Jésus, 40 jours dans le désert

 

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Par Jean-Pierre Bory

 

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Deux évangiles, Matthieu (4.1-11) et Luc (4.1-13) racontent comment Satan tenta de détourner Jésus de sa mission au moment où il s’y engageait ; Marc (1.12-13) ne fait que citer l’événement en trois lignes :

 

 

Aussitôt après, l’Esprit poussa Jésus dans le désert.

 

Il y resta quarante jours et y fut tenté par Satan.

 

Il était avec les bêtes sauvages, et les anges le servaient.

 

Jésus vient d’être baptisé et proclamé publiquement Fils bien-aimé de Dieu par une voix céleste. L’épisode suivant s’inscrit dans un enchaînement fréquemment observé : après la bénédiction, l’épreuve ; Luc et Marc relient directement (aussitôt après, alors) l’investiture stupéfiante de Jésus à ce qui suit : les embûches diaboliques.

 

La région où Jésus passe ces quarante jours se situe probablement au nord-est de Jérusalem, dans les collines arides qui surplombent la vallée du Jourdain. Ce n’est pas un désert de sable, mais des terres non cultivées, non défrichées, inhabitées, couvertes d’une maigre végétation. Jésus s’y retirera plus tard seul ou avec ses disciples pour échapper à la foule, quand il cherchera un lieu calme, propice à la prière ou au repos.

 

Cet endroit, désert, protégé de l’animation des grands chemins, fait penser à la chambre haute où Daniel monte pour prier. Ou à la chambre privée, cette pièce la plus retirée de la maison (Mt 6.6, trad. Semeur), ce lieu où le silence règne et où le croyant est invité à s’isoler afin d’être disponible pour le Seigneur. Mais, même là, au centre de sa méditation, Satan est à l’affût pour détourner les pensées du fidèle. Comme ces bêtes sauvages qui entourent le Seigneur, le Diable est toujours aux aguets pour dévoyer les croyants (1 P 5.8).

 

Cette fois-là, Jésus ne se rend pas volontairement dans cette garrigue inhospitalière ; c’est l’Esprit Saint qui l’y conduit (Mt et Lc), et même l’y pousse (Mc 1.12 : en grec le jette, le lance là-bas). Cela pose plusieurs questions :

 

– Le Père veut-il tenter le Fils ? A-t-il planifié l’action satanique ? La Bible affirme que Dieu ne tente personne (Jc 1.13), qu’il est inconcevable que Dieu fasse le mal (Jb 34.10). Comme le fait remarquer R.T. France, le verbe traduit par tenter (peirazô) signifie toujours éprouver dans Matthieu, et sur ses 36 emplois dans le NT, trois fois seulement il signifie inciter à faire le mal1. Si le diable cherche bien à tenter Jésus afin qu’il commette le mal, l’intention de Dieu, c’est de mettre Jésus à l’épreuve, de mettre en évidence sa détermination de soumission filiale envers son Père céleste. Il faut que Jésus passe par cette expérience difficile. L’épreuve évoquée ici est le pendant de celle proposée à Adam. Mais si ce dernier a fait le choix de l’ambition personnelle, Jésus reste déterminé à obéir à Dieu.

 

– Jésus pouvait-il être tenté par le mal ? Pouvait-il pécher ? En tant que Fils de Dieu, de même essence divine que son Père céleste, il ne pouvait être ni touché ni attiré par le mal (Jc 1.13). En tant qu’homme, car il fut vraiment homme (comme nous le proclamons dans nos confessions de foi), il partageait les fragilités humaines. Aurait-il alors pu succomber à la tentation ? Ou bien sa nature divine, sa sainteté parfaite, y compris dans son humanité, ne mettaient-elles pas l’homme Jésus en incapacité de tomber ? La réponse ne nous appartient pas. Quoi qu’il en soit, la tentation est réelle. Jésus doit résister, il doit choisir, il est mis à l’épreuve, tenté en tous points comme nous le sommes (Hé 4.15). Il le sera d’ailleurs à plusieurs autres reprises pendant le temps de son ministère terrestre. Après trois échecs, Satan s’éloigne provisoirement jusqu’à un moment favorable (Lc) ; Jésus sera éprouvé jusqu’au dernier soir à Gethsémané. Là, Jésus livre un ultime combat intérieur, violent, déchirant, qui va jusqu’à provoquer dans sa nature humaine une angoisse telle que sa sueur en devient des gouttes de sang. L’épreuve, les tentations, ne furent jamais seulement apparentes pour Jésus, elles furent réelles.

