Temoignage

 

 

 

 

Du désespoir à la lumière

 nuit-lumiere

 

 

par Yves RAOUX


« L’affliction produit la persévérance, la persévérance la victoire dans l’épreuve, et cette victoire l’espérance. » (Rm 5.3-4)

 

 

J’ai commencé à ressentir les premiers symptômes de cette terrible maladie en 1988. J’étais mélancolique, irritable, souvent découragé, et j’éprouvais de moins en moins de goût pour la vie. Cette maladie, la dépression nerveuse, je veux la désigner par son nom. La chape de silence dont elle est encore accompagnée, souvent même dans l’entourage immédiat du malade, à cause des préjugés et de l’assimilation à la folie, accroît considérablement les souffrances du malade.

 

Avant cette funeste année 1988, vraiment rien ne me prédisposait à sombrer dans une longue errance où le nihilisme m’a semblé être la seule solution. Mon enfance avait toujours été heureuse avec des parents attentifs et très unis. Ma femme et moi étions toujours très amoureux l’un de l’autre après 13 ans de mariage et nos deux enfants nous donnaient toute satisfaction. Etant ingénieur en aéronautique avec la sécurité de l’emploi, j’étais à l’abri de tout besoin matériel. Enfin, je pouvais assouvir sans retenue ma passion pour le sport cycliste, exercice pour lequel j’avais, à mon modeste niveau, manifesté quelques dons.

 

Enfin et surtout, Dieu m’avait rencontré à l’âge de 18 ans et je l’avais accepté avec l’enthousiasme de découvrir la réalité d’une relation personnelle et vivante avec lui.

 

Cependant, j’ai toujours eu une grande fragilité nerveuse et deux événements sont venus bouleverser très gravement et durablement le cours paisible de ma vie : tout d’abord, j’ai obtenu en 1982, une promotion professionnelle qui s’est révélée à l’usage très décevante. Je ne veux pas même (ce qui caractérise souvent les entrer dans des détails qui n’apporteraient rien de plus à mon propos. Ensuite, j’ai fait en 1988 une grave chute à vélo qui a mis fin à mes activités sportives ambitieuses.

 

Ces deux accidents de la vie sont peu graves en eux-mêmes et je le reconnais sans difficulté. Pas de quoi basculer dans l’enfer de la dépression quand on a tout pour être heureux !

 

Et pourtant le psychisme de l’être humain est complexe et je n’échappe pas à la règle. J’ai entendu parler récemment d’une jeune femme souffrant de graves troubles psychiques depuis le jour où elle a été griffée par un chat.

 

J’ai, d’une part, toujours eu une très grande fragilité nerveuse et d’autre part l’énergie colossale que je dépensais dans le sport n’était finalement qu’un palliatif à une vie que je percevais intérieurement comme peu satisfaisante. Mais de cela, je ne me suis rendu compte que trop tard.

 

En 1989, mon état s’est rapidement détérioré jusqu’au jour où un médecin a diagnostiqué le mal dont je souffrais, mal dont je n’appréhendais pas encore la gravité.

 

J’étais alors de plus en plus souvent sujet à des crises d’angoisses qui produisaient des souffrances indescriptibles et que seuls peut-être ceux qui les ont connues peuvent soupçonner. Dans ces moments, j’ai eu la chance d’avoir une épouse fidèle et compréhensive qui vivait, elle aussi, une bien pénible épreuve.

 

Dans la nuit du 22 novembre 1989, Dieu m’a parlé et m’a consolé : oui, j’en suis sûr 5 ans après, bien que mon caractère et ma formation scientifique me conduisent naturellement à adopter un comportement prudent à propos d’expériences dans lesquelles le psychisme peut jouer un grand rôle sans que la personne, a priori honnête, ne s’en rende compte.

 

Oui, c’est sûr, Dieu m’a parlé cette nuit-là parce qu’il m’a réconforté, il m’a montré que je ne devais plus être centré sur moi- même (ce qui caractérise souvent les déprimés) et fait une promesse qui s’est aujourd’hui réalisée. Cette nuit-là, j’étais en proie à des tourments horribles, des angoisses qui pouvaient me conduire à tout moment à commettre un geste irréparable. Du reste, j’ai été hospitalisé d’urgence le lendemain, et ceci pour de longues semaines.

 

Dieu a utilisé une image très parlante pour moi, image liée à mon activité professionnelle de pilote d’avion : dans une couche nuageuse, tout pilote, aussi chevronné soit-il, doit impérativement obéir non à ses sensations propres mais aux indications des instruments de bord, au risque de provoquer une catastrophe. Il doit opérer une sorte de transfert de responsabilité. L’image était claire pour moi : je devais remettre toute ma vie à Dieu alors que j’avais tendance à vouloir la piloter tout seul. Mais que la promesse était belle puisque cette soumission aboutirait à une délivrance symbolisée par la sortie des nuages et le vol en ciel clair !

