Le conflit entre Paul et Barnabas1

… leur désaccord fut si profond qu’ils se séparèrent.

 

Par Robert SOUZA

Robert-Souza

 

À Perge en Asie Mineure, au cours du voyage missionnaire auquel il avait le privilège de participer, Jean-Marc a tout lâché pour rentrer précipitamment à Jérusalem. Lorsqu’il a été question de l’intégrer de nouveau dans une équipe missionnaire, Paul et Barnabas n’ont pas réussi à se mettre d’accord. Pour Paul, le jeune homme s’était disqualifié par son abandon. Pour Barnabas, il fallait lui donner une seconde chance.

 

Depuis, on se demande qui a apporté la bonne solution au problème de Marc ! À la réflexion, il faut bien reconnaître que le redémarrage et la réintégration de Jean- Marc se sont appuyés sur l’action de Barnabas et sur celle de Paul. Il ne s’agit pas d’une tentative de ménager la chèvre et le chou, mais d’une explication qui met en lumière des vérités utiles pour notre marche chrétienne.

conflit

L’angle pastoral

 

Celui qui commet une faute a besoin de deux choses : d’une réprimande franche et fraternelle pour lui permettre de prendre conscience de ses torts et d’une assurance chaleureuse du pardon et de l’accueil de ses frères. Un jour, lorsqu’il avait environ quatre ans, notre fils cadet a déclaré : « Les papas sont faits pour gronder et les mamans pour consoler. » Dans la famille, les rôles sont souvent distribués ainsi. Dans le cas de Jean-Marc, Paul l’a grondé et Barnabas l’a consolé. Le message de Paul pour le jeune homme était : « Ce que tu as fait à Perge n’était pas bien et aurait pu compromettre notre mission. Je ne te reprendrai pas avec moi cette fois-ci. » Et Barnabas a dû ajouter quelque chose du genre : « Je suis d’accord avec Paul pour ce qui concerne ta désertion. Mais puisque tu le regrettes sincèrement, je suis prêt à te faire confiance à nouveau. » Ainsi, Jean- Marc a été privé d’une participation à la suite de la mission de Paul, mais il a retrouvé une autre possibilité de servir, faisant équipe avec Barnabas. Nos inconséquences ont toujours des conséquences… mais par la grâce de Dieu, un nouveau départ est possible pour ceux qui reconnaissent leurs erreurs.

 

Le malheur, quand il arrive des « pépins » dans la vie chrétienne, est qu’on y apporte trop souvent des demi-solutions… Paul sans Barnabas : on est repris ou réprimandé, mais pas rassuré – et parfois même « cassé ». Barnabas sans Paul : on est consolé sans avoir affronté la réalité du problème. Dans les deux cas, le résultat est mauvais. Mais dans le cas de Jean-Marc, la thérapie appliquée a produit une guérison complète. Bien plus tard, Paul écrit à Timothée : Prends Marc et amène-le avec toi ; car il m’est très utile pour mon ministère2. Entre-temps, Jean- Marc s’est découvert un don d’écrivain qui lui a permis de produire l’évangile qui porte son nom.

 

Comme Jean-Marc, nous pouvons nous « casser le nez », nous tromper, suivre nos sentiments plutôt que la lumière de Dieu… Que le Seigneur nous donne de trouver autour de nous des « Paul » et des « Barnabas », pour nous reprendre, nous relever et nous relancer. Qu’il nous donne aussi d’être à l’occasion le « Paul » ou le « Barnabas » dont notre soeur ou notre frère en Christ a besoin.

 

 

L’angle de l’engagement

 

La dispute entre Paul et Barnabas au sujet de Marc est un incident regrettable – on ne peut jamais se réjouir d’une querelle entre serviteurs de Dieu. Même si le Seigneur dans sa grâce a transformé cette division en multiplication (deux équipes missionnaires au lieu d’une), cela n’excuse pas la dispute. Paul lui-même écrira à Timothée : Or, il n’est pas convenable pour un serviteur du Seigneur d’avoir des querelles3. Ce qui s’est passé a dû être d’autant plus pénible pour ces deux hommes de Dieu qu’ils avaient été très unis jusque-là. Et voici qu’ils se séparent pour une histoire de recrutement, incapables de trouver un terrain d’entente.

