En quête du père…

 

Par Sylvain Lombet

 

 

Pas besoin d’une grande enquête pour s’apercevoir que le rôle du père, dans la cellule familiale ou de façon plus large dans notre société actuelle, pose question. L’évolution des rôles sociaux des hommes et des femmes ces dernières décennies, en lien avec les progrès scientifique et technologique, a mis au jour une multiplication des configurations familiales : monoparentales, recomposées, etc. Notre réflexion abordera successivement trois questions :

 

•Où se situe le père dans cette nouvelle donne ?

•Que dit la Bible au sujet du rôle du père de famille ?

•Cette « quête du père » estelle si nouvelle que cela ?

 

 

Des familles… combien de pères ?

 

Lorsqu’on entend les difficultés, passagères ou chroniques, de certaines familles, on constate que la place du père est un enjeu important. Par exemple, dans une famille monoparentale, certains parents (souvent des mères) se débattent avec cette question : « comment arriver à faire à la fois le père et la mère ? » L’absence du père, quelles qu’en soient les raisons, fait que quelque chose « cloche » dans l’organisation de la vie familiale, notamment du côté de l’autorité. Forte d’une vision paritaire entre les sexes, notre société nous incite à croire qu’homme et femme seraient interchangeables. Mais l’expérience de certaines mères élevant seules leurs enfants démontre la limite de cette croyance.

 

De même, dans les familles recomposées la place du père ne va pas de soi. En effet, dans cette configuration, le père doit composer – c’est le cas de le dire – avec la famille de sa compagne. Comment se positionner alors vis-à-vis des enfants de son conjoint ? Car toute position un peu autoritaire risque de se voir renvoyer un cinglant « T’es pas mon père ! » Cette remarque classique d’un enfant ou d’un adolescent pose en fait la question centrale : qu’est-ce qui fonde l’autorité paternelle ? Et pour répondre à cette question, il ne suffit pas d’affirmer que l’Écriture demande d’obéir à son père (ce qui est pourtant vrai), encore faut-il pouvoir trouver une certaine légitimité. Car, dans cet exemple, l’enfant a raison : l’homme auquel il a affaire n’est pas son père… biologique.

 

On voit bien dans ces nouvelles configurations familiales quelle est la question sous-jacente : qui est le père des enfants ? Est-ce le père biologique ? Est-ce celui qui participe plus ou moins activement à la vie du foyer ? Est-ce le conjoint de la mère ? Et au fond, qu’est-ce qu’un père ? Cette dernière question, la Bible s’y est intéressée depuis fort longtemps.

 

 

Le rôle du père dans l’Écriture

 

L’Écriture évoque à plusieurs reprises le rôle du père de famille. Il est celui qui dirige la famille, son autorité donne une direction, c’est-à-dire un sens, à la vie de la famille (Gn 18.17-19). Il veille sur la santé spirituelle des membres du foyer (Gn 35.1ss), corrigeant ses enfants lorsque cela est nécessaire (Pr 3.11, 12). Il assure le lien entre les générations en transmettant le souvenir, mais aussi la pratique de la grâce et de la loi divine (Dt 4.9-10 ; Dt 6 ; Ep 6.5).

 

Cette transmission se situe essentiellement du côté de la parole. Et pour que cette parole reste vivante – car la parole seule pourrait n’être que lettre morte –, celle-ci doit s’incarner dans un exemple de vie qui plaise à Dieu, c’est-à-dire conforme à sa Parole (Dt 6.5-9). Le père, c’est donc celui qui transmet la Parole du Dieu auquel il se soumet. Voilà, résumé en quelques mots, l’idéal biblique paternel : un père est un homme qui est un passeur de parole et de vie, il ne transmet que ce qui ne lui appartient pas et qui lui échappe…

 

Cette description de la « puissance paternelle », pour reprendre l’ancienne expression du Code Civil, aujourd’hui remplacée par le concept d’autorité parentale, est bien loin de nos rêves de grandeur et de puissance ! On se demande alors pourquoi certains pères exercent sur leur famille une autorité tyrannique. Cette description serait-elle alors plutôt celle d’un père faible et fragile ? Mais si c’était le cas, pourquoi d’autres pères n’arrivent-ils pas à l’être, fuyant cette place et les responsabilités qui en découlent ?

 

 

Nouvelle donne… vieille question ?

 

Qu’est-ce qu’un père ? Cette question reste en partie énigmatique. Bien entendu, la réponse se décline sous la forme de rôles sociaux et d’actes concrets au quotidien : un père sera présent pour conduire ses enfants à l’école, pour jouer avec eux, pour veiller sur leur scolarité, etc. Mais plus fondamentalement, être père n’est pas seulement une question de rôle social. Nos configurations familiales actuelles, loin de poser une question nouvelle concernant la place du père, ne font que mettre en relief ce que l’Écriture affirme depuis longtemps : être père, c’est se tenir à une place vide. Qu’est-ce que cela veut dire ? Cela signifie qu’être père, ça s’invente !

Les livres de pédagogie, de psychologie ou même des conseils chrétiens peuvent fournir quelques recettes occasionnelles, mais dans le fond être père c’est incarner une place qui ne dépend ni de soi, ni du formatage social, mais de Dieu.

 

Sur un site Internet, j’ai trouvé un article qui s’intitulait : « La place du père : entre trône et strapontin ». Ce titre imagé illustre bien l’enjeu de cette « quête du père », que nous ne faisons ici qu’effleurer. Dans nos représentations, l’image du père oscille souvent entre le roi trônant dans sa toute-puissance et le « pauvre type » relégué au rang de spectateur. Voilà qui peut nous donner à réfléchir. Un père trouvera sa place s’il ne revendique pas le trône, sans se contenter pour autant d’un strapontin. En effet, il ne suffit pas de revendiquer sa place pour l’obtenir, et il ne s’agit pas de fuir ses responsabilités. Il faut assumer et « assurer1 » sa place par des paroles et des actes d’amour. Dans les textes bibliques que nous avons cités précédemment, nous voyons qu’un père aimant n’est pas d’abord un « papa poule », mais quelqu’un qui transmet à la génération suivante le désir d’obéir à la loi de Dieu. Or, ce désir ne peut se transmettre que s’il s’incarne dans un exemple de vie consacrée au Seigneur (relire Dt 6.7-9), sans compromis avec le mal, mais aussi sans masquer ses faiblesses.

 

Ces versets bibliques peuvent nourrir différents domaines de notre vie. Par exemple, le responsable d’église, inévitablement sollicité dans un registre paternel, voire paternaliste, devra se positionner vis-à-vis des autres membres de sa communauté. Comment va-t-il répondre à leurs attentes parfois contradictoires ? Ces versets, ainsi que l’image du trône ou du strapontin, nous indiquent quelques pièges à éviter.

 

Finalement, plutôt que de parler de « quête du père », nous devrions peut-être parler de quête d’un père. En effet, le père, c’est le père idéal, donc inaccessible ; et heureusement inaccessible, car, comme tout idéal, il est le reflet de nos propres désirs contradictoires. En revanche, la rencontre avec un père, avec ses capacités propres, et aussi ses limites, peut avoir quelque chose d’heureux. Un père, c’est un exemple concret (être le « père biologique » ne suffit pas), qui indique un sens, c’est-à-dire d’abord une direction à suivre. Pour que la direction indiquée mène à bon port, celle-ci doit s’appuyer sur celle du Père céleste, dont la Parole est, elle, pleinement digne de confiance et infaillible.

 

S.L.


NOTE

 

1. Cette « assurance » n’étant jamais acquise une fois pour toutes, les guillemets indiquent l’effort quotidien à fournir.