La grâce, article à bon marché ?

 eau

 

Par Alain Kitt

 

 

La doctrine de la grâce, ou de la faveur imméritée de Dieu envers les pécheurs, a toujours eu ses détracteurs. « C’est trop facile, disent les uns, cela ne fait que nous encourager à continuer à suivre tous nos penchants, à laisser libre cours à nos désirs.

 

Pourquoi résister à la tentation, pourquoi lutter pour rester purs, si en tout cas Dieu va nous pardonner ? » D’autres tiennent un raisonnement différent, en disant que croire être sauvé uniquement par la grâce est trop simple, déresponsabilisant : n’avons-nous pas notre contribution à apporter, un «coup de pouce» à donner pour notre salut ?

 

Je voudrais vous rappeler l’expérience d’un homme de Dieu qui avait indiscutablement reçu la grâce dans sa vie, et qui a laissé le récit de cette expérience pour notre instruction. Il s’agit du roi David, et du récit rapporté en 2 Samuel 11 et 12. Nous allons considérer aussi deux psaumes de confession : le Psaume 51, qui est lié explicitement à ce récit, et le Psaume 32 dont les propos conviennent à la même situation.

 

 

Plus la grâce abonde…

 

David a péché de façon très grave. Il s’est éloigné de Dieu, s’est rendu coupable d’adultère, de meurtre et de mensonge (dans le chap. 11 qui rapporte ces événements, ce n’est qu’au dernier verset que le nom de Dieu est mentionné : ce que David avait fait déplut à l’Eternel. Par sa faute, il a donné aux incroyants l’occasion de mépriser le Seigneur (2 S 12.14, trad. en français courant). Malgré tout cela, nous entendons ces paroles étonnantes dans la bouche du prophète Nathan, envoyé pour reprendre David et le mettre en face péché : L’Eternel pardonne ton péché, tu ne mourras pas (2 S 12.13).

 

N’est-ce pas trop facile ? Dans ce  récit, ce n’est qu’après l’accusation de Nathan que David confesse son péché. Est-ce que cela veut dire qu’il agit de façon complètement cynique dans l’espoir de se faire pardonner ? Aurait-il confessé sa faute sans cette intervention du prophète ? La Bible ne répond pas à ces questions : « Que se serait-il passé si… ? »

 

 

Une prise de conscience

 

Les deux psaumes cités plus haut nous permettent de mieux comprendre l’état d’esprit de David. Les paroles du Ps. 32.3-4, par exemple, ne sont pas celles d’un homme endurci qui n’écoute plus la voix de sa conscience. Extérieurement, il a peut-être réussi à faire semblant que tout allait bien, mais intérieurement il est tourmenté, ses forces physiques s’en ressentent, il en perd le sommeil. Même si cela nous semble trop facile, tout porte à croire que la confession de David (J’ai péché contre l’Eternel (2 S 12.13) est tout à fait sincère, et qu’il n’y a pas de fraude dans son esprit (Ps. 32.2).

 

colombeIl a certainement triché au cours des mois précédents, mais maintenant ce n’est plus le cas : l’Esprit de Dieu a sondé son cœur, l’amenant à voir la vérité en face, à la confesser et à se détourner résolument du mal. Ce n’est qu’après cela que David peut recevoir l’assurance du pardon et jouir de nouveau de la communion avec Dieu qui faisait auparavant sa joie.

 

Je crois que cela devient encore plus clair si nous lisons le Psaume 51, dont voici les premières paroles : O Dieu, fais-moi grâce… David n’exige rien, il ne considère pas que le pardon serait une chose due. Ses paroles sont une supplication : le roi ne compte que sur la grâce gratuite de Dieu. Elles peuvent nous faire penser à la prière du péager justifié dans la parabole de Lc 18.9-14 : O Dieu, sois apaisé envers moi, pécheur. Ici, pas d’arguments, pas d’excuses du genre « c’était plus fort que moi » ou « tout le monde le fait, je ne suis pas pire que les autres ». David en appelle tout simplement à la compassion de Dieu. Sa confession n’est pas superficielle, provoquée par les paroles de Nathan : son cœur est brisé et contrit (v.19), un état d’esprit qu’il est impossible de simuler de façon artificielle ou éphémère.

 

 

Une éradication complète

 

David veut que son cas soit traité en profondeur. Il reconnaît que les crimes dont il est coupable ne sont que la manifestation extérieure de ce qu’il est par nature. Il dit être « né dans la faute », « conçu dans l’iniquité » : autrement dit, le péché est enraciné au plus profond de son être, seul Dieu peut l’en extirper. C’est pourquoi il ne demande pas seulement le pardon, il confesse aussi son besoin de l’intervention de Dieu pour qu’il soit purifié. Dans sa grâce, Dieu lui répond : il renouvelle en lui l’esprit bien disposé qu’il a demandé, lui rend la joie du salut, et lui accorde de nouveau le privilège d’enseigner aux pécheurs les voies du Seigneur.

