Que penser de la doctrine des peines éternelles ?

 

 

 

ALFRED KUEN

LES CAVALIERS DE L’APOCALYPSE A. DURER

Voilà un sujet que l’on préférerait passer sous silence. Aussi dans une trentaine de livres chrétiens (en trois langues) qui répondent à des questions difficiles, il s’en trouve à peine un ou deux qui l’évoquent brièvement. Pourquoi cette réticence ?

 

 

 

 

Que penser de la doctrine des peines éternelles ?  Ces deux mots : « peines éternelles », évoquent dans nos mémoires des visions moyenâgeuses de diablotins qui attisent le feu sous d’immenses chaudrons dans lesquels mijotent les malheureux damnés. Et puis : comment concilier un Dieu d’amour avec la torture éternelle de gens, simplement parce qu’ils n’ont pas cru en lui ?

 

Cette question est délicate et il y a des positions variées, même parmi les évangéliques.

 

Avant de nous lancer dans l’examen des (rares) passages bibliques qui abordent le sujet, pénétrons-nous des vérités que la Bible ne manque pas de nous répéter de la première à la dernière page : Dieu est amour, il est saint et il est juste. Il ne veut pas qu’un seul périsse (2 Pi 3.9). Mais il a créé l’homme semblable à lui, c.-à-d. libre, capable d’accepter ou de refuser son amour. Il saura certainement trouver une solution qui conciliera son amour, sa sainteté et sa justice, et qui sera acceptée par tous.

 

Ayant ces certitudes, ne nous querellons pas et ne nous divisons donc pas au sujet de questions qui concernent un avenir qui nous échappe. Ce qui est caché est réservé à l’Éternel notre Dieu. Par contre, nous sommes concernés pour toujours par ce qui a été révélé, par toutes les paroles de cette Loi quil nous faut appliquer (Dt 29.29).

 

Il y a deux questions : Y a-t-il des peines éternelles ? En quoi consistent ces peines ?

 

 

1° Y a-t-il des peines éternelles ?

 

D’après l’universalisme, il n’y en a pas : tout le monde sera sauvé (comme le dit une chanson : « Nous irons tous au paradis »). Tel n’est pas le message de la Bible.

 

Le catholicisme traditionnel dit qu’après la mort, il y aura soit le salut, soit l’enfer, soit le purgatoire qui est une peine transitoire suivie du salut. Le feu servirait à purifier les âmes de leurs péchés et, après un temps plus ou moins long dans ce feu purificateur (« purgatoire »), ils rejoindraient les élus.

 

Cette doctrine n’a été officialisée qu’en 1439 au Concile de Florence et ne devint article de foi dans l’Église catholique que lors du Concile de Trente en 1563. C’est dire qu’elle ne fait pas partie de la foi transmise une fois pour toutes à ceux qui appartiennent à Dieu (Jude 3). D’autre part, être purifié du péché par ses souffrances serait finalement un salut par les oeuvres ; or, d’après la Bible, seul le sang du Christ versé pour nous sur la croix peut expier notre péché et nous en purifier (Hé 9.26 ; 10.17-18 ; 1 Jn 1.7- 9) et l’homme est justifié gratuitement par sa grâce … par la foi, sans les oeuvres (Rm 3.23, 28). Dans la vision de la fin qu’offre Ap 20.12-15, il n’y a que ceux qui sont écrits dans le livre de vie et ceux qui ne s’y trouvent pas et qui rejoignent le diable dans d’étang de feu éternel (cf. Mt 25.41 ; Mc 9.43). C’est ce que disait déjà Jésus : Qui place sa confiance dans le Fils possède la vie éternelle. Qui ne met pas sa confiance dans le Fils ne connaît pas la vie ; il reste sous le coup de la colère de Dieu (Jn 3.36).

 

D’après le « conditionnalisme » et « l’annihilationnisme », la vie éternelle se trouve seulement en Dieu ; celle des humains est conditionnée par la foi ; ceux qui ne croient pas seront jugés au jugement dernier, jetés dans l’étang de feu puis détruits à la seconde mort, c.-à-d. qu’ils cesseront d’exister. Certains évangéliques comme J. Wenham et J. Stott ont défendu ces positions. J. Stott s’appuie sur le verbe apollumi et le nom alethros qui signifient détruire, extinction de l’être. Ceux qui s’opposent à cette interprétation disent qu’ils peuvent aussi signifier perte et que si les apôtres avaient voulu enseigner l’annihilation, ils auraient pu employer les verbes exaleiphô (effacer) ou sbennumi (éteindre).

