D’Egypte en Sinaï

 

 

par Pierre WHEELER

 


Si les textes sacrés racontant les grandes étapes historiques de la vie des Israélites, de la sortie d’Egypte au désert du Sinaï, abondent en détails de tout genre, l’archéologie ne nous éclaire que sur quelques événements mentionnés dans la Bible.

 

 

Un facteur important qui complique un commentaire archéologique de cette période d’histoire sainte, est la date  de  l’Exode,  cette sortie d’Israël du pays d’Egypte. Historiens et exégètes – qu’ils soient protestants ou catholiques, profanes ou évangéliques – proposent principalement deux dates, séparées d’environ deux siècles. Certains érudits placent cet  exode d’Egypte au 15e siècle avant J.-C. (proposition couramment appelée « chronologie longue ») ; d’autres le placent au  13e siècle, (chronologie dite « courte »1 ).

 

Dans cet article nous ne prônons ni l’une ni l’autre de ces chronologies2 . Nos remarques se rapportent à l’ensemble de cette époque importante et ont pour but de démontrer que, dans une grande mesure, les textes bibliques s’inscrivent dans le contexte historique général de cette période, celle révélée par des découvertes archéologiques au Proche-Orient. En même temps nous ne voulons diminuer en rien les hauts faits de notre Dieu quand il a sauvé Israël « à main forte et à bras étendu », ni la spécificité des lois et des ordonnances que Moïse a enseignées à ce peuple (voir Dt 26.8 ; 4.5-6).

 

Nous présentons donc un certain nombre de commentaires d’ordre général, attestant tous, directement ou indirectement, l’historicité de cette grande époque de Moïse.

 

 

1. Les faiseurs de briques

 

Les dessins et textes de l’Egypte ancienne confirment de façon remarquable les détails du livre de l’Exode racontant comment les Hébreux furent employés à fabriquer des briques en mélangeant la boue du Nil avec de la paille ou du chaume. Le dessin ci-contre, tiré d’une peinture tombale à Thèbes, 1450 avant J.-C., montre les étapes de cette fabrication. L’un des esclaves est sémite. Notons aussi le « chef de corvée ».

 

Les briques étaient souvent estampillées du nom du pharaon régnant. On a exhumé dans le delta du Nil des briques portant le nom de Ramsès II – l’un des pharaons proposé par les promoteurs de la chronologie courte.

 

Certains textes de l’époque parlent de la quantité de briques à fabriquer par équipe d’ouvriers. Un autre compte-rendu officiel constate que 40 ouvriers n’ont pas produit le nombre de briques exigé. Les textes bibliques, parlant de la fabrication des briques par les esclaves hébreux, n’exagèrent donc en rien à ce sujet.

 

 

Des fabricants de brique égyptiens

(Peinture murale dans une tombe de Thèbes)

 

1. L’eau est tirée d’une mare.

2. Mixage de la boue à l’aide d’une sorte de houe.

3. La boue préparée est portée à ceux qui moulent les briques.

4. Moulage des briques que l’on dispose en ran-gées sur le sol pour le séchage.

5. Esclave réparant son outil ou construisant un mur.

6. Surveillants le bâton à la main.

7. Stockage des briques sèches, et transport à l’aide d’un balancier.

8. Retour d’un porteur avec son balancier vide.

 

 

2. La stèle de Merneptah

 

Le nom « Israël » n’avait été découvert dans aucune inscription historique gravée sur les murs des monuments égyptiens. Au siècle passé, des non-croyants ont présenté ce fait comme « preuve » que l’histoire d’Israël dans l’Exode n’était que légendaire. Mais quand, en 1896, sur une stèle de Merneptah, souvent appelée aujourd’hui « Stèle d’Israël », on déchiffra la phrase : « Israël est ravagé, sa semence est détruite », une révision de cette thèse s’imposa, même si la signification de la phrase restait difficile à comprendre.

