La croix, lieu de l’expiation

 

 

couronne epine

 

Par Reynald Kozycki

 

kozycki

 

 

La croix évoque le sacrifice, l’acte juridique aboutissant à la justification, la libération au prix d’une rançon, la victoire sur les forces du mal… Nous nous concentrerons davantage sur le premier point en lien avec le second dans le contexte plus général de la réconciliation entre Dieu et l’homme.

 

 

En traitant ce sujet, nous sommes conscients que le message de la croix demeure une folie pour la sagesse humaine, mais il se comprend par l’éclairage de l’Esprit dans une attitude d’écoute et d’adoration.

 

 

Mort pour nos péchés « selon les Écritures »

 

Au coeur de l’Évangile et du message de la croix se trouve la mort de Christ pour nos péchés, selon les Écritures (1 Co 15.3). Cette vérité forme comme un fil rouge dans la Bible, commençant par la promesse que la descendance d’Ève meurtrira la tête du serpent et se fera meurtrir le talon (Gn 3.15 TOB), le sacrifice d’Abel, puis l’ensemble des rituels autour des sacrifices, du tabernacle…, les psaumes du juste souffrant (22, 69, 88…), les chants du Serviteur en Ésaïe (surtout 53)… La Loi et les prophètes ne se lassent pas de répéter la gravité du péché, la malédiction qui en découle, la nécessité de l’expiation par le « sang », la promesse de la rédemption.

 

vitrail agneau

Besoin d’expiation

 

Créé à l’image de Dieu, l’être humain comprend aisément qu’il est nécessaire de punir la faute. Il n’existe pas de société organisée sans un code pénal. Toute infraction à la loi humaine engendre une « peine ». Mais la compréhension de ce qui est juste au sens absolu est faussée par la présence diffuse du péché, tant à l’intérieur de l’homme que dans les structures sociales et politiques. Dieu, le juge suprême, a prononcé son verdict sur la condition humaine : Sa colère se révèle du ciel contre toute impiété et toute injustice… Ils sont donc inexcusables (Rm 1.18-20) ; afin que toute bouche soit fermée, et que tout le monde soit reconnu coupable devant Dieu (3.19) ; Le salaire du péché, c’est la mort (6.23).

 

Notre mépris de Dieu, exprimé consciemment ou non dans chaque péché, engendre la colère de Dieu, une sorte de « sainte révulsion ». La nature même de Dieu s’oppose à toute ombre du mal, sa sainteté est totalement incompatible avec le péché : Tes yeux sont trop purs pour voir le mal (Ha 1.13). La conséquence est donc la mort : L’âme qui pèche, c’est celle qui mourra (Éz 18.4) ; cette règle était déjà exprimée à Adam dans le cas de désobéissance (Gn .17). Les rituels des sacrifices de l’Ancienne Alliance exprimaient puissamment cette vérité. Par exemple, l’adorateur posera sa main sur la tête de l’holocauste, qui sera agréé de l’Éternel, pour lui servir d’expiation (Lv 1.4). Cette imposition des mains exprimait une sorte de transfert de la faute à l’animal dans le but d’expier le péché par le sang ou la mort. L’animal est « substitué à l’homme ». Le rachat des premiers-nés par le sacrifice de l’agneau pascal sous-entendait aussi ce genre de « substitution » (Ex 13.15).

 

 

Le sacrifice dans le NT

 

crucifixion sceneLe NT reprend abondamment le vocabulaire sacrificiel. Jean-Baptiste s’écrie : Voici l’agneau de Dieu qui ôte le péché du monde (Jn 1.29). Jésus a expliqué à ses disciples : Le Fils de l’homme est venu… pour donner sa vie comme la rançon de plusieurs (Mc 10.45) ; Le bon berger donne sa vie pour ses brebis (Jn 10.11). Lors du dernier repas pascal, il prend du pain et partage la coupe : Ceci est mon corps, qui est donné pour vous ; faites ceci en mémoire de moi… cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang, qui est répandu pour vous (Lc 22.18-19). Jésus annonce sa mort comme un sacrifice inaugurant la Nouvelle Alliance1.

 

Aux Romains, après avoir démontré la culpabilité de toute l’humanité, Paul expose la puissance du salut en Jésus-Christ. Il utilise au moins trois catégories de langage : le vocabulaire juridique par la justification, le vocabulaire de l’esclavage avec la libération ou la rédemption, et le vocabulaire sacrificiel par l’expiation et le sang : Tous, en effet, ont péché et sont privés de la gloire de Dieu ; et c’est gratuitement qu’ils sont justifiés par sa grâce, au moyen de la rédemption qui est en Jésus-Christ. C’est lui que Dieu s’est proposé de constituer en expiation, au moyen de la foi, par son sang, pour montrer sa justice… (Rm 3.23-26). La nécessité du sang pour accomplir l’expiation établit un lien direct avec les sacrifices. Ce mot aussi traduit par propitiation fait référence au couvercle du coffre de l’Alliance, là où le sang était répandu au jour des Expiations2. Ce propitiatoire est le lieu, par excellence, de l’expiation de nos fautes, là où Christ a porté lui-même nos péchés en son corps sur le bois (1 P 2.24).

 

 

La coupe de la colère de Dieu

 

Par les images sacrificielles de l’Ancienne Alliance, nous comprenons que le prix fort était nécessaire pour expier les fautes : Sans effusion de sang, il n’y a pas de pardon (Hé 9.22).

 

À Gethsémané, Jésus est saisi d’angoisse à la vue de la coupe qui l’attend. Ce n’est probablement pas la mort physique qui lui fait peur, mais la coupe dont parlent les Écritures : Il y a dans la main de l’Éternel une coupe, où fermente un vin plein de mélange (Ps 75.8) ; Jérusalem qui as bu de la main de l’Éternel la coupe de sa colère, qui as bu, sucé jusqu’à la lie la coupe d’étourdissement ! (És 51.17).