 

Ici, il est important de replacer le problème dans son contexte et d’en rappeler les contours. Tout d’abord, Paul et Barnabas ne se sont pas disputés au sujet de la doctrine de la foi. Ensuite, Paul et Barnabas ne se sont pas accrochés au sujet de la conversion de Jean-Marc. (Méfions-nous de la réaction trop facile qui consiste à mettre en doute la conversion de celui qui nous déçoit !) Enfin, il est clair que Paul et Barnabas n’étaient pas en désaccord au sujet de la place de Jean-Marc dans l’Église. Ni l’un ni l’autre ne contestait le fait que même ceux qui font trois pas en avant et deux en arrière doivent être accueillis, entourés et portés par la communauté chrétienne.

 

Le contexte du conflit n’est pas l’Église locale, mais une équipe missionnaire, sortie de l’Église pour servir le Seigneur dans un domaine particulier. La dispute concerne un engagement qui va au-delà de l’engagement de base de tout enfant de Dieu et qui comporte donc des exigences supérieures.

 

Un jour Jean-Marc est devenu chrétien. Il s’est intégré à une assemblée locale, il s’est instruit dans les choses de Dieu… Puis, chose normale, à un moment donné, il a ressenti l’appel à découvrir ses dons et à les mettre au service de Dieu, dans l’Église et dans le monde. On commence par se réjouir de ce que le Seigneur Jésus nous ait sauvés, mais si notre croissance spirituelle se poursuit normalement nous nous rendons compte un jour qu’il nous a sauvés pour le servir.

 

Et là, Marc a eu une opportunité exceptionnelle… Paul et Barnabas cherchaient un équipier pour leur première mission d’évangélisation. Marc s’est engagé à leurs côtés. Malheureusement, il a ensuite renié son engagement, abandonnant son service pour rentrer à la maison. C’est cet abandon qui se retrouve au coeur de la dispute entre Paul et Barnabas.

 

Car, Paul l’avait bien compris, dans l’oeuvre de Dieu, on ne badine pas avec l’engagement. À ses yeux, Marc avait démontré qu’il n’était pas encore prêt à occuper une place aussi exposée dans l’oeuvre du Seigneur. Car l’oeuvre de Dieu n’est pas un jeu dans lequel vous entrez lorsque « ça vous chante » – et que vous pouvez délaisser dès que ses exigences vous contrarient ! Jésus n’a-t-il pas dit : Quiconque met la main à la charrue et regarde en arrière n’est pas bon (utilisable, bien disposé) pour le royaume de Dieu4 ? C’est là un enseignement fondamental, mais difficile à entendre aujourd’hui dans un monde où la notion même d’engagement ne cesse de s’effriter et de s’affaiblir.

 

L’engagement de Marc a peut-être été prématuré. C’était peut-être un engagement sentimental plutôt que spirituel et bien réfléchi. Quoi qu’il en soit, Paul pouvait légitimement reprocher à Marc d’avoir failli. Pour lui, Jean-Marc n’avait pas encore la maturité nécessaire pour tenir un engagement aussi difficile que le travail pionnier. En toute conscience, il ne pouvait pas le reprendre dans son équipe. Mais Barnabas s’est occupé du jeune homme, lui a trouvé des tâches en rapport avec ses possibilités et lui a permis de reprendre confiance et de progresser. Et le fameux conflit n’a été qu’une péripétie dans son parcours. À chaque stade de notre marche chrétienne, par la grâce de Dieu, il y a un engagement qui est à notre mesure et un service où nous pouvons nous investir et nous épanouir.

 

Nous ne sommes pas encouragés à chercher le conflit, mais, lorsqu’il éclate, restons confiants en notre Dieu qui sait si bien agir souverainement pour le bien ultime de chacun.

 

R.S.

 


 

NOTES

 

1. Ac 15.39

 

2. 2 Tm 4.11

 

3. 2 Tm 2.24

 

4. Lc 9.62 NBS