 

Il s’agissait probablement d’un raid en Palestine de Merneptah, le pharaon successeur de Ramsès II, vers 1200 avant J.-C., après la conquête de la Terre Promise sous Josué. Le silence du livre des Juges à ce sujet ne constitue pas un argument valable pour soutenir que cette incursion égyptienne n’ait pas eu lieu, car le livre des Juges ne prétend pas donner l’histoire complète d’Israël pendant cette période. D’ailleurs l’auteur du livre parle de plusieurs « petits » juges, sans nommer l’ennemi qu’ils ont repoussé.

 

 

3. Le culte lévitique

 

Théologiens et exégètes modernistes ont souvent annoncé que le rituel et le culte d’Israël présentés dans le Pentateuque sont anachroniques. Ils ont affirmé, et parfois affirment encore, que la plupart des cérémonies mentionnées ont été rédigées par d’autres auteurs que Moïse, qui vivaient à une autre époque, plutôt celle de l’Exil, au VIe siècle avant J.-C.

 

Cependant d’autres peuples que les Israélites avaient à cette même époque de l’Exode et de la Traversée du Désert, des systèmes cultuels très semblables à celui que l’Eternel donna à Israël par Moïse. Des tablettes trouvées à Hattousa (Bogaz-kôy), ville hittite (en Turquie), ainsi que d’autres provenant d’Emar (en Syrie), fournissent maints détails au sujet des cultes hittites et émariotes, dont certains rappellent ceux des Israélites. Les fouilles entreprises à Ugarit, ou Ras Shamra (en Syrie), révèlent le même genre de découvertes.

 

Les textes ugaritiques emploient un vocabulaire étonnamment semblable à celui du Lévitique pour les différents types d’offrandes. Il n’y a donc aucune raison de donner une date plus récente aux textes bibliques de l’Exode et des Nombres. Les principes religieux de ces livres bibliques font partie d’un ensemble cultuel commun à l’époque de Moïse et de l’Exode.

 

Il en est de même pour certaines lois civiles et morales. Il existe beaucoup d’analogies entre le Code l’Hammourabi (1800 avant J.-C.), et la Loi de Moïse. Aussi certains historiens « accusent-ils » Moïse d’avoir fait des emprunts ! Mais des cultures analogues sont plus ou moins forcées de rédiger leurs codes civils de la même façon, traitant les mêmes sujets, quand il est question du même type de société. Toutefois, un examen attentif des codes d’Hammourabi et de Moïse révèlent la supériorité de la Loi de Moïse : celle-ci attribue plus de valeur à la vie humaine.

 

 

4. Le Tabernacle

 

Les Egyptiens fabriquaient des espèces de tabernacles mobiles, faits de bois et de couvertures de peaux. Ils servaient de sanctuaire pour leurs divinités. Toutankhamon possédait aussi un coffret en bois, muni d’anneaux et de barres pour en faciliter le transport. Le dessin ci-contre donne un aperçu d’un autre coffret sacré. Toutefois le tabernacle de Moïse n’était pas d’inspiration égyptienne : Moïse l’avait construit « d’après le modèle qui lui avait été montré sur la montagne » (Hé 8.5), et dont nous avons une vision plus conforme encore dans l’Apocalypse (chap. 4), puisqu’il s’agit là de réalité spirituelle !

 

Cependant, il est intéressant de relever, au point de vue historique, ce qui est semblable dans la forme de ces religions différentes, tout en reconnaissant l’énorme différence dans le fond.

 

tables-loiCette différence quant au fond, nous permet justement de redire que rien n’infirme le fait que Moïse transmit aux Israélites une loi d’origine divine. Le Deutéronome indique même que les autres nations n’ont pas eu d’ordonnances aussi justes que celles d’Israël (voir Dt 4.8), mais cela ne signifie pas que les païens du Proche-Orient n’avaient ni loi ni culte. Les notions de moralité et de sacrifices pour le péché remontent jusqu’à Adam. Que d’autres peuples aient donc inventé des systèmes de sacrifices pour soulager les consciences troublées par le péché, n’a rien d’étonnant.

