Que dit la Bible sur la peine de mort ?1

 commentaire Bible

 

par Paul WELLS

 

 

C’est en réponse à l’article d’un journal protestant qui affirmait, à propos de la peine de mort, que la seule position chrétienne possible était le refus, que Paul Wells, professeur de dogmatique à la Faculté Libre de Théologie Réformée d’Aix, écrivit l’article suivant.

 

 Le plus souvent, la discussion sur la peine de mort en reste aux sentiments […]. Si l’on veut atteindre une certaine objectivité sur cette question, il faut s’efforcer de laisser de côté ces réactions plus ou moins « charnelles ». Dieu a-t-il quelque chose à nous apprendre sur ce sujet à travers Sa parole ?

 

 

1. La peine de mort dans l’Ancien Testament

 

La chute s’est à peine produite (révolte contre Dieu) que l’homme manifeste déjà son agressivité envers son semblable. Dans son péché l’homme est contre Dieu, mais aussi contre son prochain qui, lui, porte l’image de son Créateur. Le meurtre est donc essentiellement une action contre Dieu, mais aussi contre son prochain qui, lui, porte l’image de son Créateur. Le meurtre est donc essentiellement une action contre Dieu, destructrice de l’image de Dieu qu’est le prochain.

 

Caïn

 

L’acte de violence de Caïn est en rapport direct avec son refus d’adorer Dieu de façon qui lui soit agréable. Le meurtre surgit au moment même où il s’éloignait de la foi en Dieu et du repentir (Gn. 4.6-7 ; cf. 1 Jn 3.12) […]. La particularité de ce récit du premier meurtre de l’histoire des hommes, c’est qu’il n’est pas prononcé de peine de mort ; mais Dieu maudit Caïn. Dieu dit : « Tu es maudit du sol qui a ouvert la bouche pour recueillir de ta main le sang de ton frère » (4.11). […] Pourtant Caïn, après son acte meurtrier, a conscience qu’il doit chercher refuge pour éviter d’y être à son tour soumis (Gn 4.13).

 

Quel est le sens de la protection divine qui lui est accordée ?

 

Il est difficile de trancher la question. Dieu tolérerait-il le crime ? On ne peut pas ôter la vie par vengeance […]. Ultimement, Dieu est le Juge suprême, Celui qui donne la vie et qui peut prononcer l’arrêt de mort. Il est lent à la colère, et l’homme ne peut agir dans ce domaine qu’avec une précaution extrême. Il convient de faire remarquer que nous ne pouvons conclure à partir de cet incident qu’il est illégitime de prononcer la peine de mort dans tous les cas.

 

 

La déclaration de Genèse 9.6

 

Qui verse le sang de l’homme, par l’homme verra son sang versé ;
car à l’image de Dieu, Dieu a fait l’homme.

 

[…] Le texte de l’alliance noachique (Gn 8.21 à 9.17) concerne la ré-institution de l’ordre de la Création après la crise cosmique du déluge. La particularité de cette alliance, c’est qu’elle ne touche pas à l’aspect rédempteur de l’histoire, mais à l’ordre général du monde. Une certaine permanence est impliquée dans le tant que la terre durera (8.22). […] On peut inférer non seulement que les conditions de l’alliance noachique ré-instituent ce qui a déjà existé dès le commencement, mais aussi que ces faits ne seront abrogés que lors de la fin de la Création. Les paroles de Gn 9.6 ont un enracinement dans l’ordre de la Création et une validité qui persiste dans le domaine de la vie générale du monde.

 

[…] Même après la Chute, l’homme est l’image de Dieu et, pour cette raison même, sa vie a un caractère d’inviolabilité qui est d’origine divine. L’homme qui en tue un autre lui ôte la vie, mais, ce faisant, il détruit l’image de Dieu selon laquelle cet homme a été créé […].

 

La justice de Dieu face au meurtre

 

Mais comment Dieu demande-t-il compte ? Peut-on dire que notre texte institue la peine de mort ? Remarquons qu’il marque deux points distincts : d’une part, la valeur unique de la vie humaine abolie par un meurtre, et, d’autre part, l’instrumentalité de l’homme dans la rétribution de cet acte violent : « par l’homme verra son sang versé » […]. Il ne s’agit ni de vengeance, ni de revanche, mais seulement de ce qui est justement demandé par la justice divine en raison de l’irrévocabilité du crime commis.

 

Pour beaucoup, on le sait, la peine de mort ne peut se justifier que si elle décourage efficacement les attentats contre la vie. Le texte de la Genèse ne donne guère d’importance à ce genre de considération. Si la protection de la vie est en vue ici, toute idée d’efficacité utilitaire est absente. Ce qui est central, c’est l’idée d’une justice sanctionnée par Dieu.

