La croix : victoire

 

sur les puissances

 

sculpture

 

 

Par François-Jean Martin

 

François-Jean Martin

 

 

Le contexte des versets 14 et 15 de Colossiens chapitre 2

 

L’Église de Colosses fut fondée par Épaphras, compagnon de Paul (1.7). Il a dû informer Paul (Ph 1.23), du trouble que jetaient, parmi les chrétiens, de faux docteurs. Leur enseignement syncrétiste mélangeait des tendances judaïsantes, ascétiques et mystiques (2.11, 16, 18, 23). Il dépréciait le corps (2.9) et se complaisait dans une philosophie (sagesse) tout humaine (v.4, 8) pour laquelle la relation avec Dieu passait par divers intermédiaires spirituels (v.10, 15) et par l’accès à des connaissances cachées, des secrets réservés à certains initiés. Il faisait retomber les chrétiens dans le légalisme et dans une religion de salut par les oeuvres. Paul rédige cette lettre pour rappeler les fondements de la Bonne Nouvelle : la personne et l’oeuvre du Christ (1.12-23 ; 2.6-19) ; c’est dans l’union avec lui que se trouve la « plénitude » que ces enseignants promettaient aux Colossiens. Cette erreur ôtait à Jésus-Christ sa place unique de seul intermédiaire entre Dieu et les hommes, de seul Sauveur.

 

 

croix bois

 

Les versets 14 et 15 du deuxième chapitre

 

L’acte du verset 14

 

Le mot acte (cheirographon)1, si rare dans les textes classiques, apparaît fréquemment dans les papyrus liés à la vie des affaires et du commerce, en particulier pour la reconnaissance de dettes. Ainsi, un papyrus égyptien, contemporain de Paul, signale que pour une commande de vin, l’acquéreur a signé la facture de sa main, ce qui était une manière, quand on ne payait pas immédiatement, d’en reconnaître le montant : « Je reconnais devoir à M. X la somme de… » On a la même formule lors d’un emprunt ou d’actes notariés. Le cheirographon désigne donc l’immense hypothèque qui pèse sur l’humanité. Depuis l’intrusion du péché dans le monde, tous les hommes sont débiteurs devant leur divin créancier, qui est en droit d’attendre réparation. Mais étant donné qu’ils sont insolvables, le Christ a payé pour eux, en mourant sur la croix : en conséquence, Dieu a pardonné nos péchés et il a effacé la reconnaissance de dette qu’il aurait pu faire valoir contre nous.

 

Qui sont les Puissances et les Autorités ?

 

Paul parle dans la lettre aux Colossiens (1.16 ; 2.10, 15) et dans la lettre aux Éphésiens (1.21) de toute une série d’êtres célestes et de pouvoirs terrestres qui doivent tous leur existence au Fils. Il parle de trônes, de seigneuries, de princes, d’autorités et de puissances. Les termes montrent que leur objectif est le pouvoir, le règne, la domination. Il s’agit de personnages préposés au gouvernement des peuples et de l’histoire. Paul emploie à leur sujet un terme général pour les désigner en Colossiens (2.8, 20), celui de principes élémentaires, en grec « stoïcheia ». Les différents sens de ce mot couvrent un spectre assez vaste. Il désigne des objets formant une série comme :

 

  • l’alphabet, d’où : les notions élémentaires, « c’est l’ABC de… » ; ou les principes de base, les rudiments (Hé 5.12 : les vérités élémentaires) ;

 

  • les substances physiques élémentaires (2 P 3.10, 12) : les quatre éléments, terre, feu, eau, air ; • les constellations du zodiaque : dans la pensée religieuse et philosophique grecque, les différentes parties de l’univers étaient placées sous le contrôle de puissances spirituelles (on divinisait les corps célestes et une constellation était appelée « immortel stoïchéion »2) ;

 

  • les puissances spirituelles hostiles : dans Colossiens 2.8, stoïcheia est mis en opposition avec le Christ, il s’agit donc de forces spirituelles, et les hérétiques prônaient l’ascétisme (2.20-23) qui, précisément, était un exercice préparatoire destiné à les vaincre et à favoriser l’état de transe dans lequel se produisaient les visions (2.18). Les « souverainetés, dominations, principautés, puissances » étaient, dans l’enseignement des faux docteurs, des êtres spirituels médiateurs entre Dieu et les hommes. L’apôtre Paul dit que le Christ est supérieur à toutes ces puissances. Il est leur maître. Ceux qui sont unis à lui n’ont donc plus besoin de se préoccuper d’elles (Ép 6.12). Le Christ est le seul intermédiaire.