 

La durée (précisée par les trois évangélistes) de ce temps passé à l’écart fut de 40 jours. Ce nombre fait écho à bien d’autres périodes dans l’histoire biblique : le déluge, l’exil de Moïse chez Jéthro, l’errance d’Israël au Sinaï, la fuite d’Élie depuis le Carmel, les deux fois 40 jours passés par Moïse sur Horeb dans le jeûne puis l’intercession, tous des temps de mise à l’épreuve, et surtout de mise en attente d’une parole ou d’une délivrance divine. Pour Jésus, la tentation ne se limite pas à trois brèves attaques, Satan le harcelle pendant 40 jours (Lc 4.2) avant d’être provisoirement écarté. À l’issue de ce temps de privation et d’épreuve, où Jésus réaffirme avec force son allégeance à son Père céleste seul, il reçoit une nouvelle preuve de l’approbation et du soutien divins : il repart rempli de la puissance de l’Esprit (Lc 4.14).

 

Satan attaque Jésus sous trois angles différents :

 

  •  Tout d’abord sur ce qu’il pense être son point le plus fragile, sa nature humaine qui souffre évidemment de la faim après ce long temps de jeûne. Le Diable le défie : Si tu es Fils de Dieu(On peut traduire aussi puisque tu es Fils de Dieu) ; Satan ne met pas en doute la divinité de celui qui vient d’être proclamé Fils de Dieu, mais il suggère à l’homme Jésus de la manifester aux yeux de tous, de confirmer en quelque sorte cette déclaration de filiation divine récemment proclamée, en usant de ses prérogatives de Fils. Le piège est habile, car, en soi, fabriquer miraculeusement du pain n’est pas un péché – Jésus le fera plus tard –, mais ici il refuse de prendre une initiative de son propre chef, de contourner le plan divin, d’oublier la raison de sa venue sur terre. La Parole divine est nécessaire et suffisante pour le faire vivre, pour pallier son manque, pour le protéger de la désobéissance.

 

  • Le Diable revient à la charge2 et propose à Jésus de se faire reconnaître comme roi sans avoir besoin de souffrir la croix. Si Jésus se lance dans le vide, Dieu donnera des ordres à ses angesIls le porteront sur leurs mains, ainsi Jésus apparaîtra miraculeusement, descendant du ciel comme le messie que les Juifs attendent. L’objectif de Satan est une fois de plus de faire miroiter devant Jésus une autre voie, plus gratifiante, plus facile, sans souffrance, pour éviter l’horreur de la crucifixion. Et Satan use cette fois de la même arme que Jésus, la Parole de Dieu, mais en déformant le sens du texte. Dans le psaume cité (91), le psalmiste disait : si tu as fait du Très-Haut ton abri, si tu as mis ta confiance en lui, il te protégera. Satan propose à Jésus d’agir « comme si Dieu était son serviteur » (note de la Bible du Semeur), en lui forçant la main, en l’obligeant à agir (à tenter Dieu).

 

  • Le troisième essai du tentateur est qualifié parfois d’universel, car c’est un pouvoir sur toute la terre qu’il offre à Jésus (la précédente tentation n’était que nationale, royauté sur le seul peuple d’Israël). Satan est bien Prince de ce Monde et détient l’autorité sur tous les royaumes du monde et leurs richesses, mais son pouvoir est sous contrôle (cf. Jb 1.12 ; Rm 8.31-39) et limité dans le temps. Jésus brandit le premier commandement de la loi divine et Satan reste sans voix. Il s’éloigne de Jésus.

 

Cependant, Jésus est toujours dans le désert. Mais tout à coup les collines arides s’animent, Jésus est entouré d’anges qui le servent, ces anges qu’il avait refusé de mobiliser lui-même. Le jeûne devient festin, la tension du combat spirituel fait place à la joie. Le psaume 107 rappelle comment l’Éternel transforme les déserts de ceux qui crient à lui.

 

On peut dire que « cette victoire initiale de Jésus a été le fondement de toutes celles qu’il a remportées plus tard »3.

 

Jean-Pierre Bory


NOTES

 

1. R.T. France, L’Évangile de Matthieu, p.85, cité par A. Kuen, Encyclopédie des difficultés bibliques, Évangiles et Actes, p.40.

 

2. Luc inverse l’ordre dans lequel les deux dernières tentations sont présentées par Matthieu. Certains suggèrent que chaque évangéliste ait mis en dernière position la tentation qui lui semblait la plus forte, l«e point culminant » de l’épreuve.

 

3. F. Godet, Commentaire sur l’Évangile de St Luc, p. 302.