 

Le Décalogue

 

tables-loiUn autre passage du Pentateuque qui doit nous arrêter est le sixième commandement du Décalogue : «  Tu ne tueras point » (Ex. 20 :13). La première question qui se pose est de savoir s’il y a contradiction entre ce commandement (qui appartient à l’alliance mosaïque) et le passage de Genèse 9.6. […]

 

L’homicide qui est proscrit en Ex 30 est au sens très précis du terme un meurtre (ratsah), prémédité ou non. Lorsqu’il s’agit de désigner l’exécution suivant un procès légitime, ou encore l’acte de tuer un ennemi en bataille, d’autres expressions sont employées en hébreu. […]

 

La peine de mort est le résultat du péché, mais en soi-même elle ne constitue pas un péché. Il est vrai que toute punition constitue un mal, car elle va dans le sens du « salaire du péché ». L’exécution est donc un mal, mais en tant que punition, elle n’est pas péché en soi. Si c’était le cas, Dieu lui-même serait pécheur en exécutant le jugement.

 

La peine de mort dans la loi de Moïse

 

Dans la loi de Moïse, la peine de mort s’applique à de nombreuses infractions de la loi : meurtre, adultère, idolâtrie, fautes contre la famille, sodomie, rapt, faux témoignage, sacrifice humain, etc. […] La punition ne constitue pas une vengeance ; elle est la conséquence du péché contre Dieu.

 

[…] En Israël, nous remarquons à l’origine l’absence d’un système pénitencier (la cité de refuge n’était pas une prison !). Ceci est intéressant à noter face au problème des prisons dans la société moderne. La punition, selon la loi mosaïque, fonctionnait par un système de restitution.

 

Nous pouvons donc retenir, en ce qui concerne la peine de mort, qu’il existe une continuité entre les alliances noachique et mosaïque. Les deux ont une fonction différente appartenant l’une au domaine de l’homme en général et l’autre au domaine particulier de l’histoire du salut. Cependant, les données de Genèse 9, en ce qui concerne le meurtre, bien qu’appartenant à l’alliance noachique, trouvent leur place de façon plus explicite dans l’alliance de grâce que Dieu a donnée à Israël par le ministère de Moïse.

 

 

2. La peine de mort dans le Nouveau Testament

 

Pour ce qui est du Nouveau Testament, deux questions se posent relatives à la peine de mort : la nouvelle alliance abolit-elle l’alliance avec Noé d’une part, et celle avec Moïse d’autre part ?[…]

 

Dans le Nouveau Testament, il n’y a pas de rupture radicale entre Création et Rédemption, ni entre l’alliance de Noé et la nouvelle alliance. En effet, le Christ, au moment de réaliser la nouvelle alliance, avertit l’un de ses disciples dans le sens de Genèse 9.6 que même ses disciples s’ils « prennent l’épée, périront par l’épée » (Mt 26.52).

 

Chacun sait que le Christ n’abolit pas la loi, mais qu’il l’accomplit. Le Christ lui-même accepte la peine de mort sur la croix en subissant le juste jugement de Dieu contre le péché de son peuple. Ainsi, il accomplit la purification par son sang versé pour nous. Le christianisme, il ne faut pas l’oublier, est dans son sens profond, une religion fondée sur une peine de mort. Le Christ fut « frappé par Dieu et humilié… le Seigneur a fait retomber sur lui la perversité de nous tous » (Es 53.4-6).

 

Est-ce que cette peine de mort abolit les autres ? Le Nouveau Testament ne donne pas une réponse directe à cette question. Dans l’enseignement de Jésus et de Paul, l’aspect négatif du sixième commandement est reformulé de façon positive dans Mt 5 .21-26 et Rm 12.8-9

 

La peine de mort et l’amour du prochain

 

On avance très souvent l’argument suivant : l’amour du prochain, qui est le contenu positif de la loi, doit annuler l’idée de la peine de mort. La difficulté de cette façon de voir consiste en ce qu’elle suppose une opposition entre l’amour et la justice […]. Or l’amour de Dieu n’exclut pas sa justice. […] Est-ce que Dieu aimant les hommes est rendu incapable d’être le juge des hommes ? […] Si l’amour de Dieu n’exclut pas la justice (de la peine de mort) est-ce que notre amour doit être autre qu’un amour qui s’exprime par référence à la justice ? Pour cette raison, il me semble très hasardeux de proposer que le principe d’amour doive de facto (et dans tous les cas) éliminer la peine de mort.

 

Le glaive du magistrat

 

magistratPaul, dans Rm 13.4, dit que «ce n’est pas en vain que le magistrat porte le glaive » (machaïra). Il est difficile d’éviter le fait que le glaive dans le Nouveau Testament soit fréquemment un instrument d’exécution […]. Il est dit que les autorités établies par Dieu sont servantes de Dieu 1…].

 

C’est en tant que « serviteur de Dieu » que l’autorité civile porte le glaive. Le glaive n’est ni symbole, ni moyen d’intimidation psychologique, mais instrument de la punition. (…) L’autorité a le droit de juger les infractions contre le bien public, sans pourtant porter atteinte à la liberté de conscience de l’individu.