Certains font le parallèle avec notre mort physique : après notre enterrement, notre corps est progressivement détruit ; ainsi la seconde mort détruira aussi progressivement notre être spirituel. D’ailleurs, le feu et le ver détruisent. Ce point de vue « destructionniste » rejoint les deux précédents. Ceux qui argumentent de cette manière s’appuient sur les différents sens du mot aiônios traduit dans nos Bibles par éternel. Ce mot peut désigner un temps limité ou illimité. Le présent aiôn (monde présent) aura bien une fin ; donc pour eux aiônios peut aussi se référer à une période limitée. La Septante traduit par aiônios les collines éternelles de Ha 3.6. Or, nous savons que leur durée sera la même que celle de notre terre. Alors, pourquoi vouloir que la « damnation éternelle (aiônios) » (Mc 3.29) dure éternellement ? L’objection à cet argument est le fait que aiônios s’applique aussi à Dieu (Rm 16.26), à Jésus-Christ (2 Tm 1.9 ; 2.10) et au Saint-Esprit (Hé 9.14), ainsi que des dizaines de fois à la « vie éternelle » qui sera notre « gloire éternelle » (2 Tm 2.10 ; 1 Pi 5.10). Si la condamnation ne doit durer qu’un temps, alors qu’en sera-t-il de notre vie, notre consolation, notre salut éternels ? Le parallélisme entre les deux formules plaiderait en faveur d’une durée illimitée. D’ailleurs, le feu ne détruit pas toujours (Ex 3 : le buisson ardent ; Dn 3 : les amis de Daniel dans la fournaise).

 

La position évangélique classique affirme l’existence des peines éternelles en s’appuyant sur les textes suivants :

Dans la parabole des talents, le verdict sur le mauvais serviteur sera : Quant à ce vaurien, jetez-le dans les ténèbres du dehors, où il y aura des pleurs et d’amers regrets (Mt 25.30). Lors du jugement dernier, Jésus se tournera vers ceux qui seront à sa gauche : Retirez-vous loin de moi, vous que Dieu a maudits, et allez dans le feu éternel préparé pour le diable et ses anges… Et ils s’en iront au châtiment éternel. Tandis que les justes entreront dans la vie éternelle (Mt 25.41, 46). Ailleurs, Jésus caractérise ce lieu comme étant l’endroit où le ver ne meurt point et le feu ne s’éteint pas (comme dans la vallée de la géhenne) (Mc 9.48 citant Es 66.24).

 

Le passage dans lequel Jésus lève un peu le voile sur l’au-delà est celui du mauvais riche et du pauvre Lazare (Lc 16.19-31). Jésus dit qu’entre ceux qui sont dans le séjour des bienheureux et ceux qui se trouvent dans le lieu de tourment  il y a un immense abîme et, même si on le voulait, on ne pourrait ni le franchir pour aller d’ici vers vous, ni le traverser pour venir de chez vous ici (Lc 16.26) . Certains disent que c’est une parabole et qu’on ne peut pas en déduire des affirmations doctrinales. D’autres répliquent que Jésus a nommé l’un des personnages et que c’est plutôt un récit ; mais même si c’était une parabole, Jésus n’y aurait pas mentionné des faits contraires à la vérité.

 

Quelle que soit la nature de ce passage, nous pouvons en déduire :

1) qu’après la mort, la vie continue de manière consciente ;

2) les deux hommes sont dans des lieux différents : l’un d’eux souffre, l’autre est consolé ;

3) il n’y a pas de passage d’un lieu à l’autre ;

4) le seul moyen d’éviter d’aboutir dans le lieu de tourment, c’est de tenir compte de l’Écriture sainte.

 

Nous remarquons aussi que le mauvais riche ne dit pas qu’il subit injustement son sort et il ne demande pas de sortir de ce lieu de tourment, car, pour cela, il devrait se repentir de sa vie égoïste passée ; or la repentance est un don de Dieu (Ac 11.18) et Dieu ne l’accorde plus à ceux qui l’ont méprisée durant leur vie.

 

L’apôtre Paul enseigne que lorsque le Seigneur Jésus apparaîtra du haut du ciel, avec ses anges puissants et dans une flamme, ce jour-là, il punira comme ils le méritent ceux qui ne connaissent pas Dieu et qui n’obéissent pas à l’Evangile de notre Seigneur Jésus. Ils auront pour châtiment une ruine éternelle, loin de la présence du Seigneur et de sa puissance glorieuse (2 Th 1.7-9). L’Apocalypse mentionne plusieurs fois la peine des réprouvés (14.9-11 ; 20.10), la caractérisant de « seconde mort » (20.15 ; 21.8). Si la doctrine des peines éternelles heurte notre sens de l’amour de Dieu, les solutions destructionnistes et annihilationnistes semblent s’opposer à la justice de Dieu. Serait-il juste qu’un Hitler responsable de la torture et de la mort de milliers de victimes soit simplement « annihilé » après sa mort ?

