Temoignage 

 

Veillée cévénole

 

Le vieux soldat emprisonné à la Bastille1

cevenol

 

Chacun sait que la vieille forteresse construite au quatorzième siècle, sous Charles V et Charles VI symbolisa plus tard aux yeux du peuple le triste régime de l’arbitraire et disparut dans la tourmente du 14 juillet 1789. Ce que l’on sait moins peut-être, c’est que, spécialement destinée aux condamnés pour crime d’État, elle avait cependant, à diverses reprises, servi de prison aux victimes du fanatisme religieux. Nous en fournissons ici, un exemple bien digne de remarque.

 

C’était sous Louis XIV. Un ancien soldat, amené à la connaissance de la vérité, s’était épris d’une sainte passion pour la Parole de Dieu. Il y avait, sans peine, trouvé la condamnation des erreurs de son Église et ne se faisait pas faute de le proclamer bien haut, avec une franchise toute militaire. Poussé par un irrésistible besoin de s’instruire, il discutait sans cesse avec sa famille, ses voisins, ses amis, qui finirent par le considérer comme un dangereux hérétique.

 

bastilleToutes les tentatives faites dans le but de le réduire au silence échouaient. De l’abondance du coeur, la bouche parle. Las enfin de son opiniâtreté, ses parents cherchèrent à se débarrasser de lui en le faisant mettre sous clef. Mais la détention dans une prison ordinaire entraînant des frais qui dépassaient leurs ressources, force leur fut de recourir à un autre moyen. Après bien des démarches, grâce à l’appui de membres du clergé, ils obtinrent du gouverneur de la Bastille que le pauvre soldat y soit enfermé, comme par charité, et nourri des restes du corps de garde. Il fut convenu, sur la recommandation expresse de ces prêtres, qu’on le priverait de toute espèce de livres, et en particulier de la Bible dont la lecture, selon Rome, est plus pernicieuse que toute autre.

 

De longues années s’écoulèrent. Notre captif, sans se lasser, demandait à tout venant l’aumône d’une Bible, espérant sans doute que quelque bonne âme de geôlier, fatiguée de ses obsessions, exaucerait sa prière. C’était se bercer d’une illusion ! Un matin pourtant, il put croire qu’il avait atteint le but de ses désirs : l’un des gardiens, le sourire aux lèvres, lui remit un volume de la part du gouverneur. Le malheureux s’en saisit aussitôt et l’ouvrit, avide de retrouver les précieuses consolations dont il était sevré depuis si longtemps… Hélas ! Déception cruelle ! C’était bien une Bible, mais une Bible latine à laquelle il ne pouvait rien comprendre ! L’ironie était évidente ; on se moquait de lui sans pitié ! Il s’en plaignit avec amertume, mais ses plaintes ne réussirent qu’à lui attirer des quolibets de toutes sortes.

 

Tout à coup, il sembla se raviser et ne récrimina plus. Soit pour se distraire, soit plutôt dans le secret espoir d’arriver à quelque résultat, il se mit à étudier cette Bible qui était pour lui un livre fermé. Après beaucoup de recherches, il reconnut certains passages dont le sens s’était gravé dans sa mémoire, et en vint à pouvoir expliquer couramment des pages entières, d’interprétation facile, il est vrai, mais qui l’aidèrent à en comprendre d’autres. Au bout d’un certain temps, son rude labeur, sa patience, sa sainte obstination triomphèrent de tous les obstacles : dans le mauvais latin du Moyen Âge, il avait retrouvé toute la Parole de son Dieu !

 

On raconta l’histoire à un théologien en lui présentant le héros qu’on appelait par dérision « le prophète ». II nia d’abord que la chose fût possible, mais, après avoir lui-même interrogé l’homme, il le trouva si bien ferré sur les diverses parties de l’Écriture sainte, qu’il en resta tout stupéfait. « Vous avez raison, dit-il, de l’appeler « le prophète ! » La sagacité dont il a fait preuve, son intelligence de la Bible, tiennent vraiment de l’inspiration ! »

 

« La gloire en revient à Dieu seul » répliqua l’humble chrétien. « C’est une récompense qu’il m’a accordée dans Sa Bonté infinie, à cause de mon désir profond et sincère de me désaltérer à la source des eaux vives, et de me nourrir de Sa Parole qui est, après le Sauveur, la vraie manne divine, l’unique pain descendu du Ciel. »

 

Ce que peut une âme dévorée par la faim et la soif de la Vérité est incalculable ! Pourquoi nos pères ont-ils été si grands au point de vue spirituel et moral ? C’est qu’ il s avaient cette faim et cette soif, et qu’aucun effort, aucun sacrifice, ne leur coûtaient pour les satisfaire. Pourquoi, huguenots de ce siècle, sommes-nous si faibles et si impuissants ? C’est que, tout en ayant, dans le désert de ce monde, à notre portée la fontaine jaillissante, sous la main la manne du Ciel, nous osons souvent laisser notre âme mourir de soif et d’inanition.


NOTE

 

1. Ce texte est un résumé, fait par François- Jean Martin, d’une histoire intitulée « Un souvenir de la Bastille » paru dans les Nouvelles veillées cévenoles, J-T.et L. Martin, Société des publications morales et religieuses, Toulouse, 1897.

 

 

 

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