 

L’apôtre semble indiquer que l’autorité civile peut (il ne dit pas doit) utiliser le glaive dans la punition, mais que cette possibilité ne justifie jamais l’abus, par lequel elle renoncerait au service du bien. L’abus de la peine de mort serait son application à des cas autres que celui du meurtre prémédité sans circonstances atténuantes […). Si dans Rm 13, Paul indique théoriquement quelle est l’autorité du magistrat, dans Actes 25.11, il met en pratique ce qu’il enseigne. Ainsi montre-t-il son attitude personnelle vis-à-vis de la peine de mort. Devant Festus, il déclare : « Si vraiment je suis coupable, si j’ai commis quelque crime qui mérite la mort, je ne prétends pas me soustraire à la mort. » […]

 

 

3. Quelques remarques pour conclure

 

  • II semblerait à première vue que le Nouveau Testament ne nous a pas fait beaucoup avancer par rapport à l’Ancien en ce qui concerne la peine de mort : c’est peut-être ce fait (ainsi qu’une certaine attitude envers l’Ancien Testament) qui empêche qu’il y ait unanimité entre les chrétiens sur la question. Ceux d’entre eux qui sont opposés à la peine de mort estiment que si elle est admissible dans l’Ancienne Alliance, elle ne l’est plus dans la Nouvelle qui repose sur l’amour […). Jésus n’abolit pas le 6ème commandement, il en radicalise même la portée lorsqu’il déclare : « Vous avez entendu qu’il a été dit aux anciens : Tu ne tueras point… mais moi je vous dis que quiconque dira à son frère : Insensé ! mérite d’être puni par le feu de la géhenne ». (Mt 5.21-22). Nous sommes donc tous sans exception, en un sens, dignes de la peine de mort ! Car le meurtre est dans nos cœurs à tous sous la forme de la haine, comme l’adultère l’est sous la forme de la convoitise. […]

 

  • La nouvelle alliance a été accomplie en Christ sur la base de l’ancienne, dans le contexte de l’ordre créé et re-institué du monde (Gn 1-3 ; 8.20 ; 9.17). Ainsi, dans le Nouveau Testament, la peine de mort n’existe-t-elle plus (comme c’est le cas dans la loi de Moïse) pour des infractions contre la pureté du culte (idolâtrie, blasphème), ni pour des péchés touchant aux actes sexuels associés au don de la vie (Jésus a institué le divorce dans le cas d’adultère – Mt 5.31-32 ; 19.9 – remplaçant ainsi la peine mosaïque). Ces fautes, qui avaient un sens religieux dans la société théocratique de l’ancien Israël, ont un sens tout différent dans un système où le royaume de Dieu ne s’identifie plus au royaume civil.

 

  • Le domaine de la sainteté de la vie fait exception. Son élément « religieux » particulier demeure constant […] car l’homme en tant que tel est une créature à l’image du Créateur. Ceci est inaliénable. […] On peut donc dire que le meurtre prémédité et conscient est le cas où peut se prononcer une peine de mort, sans ajouter pour autant que, dans tous les cas, il faille qu’il en soit ainsi. La tâche de juger sera délicate, les abus doivent être rigoureusement écartés, l’accusé doit bénéficier du doute si sa culpabilité n’est pas clairement démontrée, mais le principe en jeu doit être reconnu pour vraiment maintenir la dignité de l’homme […].

 

  • On s’étonne que dans les discussions sur la peine de mort, les partisans de son abolition ne fassent presque jamais allusion à Gn 9.6. […] Dire « II n’appartient pas aux hommes de fixer le moment de la mort d’une créature humaine » est difficilement compatible avec ce texte. […]

 

  • Quant à l’argument contre la peine de mort fondé sur l’espérance du repentir du criminel, c’est là quelque chose qui fait appel à nos sentiments de façon puissante ! […] Qu’il nous soit permis de demander en quoi consiste la vraie dignité de l’homme : est-ce de faire face à un jugement justement prononcé, c’est-à-dire de regarder la mort en face, ou est-ce de subir une dégradation progressive qui le réduit à l’état d’un animal en cage tout en l’affligeant « à perpétuité » du souvenir d’un crime ? A chacun de choisir sa réponse à cette question, difficile et stimulante.

 

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L’auteur du présent article est conscient que ces lignes seront bien accueillies par certains et seront anathèmes pour d’autres… Qu’importe ! La question ultime concerne la dignité de l’homme devant Dieu. Quand on considère l’homme en lui-même, on ne peut trouver de fondement justifiant le respect de sa vie. C’est en voyant en lui l’image de son Créateur que l’on comprendra les raisons du grand commandement sur l’interdiction du meurtre, un commandement qui repose sur la première vérité de l’homme : « Dieu a créé l’homme à son image. A son image il le créa » (Gn 1.27).

P.W.


NOTE

 

1. Cet article, trop long pour les colonnes de Servir, a été publié dans la revue Ichthus n° 69 de juillet 1977. Avec l’autorisation de l’auteur, nous donnons ici de larges extraits qui touchent l’essentiel de la démonstration.