 

Cette coupe contient l’indignation consumante de Dieu, sa colère contre le péché du monde, contre mon propre péché. Elle est prête à être déversée pour le jugement final, mais, chose incroyable, Jésus a bu cette coupe horrible : Ne boirai- je pas la coupe que le Père m’a donnée à boire ? (Jn 18.11) ; Ainsi, par la grâce de Dieu, c’est pour tout homme qu’il a goûté la mort (probablement le jugement ou la damnation qui résulte du péché).

 

 

La « substitution pénale »

 

Parmi les nombreuses références au sacrifice de Jésus, relevons trois déclarations :

  • Il a été transpercé à cause de nos crimes, écrasé à cause de nos fautes. Le châtiment qui nous rend la paix est sur lui, et dans ses blessures nous trouvons la guérison (Es 53.5 Jér) ;

 

  • Celui qui n’a point connu le péché, il l’a fait devenir péché pour nous (2 Co 5.21) ;

 

  • Le Christ nous a rachetés de la malédiction de la loi en devenant malédiction pour nous (Ga 3.13).

 

Le résumé qui me parait le plus cohérent serait :

À la croix, Jésus a porté nos péchés en se « substituant » à notre place ; il a subi la « peine », le jugement, la colère, la malédiction que nous méritions.

 

On a souvent parlé de « substitution pénale » pour décrire cet acte d’expiation. Paul Wells résume cet enseignement fondamental de la théologie évangélique : Christ jugé à notre place, effectuant la réconciliation par un acte de substitution sacrificielle, pénale et expiatoire – semble être, pour ses détracteurs, la grande faiblesse de la théologie évangélique ; cette interprétation est, au contraire, sa force et sa gloire…3

 

 

Contestations

 

Dans les cercles de théologie libérale, cet enseignement frôle le blasphème. Aveuglés sur la cohérence biblique, ils minimisent la réalité de la colère de Dieu, ne voient qu’une facette de son amour, d’où le refus de considérer la mort du Christ comme « sacrificielle ». Ils caricaturent la substitution pénale en une « maltraitance d’enfant à l’échelle cosmique » par Dieu le Père !

 

Depuis quelque temps, même des théologiens évangéliques commencent aussi à contester ces enseignements. Certains refusent simplement de faire une fixation sur la « substitution pénale », en l’insérant, à juste titre, dans un enseignement plus global de la réconciliation, d’autres la rejettent ouvertement4.

 

 

Scandale

 

Le scandale de la croix n’a pas fini de choquer la sagesse ou la religiosité humaine. Le message de la croix nous place devant la violence inouïe du péché, la révulsion et la colère d’un Dieu trois fois saint face à notre rébellion, mais aussi son amour total par lequel, en Christ, il vient opérer la réconciliation avec lui-même, au prix d’une mystérieuse substitution. Pas étonnant que ce message soit folie pour ceux qui vont à leur perte, mais pour nous qui sommes sur la voie du salut, il est puissance de Dieu (1 Co 1.18).

 

RK 9

 

 

Idées pour un groupe d’étude

Lire l’article précédent et les textes suivants : Rm 3.12- 19 ; És 53.4-5 ; 2 Co 5.17-21.

 

Question 1 : Pourquoi, à votre avis, le verdict de Dieu sur le péché de l’homme est-il si sévère en Rm 3.12-19 ?

 

Question 2 : Comment les sacrifices de l’Ancienne Alliance pouvaient-il expier les fautes en Lv 1.4 ?

 

Question 3 : En relisant És 53.4-5, qu’est-ce que Jésus a accompli pour nous ?

 

Question 4 : Selon 2 Co 5.17-21, à quel prix la réconciliation et la vie nouvelle sont-elles accordées en Christ ?

 

 


NOTES

 

1. Le lien entre Alliance et sacrifice apparait très nettement en Hé 9. Après avoir parcouru le sens de la cène, John Stott résume son propos : « Voilà donc la signification que Jésus donnait à sa mort : elle est le sacrifice exigé et accepté par Dieu pour ratifier la nouvelle alliance avec sa promesse de pardon. » (La croix de Jésus-Christ, Édition Grâce et Vérité, 1988, p.58)

 

2. En Rm 3.25, traduire hilasterion par « propitiatoire » pourrait prêter à confusion à cause de son usage dans les religions anciennes où l’on payait des pots-de-vin pour détourner la colère capricieuse des dieux. Il est vrai néanmoins que, dans le contexte de Romains, la juste colère de Dieu (1.18) a été « apaisée » grâce au sacrifice du Christ. En hébreu, le mot expiation kipper signifie « effacer, ôter le péché » avec l’idée du pardon.

 

3. Paul Wells, « Expiation », Grand Dictionnaire de la Bible, Excelsis 2004. Henri Blocher insiste particulièrement sur « l’expiation pénale substitutive » : « Dès que l’expiation se comprend comme pénale, il faut ajouter qu’elle est substitutive… si le péché est expié par la punition effective du péché commis, Jésus le Juste ne peut avoir expié qu’à la place du coupable », Henri Blocher, La doctrine du péché et de la rédemption, Vaux-sur-Seine 1983, II, p 101.

 

4. En particulier des auteurs comme James Dunn, Stephen Travis, Nigel Wright, Clark Pinnock, Robert Brow, Steve Chalke… ont contesté les bases bibliques de la substitution pénale. Pour plus d’informations nous renvoyons aux ouvrages cités ci-dessus, notamment à John Stott, La croix de Jésus-Christ, Éditions Grâce et Vérité, 1988.L