 

 

2° En quoi consistent les peines éternelles ?

 

Ce qui nous effraie dans ces versets, c’est que nous les lisons avec la vision que les prédicateurs du Moyen Àge y ont surimprimée pour effrayer les incroyants. Correspond-elle à ce que dit le texte ? Il parle d’une « seconde mort ». Qu’est la première mort ? Une séparation d’avec tous ceux que nous avons aimés et, pour eux : une absence éternelle. La seconde mort ne serait-elle pas la séparation d’avec Dieu, l’absence éternelle de communion avec lui ? On peut y voir la conséquence du non- intérêt des incroyants envers Dieu. Durant leur vie, ils n’ont pas cherché à avoir de communion avec lui. Leur esprit était occupé par bien d’autres choses :  les soucis de ce monde et l’attrait trompeur des richesses (Mt 13.22) , les plaisirs de la vie (Lc 8.14) et l’invasion des autres convoitises (Mc 4.19) :  tout ce qui fait partie du monde : les mauvais désirs qui animent l’homme livré à lui-même, la soif de posséder ce qui attire les regards, et l’orgueil qu’inspirent les biens matériels, tout cela ne vient pas du Père, mais du monde comme le précise 1 Jn 2.16 (BS).  

 

QUELLE DESTINATION J-MARC KHAYAT

On a dit que Jésus-Christ était « la déclaration d’amour de Dieu au monde ». Vous est-il arrivé de faire une déclaration d’amour à quelqu’un et de la voir refusée ? Alors vous avez ressenti un lointain reflet des sentiments de Dieu devant le refus que des hommes opposent à son amour. Qu’avez-vous fait alors ? Peut-être êtes-vous revenu à la charge – comme Dieu qui répète deux ou trois fois son offre. Et puis ? Vous n’avez plus insisté, car vous saviez que l’amour ne se force pas. Il est spontané ou n’est pas. Dieu aussi le sait et il ne viole personne. Si, durant toute sa vie, quelqu’un a fait comprendre à Dieu qu’il ne l’intéressait pas, pourquoi Dieu s’imposerait- il à lui après sa mort ? Finalement, comme le dit C.S. Lewis, il n’y aura que deux sortes de gens (parmi ceux qui ont eu connaissance du message de l’Évangile): ceux qui disent à Dieu : « Que ta volonté soit faite » et ceux auxquels Dieu dira : « Que ta volonté soit faite ». « Tu n’as rien voulu savoir de moi. Soit ! Va au seul endroit où tu seras à l’abri de mon amour ! »

 

Pour préciser les « peines éternelles », qu’est-ce qu’une peine ? D’après le dictionnaire, c’est « une douleur morale, (synonyme : affliction, chagrin, souci, inquiétude) » ; se peiner, c’est s’attrister. L’Apocalypse dit : La fumée de leur tourment s’élèvera à perpétuité. Le tourment est aussi « une très grande douleur physique ou morale ». Que peut ressentir celui ou celle qui a refusé un amour qui lui était proposé et qui se retrouve seul ? S’il voit le bonheur d’un autre à la place qu’il ou elle pourrait avoir, cela ne produit-il pas de la peine ? Tels seront la peine et le tourment de ceux qui auront refusé l’amour de Dieu pendant leur vie. Et cela éternellement !

 

Pour ceux qui n’ont jamais entendu l’Évangile, ou qui n’ont connu du christianisme que la religion et n’ont pas eu accès au message de la grâce en Jésus, Dieu saura trouver une solution conforme à sa justice et son amour (Rm 2.10-11, 14-16).

 

La doctrine des « peines éternelles » est pour nous un appel à l’évangélisation et à l’insistance auprès de ceux que nous connaissons : C’est pourquoi, prenez à coeur ce que dit l’Esprit Saint : aujourd’hui, si vous entendez la voix de Dieu, ne vous endurcissez pas… mais encouragez- vous les uns les autres, jour après jour, aussi longtemps qu’on peut dire aujourd’hui, afin qu’aucun d’entre vous ne se laisse tromper par le péché et ne s’endurcisse… Ainsi donc, pendant que la promesse d’entrer dans le repos de Dieu est toujours en vigueur, craignons que l’un d’entre vous ne se trouve coupable d’être resté en arrière (Hé 3.7-8, 13 ; 4.1).

 

A.K.