandes mesures. Sauf en cas d’urgences où des mesures de protection peuvent s’imposer.

 

b) Pour les enfants victimes, c’est aux adultes à prendre la parole pour les protéger. Le signalement aux autorités de police ou aux assistantes sociales de maltraitance à enfant est un devoir civique contenu dans la loi. La prise en charge de ces enfants demande une formation professionnelle pour décrypter leurs messages et les aider à se reconstruire.

 

c) Le harcèlement sur le lieu de travail, dans le couple, semble en forte augmentation. Violence très difficile à reconnaître en terme de droit et donc à qualifier, la victime peut être aidée par un psychologue, psychiatre pour reprendre une combativité, sortir de son isolement.

 

Le danger psychique est celui de s’identifier peu à peu à l’image dévalorisante que chaque jour on colle à la victime : « Je suis minable, c’est vrai tout le monde dit que je rate tout, que je ne réussis rien… » Peu à peu la victime devient ce que l’on dit d’elle. Le résultat de ce travail de sape produit une décompensation dépressive avec une profonde dévalorisation de soi.

 

 

4) Pour conclure

 

Avant de prendre soin des victimes, de dénoncer ces comportements, Jésus nous invite à chercher en nous toutes les formes de violence : toute relation à l’autre peut comporter de la violence. Suis-je conscient de la violence qui habite en moi et qui abîme par moment mon entourage ?

 

Alors, dans la repentance, demandons à Celui qui a subi toute la violence nue, brute, bestiale de ses bourreaux de nous changer et faire de nous des doux comme on appelait les chrétiens.

 

A une échelle communautaire osons regarder les violences qui peuvent s’exercer dans nos Eglises par nos «coups » de parole, nos prises de pouvoir sur l’autre, nos manques d’amour et de grâce.

 

Le péché et la violence sont liés en ce monde, en nous depuis la Chute. Que Dieu nous fasse la Grâce de « combattre » en nous et avec nous toute expression de violence.

 stop

D.D.