 

Et ce sera long, Seigneur ? Pas de réponse.

 

Merci, Seigneur, de ne pas m’avoir dit alors qu’il y en aurait encore pour 5 ans. Je ne l’aurais pas supporté…

 

Ces années ont été faites de périodes de répit et de relatif bonheur où la promesse était toujours bien présente et pendant lesquelles j’ai appris à espérer.

 

Cependant, j’ai connu des périodes de terribles rechutes, rechutes qui me foudroyaient parfois en pleine activité et en quelques secondes. J’étais souvent en arrêt de maladie, je perdais toute volonté et je me culpabilisais de façon totalement injustifiée, notamment à propos de mon travail et des souffrances que je faisais endurer, bien malgré moi, à mes proches.

 

La perte de volonté du dépressif est un symptôme tellement réel et si peu compris par l’entourage que cette incompréhension ajoute encore à la souffrance du malade. J’ai peine à réaliser aujourd’hui que je n’accomplissais des tâches banales (aller chercher le courrier à la boîte aux lettres par exemple), qu’au prix d’efforts très coûteux ! Non, l’état de prostration du dépressif n’est pas du tout un effet de style et un comportement volontaire pour attirer l’attention.

 

Ce mal est souvent assimilé à tort à un état de démence potentiel ou déclaré,. Il n’en est rien, la dépression est une maladie nerveuse durant laquelle le malade peut croire, à tort, qu’il devient fou. Les conséquences sont, bien sûr, des souffrances morales indescriptibles.

 

A contrario, l’état de démence n’est souvent pas perçu comme tel par le malade.

 

Je réalise aujourd’hui, peut-être pas en totalité, combien j’ai été gardé par Dieu pendant ces années d’épreuves. Evoquer ces manifestations de l’amour divin constitue pour moi une louange adressée à mon Sauveur.

 

Mon couple et ma famille ont été préservés, ce qui n’est pas si fréquent. Mes enfants ont souffert mais ont poursuivi des études brillantes pendant tout ce temps d’épreuves.

 

Mes arrêts de travail n’ont pas été trop longs, ce qui aurait été très néfaste dans mon cas, et j’ai pu reprendre aujourd’hui une activité professionnelle normale.

 

J’ai pu conserver mes qualifications de pilote d’avion. Ce maintien de mon niveau de technicité, alors que je versais presque toujours dans une auto dévaluation stérile et destructrice, demeurait souvent la seule référence positive sur mes aptitudes professionnelles.

 

Je me souviens d’une bénédiction merveilleuse : j’ai passé une visite médicale, obligatoire pour tout pilote, avec le médecin du travail et alors que j’étais hospitalisé ; pour ces deux raisons, j’étais sûr de courir à l’échec. Ce médecin connaissait mon état ; les doses massives de médicaments me donnaient des troubles de l’équilibre et une forte dilatation des pupilles. Une bonne vue et une absence de troubles de l’équilibre sont des conditions obligatoires pour piloter un avion. Je ne comprends toujours pas, je rends grâce à Dieu.

 

J’ai été suivi pendant 30 mois par un psychothérapeute, un chrétien engagé que je dois remercier aujourd’hui pour son aide. Lors d’une séance qui fut la dernière, je lui ai dit que je n’avais jamais perdu la foi pendant ces 6 années ; mon propos l’a quelque peu étonné. Il m’a alors demandé si je n’avais jamais perdu l’espérance, et j’ai été obligé de répondre par l’affirmative.

 

Après réflexion, j’ai découvert que ma foi était statique dans cette tourmente, comme une bouée de sauvetage, sans autre espérance que la survie immédiate. C’était nécessaire pour arriver à survivre, pas suffisant pour guérir et pour vivre de la vie du Christ.

 

Vivre de l’espérance mentionnée par l’apôtre Paul rend, au contraire, la foi vivante, dynamique et aide à ne pas rester centré sur sa personne.

 

Cette longue épreuve et la réalité de la souffrance restent pour moi en partie mystérieuses mais les souffrances du Christ Sauveur m’ont aidé à comprendre toute la dimension du salut : Jésus torturé par les angoisses du jardin des Oliviers, Jésus entrant en agonie à ce moment-là. Ses angoisses étaient pour le salut du monde. Les miennes accentuaient mon repli sur moi-même.

 

Aide-moi, Seigneur, à utiliser cette expérience pour te servir et pour montrer que la souffrance, malgré son mystère, ne conduit pas au néant et peut rapprocher de toi…

 

Y.R.