Pauvreté et richesse – Survol biblique1

 mendiant

 

par François-Jean MARTIN

 François-Jean Martin

Tout travail qui veut résumer en si peu de place un thème aussi important et riche du corpus biblique sera inévitablement réducteur et pauvre.2

 

 

 

 

L’Ancien Testament

 

Les parties historiques du Pentateuque mettent d’abord en valeur le caractère positif

des richesses : Dieu désirait bénir son peuple en lui accordant des biens matériels, en particulier dans le luxuriant pays de Canaan. Ayant reçu ces bénédictions, ils devaient pouvoir à leur tour bénir tous les peuples de la Terre. Les parties légales de ces mêmes livres préparaient les Israélites à obéir à Dieu et par conséquent à jouir de ses bénédictions.

Mais dans le domaine matériel, ce sont surtout les restrictions imposées par la Loi concernant l’usage et l’accumulation des biens qui sont remarquables. Le peuple de Dieu ne doit pas oublier que tout appartient à Dieu et qu’il veut que chacun puisse en bénéficier. Dans les autres livres historiques de l’Ancien Testament, les cycles d’obéissance et de désobéissance s’enchaînent, accompagnés des conséquences du comportement des Israélites à l’égard des lois de Dieu.

 

Avec l’avènement de la monarchie, les mesures de « liberté et de justice pour tous » qui avaient pu être développées par les générations précédentes vont progressivement disparaître. Le fossé entre riches et pauvres va se creuser et la première de ces catégories se réduire graduellement. La richesse sera de plus en plus concentrée entre les mains de la famille royale et de ses courtisans. Une poignée de riches propriétaires terriens va absorber une partie toujours plus grande du pays. Il est difficile de déterminer exactement l’extension de ce processus durant la période vétéro-testamentaire, mais les développements inter-testamentaires ne feront qu’exacerber ces inégalités.

 

Il n’est pas surprenant que cette injustice économique soit un des thèmes majeurs des prophètes, qu’elle soit également invoquée pour expliquer l’exil, puis l’absence de véritable restauration post-exilique et la situation de dépendance prolongée. Cependant, les péchés économiques d’Israël ne sont jamais sans lien avec son idolâtrie : l’adoration des faux dieux conduit à l’égoïsme matériel.

 

Les écrits de sagesse et de poésie de l’Ancien Testament développent deux thèmes qui semblent s’opposer : la richesse comme récompense à la fidélité et au travail, et la critique des mauvais riches et des richesses mal acquises. Job et l’Ecclésiaste sont un très fort rejet de la théologie de la prospérité : non, la fidélité n’est pas synonyme de bénédiction. Donc la pauvreté et la maladie ne sont pas signes d’infidélité ou de péché. Avec son corollaire : l’infidélité n’empêche pas la richesse, la réussite, la longévité et la santé et donc la richesse n’est pas signe de fidélité.

 

Ces deux livres protestent en particulier contre toute prétention humaine à la justice. Ces deux ouvrages, ainsi que les Psaumes et le Livre de Daniel, prépareront le terrain à une doctrine qui sera formulée plus précisément durant la période inter-testamentaire : le jour du jugement et le monde à venir sont les seules solutions véritables et équitables à l’injustice du monde.

 

 

La période inter-testamentaire

 

La pensée juive, grecque et romaine des siècles précédant l’époque du Nouveau Testament est si diverse qu’elle en est déroutante. Pourtant, dans l’ensemble, la pensée juive, plus qu’aucune idéologie gréco-romaine, valorise les pauvres et insiste sur l’intérêt de Dieu pour leur situation. Parmi les apocryphes et les pseudépigraphes, seul le Siracide fait des biens matériels un de ses thèmes majeurs. La diversité de sa contribution correspond à celle de son prédécesseur canonique du même genre littéraire, le livre des Proverbes. Enfin, les Esséniens de Qumràn cultivaient un idéal monastique et communautaire, tout en maintenant un certain degré de propriété privée.