 

 

 

5. Polythéisme cananéen

 

Des textes trouvés à Ras Shamra contiennent des chants et des poèmes mythologiques, parlant de El le dieu suprême, de Baal, d’Asherah, etc. Cette littérature nous aide d’abord à mieux saisir les problèmes qu’Israël allait rencontrer une fois dans la Terre Promise, et également à comprendre l’extrême sévérité de l’Eternel vis-à-vis des Cananéens eux-mêmes. Aucun compromis ou alliance ne devait exister entre le polythéisme grossier cananéen et le monothéisme Israélite. Si Israël avait su obéir pleinement aux ordonnances du Deutéronome, son histoire aurait été tout autre, mais comme le livre des Juges le démontre, Israël fut continuellement séduit par ces autres dieux, en oubliant l’Eternel.

 

 

6. Quelle écriture Moïse a-t-il employée pour rédiger la Loi ?

 

Des découvertes en 1905 à Sérabit-el-Khadem, par Flinders Pétrie, dans le S.-O. de la presqu’île du Sinaï, ont révélé une nouvelle façon d’écrire. Elle porte le nom de proto-sinaïtique. Ces inscriptions sont importantes car elles sont rédigées en écriture alphabétique. Elles datent d’environ 1500 avant J.-C., donc avant l’Exode.

 

Des tablettes de Ras Shamra, qui sont datées d’environ 1400 avant J.-C., révè-lent aussi l’emploi d’un alphabet. Notons que l’invention de l’alphabet – peut-être la plus sensationnelle des inventions humaines – a tout bouleversé pour la lecture et l’écriture. Auparavant la connaissance de ces disciplines appartenait à une élite. Avec l’invention de l’alphabet, elles sont devenues accessibles à une beaucoup plus large tranche de la population, et n’étaient plus le monopole des scribes.

 

Aussi quand Moïse ordonna aux futurs rois d’Israël d’écrire chacun leur propre copie de la Loi de Dieu, c’était tout à fait faisable (Dt 17.18). Lorsque dans le Deutéronome Moïse disait aux propriétaires de maison d’écrire « ces commandements » sur les poteaux de leurs demeures, c’était tout à fait à leur portée (Dt 6.9 ; 11.26). Le détail donné dans le livre des Juges au sujet du jeune homme qui mit par écrit pour Gédéon les noms des 77 chefs et anciens de Succoth, n’a rien d’étonnant non plus (Jg 8.13-14). Mais nous devons admettre que si les fouilles archéologiques n’avaient pas révélé cette grande invention de l’alphabet, ces textes bibliques seraient restés pour nous très surprenants, puisque la connaissance de plusieurs centaines de signes hiéroglyphes ou de combinaisons cunéiformes, nécessaires pour savoir écrire, était loin d’être à la portée de la plupart des Hébreux.

 

C’est pourquoi nous n’hésitons pas, en terminant la première partie de cet article, à affirmer que le Créateur de toutes choses a providentiellement permis que des scribes quelconques et inconnus créent des alphabets, juste au moment où l’Eternel donna sa merveilleuse Loi à un peuple qui devait la lire et la méditer « nuit et jour ». L’alphabet a rendu la chose possible. Notre Dieu est Maître de toute l’histoire humaine, même des détails.

 (à suivre)

P.W.


NOTES

 

1.  Ouvrages proposant la chronologie longue : Nouveau Dictionnaire Biblique, (Emmaüs, 1979). Gleason Archer, Introduction à l’A. T, (Emmaüs, 1978). Ouvrages proposant la chronologie courte : J.-A. Thompson, La Bible et l’Archéologie, (Ligue, 1975). Nouveau Commentaire Biblique, (Emmaüus, 1978). K.-A. Kitchen, Traces d’un monde. (RB.U, 1980). A. Millard, Trésors des temps bibliques, (Sator, 1986). Atlas de la Bible, (Sator, 1986).

 

2. Si les lecteurs de « Servir » le croyaient utile, nous serions prêts dans un autre article à présenter ces deux chronologies. Le sujet est captivant, surtout pour les amateurs d’histoire ancienne et de chronologie biblique.