 

Le triomphe du verset 15

 

Paul fait allusion à la cérémonie romaine du triomphe. Le général victorieux auquel cet honneur avait été décerné, parcourait les rues de Rome sur un char derrière lequel marchaient, enchaînés, exposés aux quolibets de la foule, les chefs des nations et des armées vaincues. La croix, où les puissances démoniaques croyaient faire périr Jésus, est devenue, pour lui, l’instrument du triomphe : elle rend leur défaite manifeste3. À la fin du v.13, Paul dit que Dieu nous a pardonné toutes nos offenses et il a effacé l’acte qui nous était contraire. Ceux qui voulaient se servir de la Loi comme d’un moyen d’être justes devant Dieu ont vite fait l’expérience qu’elle témoignait contre eux, qu’elle les condamnait. Paul illustre son abolition par deux images : elle est effacée et elle a été clouée à la croix. Paul veut dire que Jésus-Christ a pris les divers actes d’accusation qui témoignaient de notre dette insolvable envers Dieu et les a cloués à la croix à la face des puissances accusatrices qui les brandissaient au-dessus des hommes et des femmes qu’ils tenaient en leur pouvoir. Tout comme l’acte d’accusation de Jésus était cloué à la croix, l’acte qui énumérait nos manquements à la Loi de Dieu l’a été en même temps. Mais par la croix, Jésus n’a pas seulement libéré les siens de la culpabilité du péché, il a aussi brisé le pouvoir du péché sur eux. Il a vaincu les puissances qui se servaient de l’acte d’accusation comme moyen de pression pour s’assujettir les hommes. Il a désarmé toute autorité, tout pouvoir, les donnant publiquement en spectacle. Jésus, à la croix, a désarmé les principautés et les pouvoirs, les privant de leur force. Par la victoire de la croix, Jésus a tourné l’arme de ses assaillants contre eux-mêmes : c’est leur faiblesse, et non la sienne, qui fut exposée publiquement.

 

Les principautés et les pouvoirs sont menés derrière le char triomphal du Christ conquérant. Paul montre qu’il est absurde de rendre hommage à ces forces qui étaient censées contrôler l’accès auprès de Dieu. Un seul ouvre accès auprès du Père : le Christ qui a triomphé de toutes ces forces. Quel qu’ait été leur pouvoir autrefois, ce sont à présent de pauvres éléments impuissants (Ga 4.9). La bataille décisive et la victoire ont eu lieu à la croix et au tombeau vide.

 

 

Conclusion

 

Jésus-Christ, plénitude de Dieu et pleinement homme (v.9), est le secret de Dieu dans lequel se trouve cachée toute la sagesse divine (v.2-3), celui auquel les puissances sont soumises (v.10). C’est en lui, que les croyants ont toute richesse : la mort à leur culpabilité [leur circoncision (v.11)], la vie [la résurrection (v.12)], la libération du régime de la Loi de l’Ancien Testament [la fin de l’acte accusateur (v.14)], la victoire sur les Puissances (v.15). Le Christ est seul suffisant, il nous a libérés par son oeuvre sur la croix, de notre dette insolvable face aux exigences de la Loi. Notre dette a été ainsi effacée. Nous sommes libérés de toute obligation, tout rite, car le secret caché dès l’origine des temps, est à présent accessible à tous et non réservé à des initiés. Paul y voit le plein épanouissement de l’homme avec toutes ses facultés, cette perfection est accessible à tout homme en Christ. Jésus est pleinement suffisant et il n’y a pas d’autres intermédiaires entre Dieu et nous.

 

F-J.M.

 

« Gardons les yeux fixés sur Jésus, qui nous a ouvert le chemin de la foi et qui la porte à la perfection. Parce qu’il avait en vue la joie qui lui était réservée, il a enduré la mort sur la croix, en méprisant la honte attachée à un tel supplice, et désormais il siège à la droite du trône de Dieu. » Hébreux 12.2

 


NOTES

 

1. Le mot cheirographon (chirographe) est un hapax (seul emploi) dans le NT, et il est peu connu du grec classique. Chirographe signifie littéralement : écrit de la main.

 

2. Diogène Laërce, en parlant des 12 stoïchéia, fait allusion aux signes du zodiaque.

 

3. Voir 2 Co 2.14, M 12.29 ; Lc 10.18, Rm 16.20