 

Par crainte de perdre l’estime des autres, David avait joué la comédie pendant des mois, en accomplissant ses devoirs politiques et religieux comme si de rien n’était. Mais il a découvert que Dieu est la seule personne qu’il faut craindre, il a cessé d’essayer de « couvrir » ses fautes avant d’être convaincu que seul Dieu peut le faire (PS. 32.1,5). Il a subi pendant le reste de sa vie les conséquences de sa folie et de sa désobéissance, mais cela ne l’a pas empêché d’être pleinement assuré de l’amour de Dieu pour lui.

 

 

Dieu reste juste en grâciant

 

Malgré le témoignage de ces deux psaumes, il reste des questions en suspens : Sur quelle base Dieu peut-il pardonner de la sorte ? Est-ce qu’il ne laisse pas de côté sa justice dans ce cas ? Il est évident que pour des fautes aussi graves que celles commises par David, les sacrifices d’animaux préconisés dans l’Ancien Testament ne procurent pas en eux-mêmes la purification. C’est la révélation de la grâce de Dieu en Jésus-Christ qui apportera la réponse à ces questions, car bien que la grâce soit présente dans l’Ancien Testament, c’est le Nouveau qui montrera comment Dieu a pu laisser impunis les péchés commis auparavant au temps de sa patience, sans renoncer à sa justice parfaite (Rm 3.25).

 

La grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ, s’est émerveillé l’apôtre Jean, qui a vu de ses yeux l’Agneau de Dieu qui ôte le péché du monde (Jn 1.17,29). Le Nouveau Testament nous rappelle constamment que c’est par la grâce que nous sommes sauvés, que cela ne vient pas de nous-mêmes, que ce n’est pas parce que nous aurions accompli des œuvres de justice (Ep 2.8 ; Tt 3.5, pour ne nommer que deux passages consacrés à ce sujet). Je ne veux pas m’étendre davantage là-dessus, mais je voudrais réfléchir aux conséquences de notre expérience de la grâce de Dieu.

 

 

Une grâce agissante

 

Les objections mentionnées au premier paragraphe ne sont pas nouvelles : l’apôtre Paul a dû défendre la doctrine de la grâce contre ceux qui disaient qu’elle rendait la vie trop facile et encourageait l’immoralité, puisque Dieu pardonne toujours. En fait, dit l’apôtre, si notre expérience de la grâce de Dieu est réelle, notre vie entière en est bouleversée. L’idée selon laquelle nous pourrions recevoir la grâce de la part de Dieu et continuer à vivre comme auparavant est fausse : c’est la doctrine de ceux qui changent en dérèglement la grâce de notre Dieu (Jude 4), une doctrine qui mène à la perdition.

 

La véritable grâce de Dieu a un tout autre effet : elle donne à ceux qui la reçoivent le désir de vivre autrement que pour leurs passions et pour leur propre bien-être. La grâce de Dieu est active dans nos vies. En écrivant à son ami Tite, l’apôtre Paul compare la grâce à un éducateur qui ne se contente pas d’enseigner des faits, mais qui cherche à influencer ses élèves pour le bien (Tt 2.11-14). Elle nous enseigne à renoncer à notre ancienne manière de vivre et à nous appliquer à être agréables à Dieu et utiles aux hommes.

 

Après l’expérience qui est à l’origine des deux psaumes cités ci-dessus, David avait tellement horreur du mal qu’il ne pouvait tout simplement pas envisager de continuer à le pratiquer. Les offenses qu’il avait commises étaient des offenses contre l’amour d’un Dieu qui l’avait comblé de biens. Comme nous l’avons vu, la grâce qu’il a demandée au Seigneur comprenait le pardon de ses fautes et le renouvellement de tout son être : une nouvelle création, en somme (Ps 51.12). La grâce dont bénéficient les chrétiens ne peut pas être moindre : l’amour et les bienfaits dont le Seigneur nous a comblés sont bien supérieurs à ce que David a connu. Notre réponse à la grâce que nous avons reçue ne doit pas être moins radicale que la réponse de David.

 

Seigneur, fais-moi comprendre que la grâce que tu m’as manifestée en Jésus, et qui se renouvelle sans cesse, doit faire de moi une personne nouvelle, prompte à faire ta volonté.

 

A.K.