 

 

Le Nouveau Testament

 

Dieu veut que son peuple, l’Eglise, répartisse sa richesse plus équitablement. Pour Jésus, Dieu et Mammon sont des maîtres rivaux ; en fin de compte, on ne peut servir que l’un des deux. Le royaume de Dieu a une composante financière importante, centrée sur l’aumône. Jésus et ses disciples ont volontairement limité leurs revenus à cause de leur ministère, et l’Église du livre des Actes a adopté le principe de la bourse commune et créé, à Jérusalem, un mécanisme provisoire de partage communautaire en application des principes universels de protection des pauvres. Dans le livre des Actes, ces principes conduiront plus tard à l’institution plus durable d’un « fond diaconal » pour aider les veuves et les pauvres et à des collectes en faveur des croyants nécessiteux au-delà de la communauté locale.

 

À première vue, Jacques et Paul semblent aussi différents qu’il est possible de l’être, y compris dans le domaine de la pauvreté et de la richesse. Ces termes sont d’ailleurs rarement employés par Paul, alors que la dénonciation des péchés des riches injustes occupe une grande partie de l’enseignement de Jacques. Mais une étude plus attentive des épîtres de Paul révèle que les questions d’argent font également partie de ses préoccupations. Paul veille tout particulièrement à saper les pratiques hellénistiques de réciprocité et la relation traditionnelle de patron à client. Pour lui, tous les chrétiens doivent devenir des bienfaiteurs, même si c’est modestement. La collecte en faveur des pauvres de Jérusalem donne l’occasion à Paul d’énoncer en détail ces principes et d’autres du même ordre (2 Co 8-9).

 

Les écrits de Paul et de Luc sont les meilleurs indicateurs de la présence croissante d’une classe moyenne, voire même supérieure, dans l’Église chrétienne naissante. Aucun de ces deux auteurs n’appelle les croyants riches à échanger de place avec les pauvres ; ils doivent simplement donner de leur superflu, mais aussi être honnêtes en définissant ce qui est superflu. Le reste des épîtres du Nouveau Testament et l’Évangile selon Jean n’ajoutent aucun nouvel élément, mais reproduisent occasionnellement les précédents. Cependant, le livre de l’Apocalypse clôt le canon en décrivant une situation extrême, dans laquelle le monde déchu est tellement corrompu que les disciples fidèles devront se séparer du système et des pratiques économiques du reste de l’humanité.

 

Le Nouveau Testament prolonge les grands principes de l’Ancien Testament et du judaïsme inter-testamentaire, avec néanmoins une omission manifeste : la richesse matérielle n’y est jamais promise comme récompense systématique à l’obéissance spirituelle ou au travail appliqué. Cette omission provient directement du fait que le peuple de Dieu n’est plus défini comme un groupe ethnique vivant sur un territoire donné par Dieu.

 

Cela ne signifie pas que les promesses de l’Ancien Testament soient entièrement spiritualisées. Le peuple de Dieu de l’Ancien et du Nouveau Testaments jouira un jour des bénédictions de la terre, étendues au monde entier et finalement à l’univers restauré. Mais dans le temps présent, avant la venue du Christ, on ne peut rien dire du niveau de prospérité que Dieu accordera à un croyant donné. Cependant, tous les chrétiens devraient avoir accès à des maisons et à des terres, « cent fois plus dès à présent » grâce à la générosité des chrétiens qui partagent les uns avec les autres (voir Mc 10.29-30).

 

F-J.M.


NOTES

 

1. Pour écrire cet article, je me suis servi d’extraits du livre de Craig Blomberg « Ne me donne ni pauvreté ni richesse », Excelsis, Collection Terre Nouvelle, 2001, dont j’avais fait la recension pour « Servir » en le recommandant.

 

2. Mais il peut donner envie au lecteur d’aller plus loin. Je leur conseille alors la lecture du livre de Craig Blomberg.