violonQu’est-ce que l’art ?

 

Quelle est sa relation avec la foi

chrétienne ?1

 

 

Par Alfred Kuen

 

Kuen

 

 

 

 

L’essence de l’art

« L’art est une représentation de la réalité à travers le ressenti de l’artiste d’une manière qui parle aussi à d’autres » (H. Egelkraut). Il ne veut pas être une imitation du modèle, mais une reconstruction de la réalité selon les sentiments et les représentations de l’artiste. L’aspiration à quelque chose de plus beau, de meilleur, témoigne du besoin de l’homme d’une rédemption de lui-même et de son monde ainsi que de l’aspiration à une perfection qui sommeille en lui. L’art construit son propre monde qui est rattaché au monde présent, mais le transcende – en bien comme en mal. […]

 

L’art a une fonction publique : les oeuvres d’art veulent orienter notre vision, nous apprendre à voir, elles sont expression et appel. L’artiste s’identifie avec son oeuvre et se fait prophète ou prédicateur. Sa force ne réside pas dans une claire logique argumentative, mais dans la suggestion, l’imaginaire, l’intuitif et le subconscient. D’où son ambivalence – comme dans toute création, il fait appel à ce qui existe en l’homme et se trouve interprété et reçu dans ce cadre.

 

 

 

L’art dans la Bible

 

La création divine est appelée « bonne », ce qui ne signifie pas seulement fonctionnelle, mais aussi belle. Dans le monde originel de Dieu, le bon et le beau coïncidaient – ce qui n’est plus nécessairement le cas dans un monde déchiré par le péché. Non seulement une belle femme peut devenir une tentatrice (Pr 6.25), mais le seul Bon, celui qui était le plus proche de Dieu, n’avait « ni prestance ni beauté pour retenir notre attention » (Es 53.2). Malgré ce conflit, Israël possédait un art représentatif et musical très développé pour le culte (au tabernacle et au Temple) ainsi qu’un art littéraire pour la description de la révélation divine dans l’Histoire et la création ainsi que pour la louange de Dieu (livres historiques, psaumes). Les artistes sont remplis de l’Esprit de Dieu qui leur confère « de l’habileté, de l’intelligence et de la compétence » (Ex 31.3). Cependant, la beauté ne fut jamais pour Israël une entité autonome et absolue, mais une émanation de l’action divine.

 

Dans le Nouveau Testament, Jésus se réjouit de la beauté de la création (Mt 6.28ss) ; le NT se sert du langage poétique (Ph 2.5ss) et le culte de l’Église est marqué par la beauté (cf. les scènes cultuelles de l’Apocalypse). Tout ce qui est pur, qui mérite respect et louange doit nourrir les pensées des chrétiens (Ph 4.8). « Tout est à vous » (1 Co 3.21- 22) comprend aussi la beauté et l’art.

 

 

L’art et la foi chrétienne

 

Pour Platon, ce qui est bon est beau, et le beau prépare le chemin vers le monde éternel. […] Si l’art revendique une fonction de révélation ou de rédemption, il s’oppose à la foi.

 

crucifixionUn autre danger de l’art est qu’il nous transpose dans un monde irréel qui ignore le mal et la souffrance du monde réel. Ce fut le cas de l’esthétisme des romantiques. Nietzsche prétendait que l’art réconciliait avec la vie en transfigurant et divinisant la souffrance. Ainsi considéré, l’esthétisme paralyse et neutralise l’éthique – contrairement à la foi chrétienne qui prend en compte le monde tel qu’il est, avec tout ce qui est inesthétique, mauvais et douloureux, et appelle à lutter contre les forces du mal.

 

Cependant, l’homme créé à l’image de Dieu a part à sa créativité. Par la création artistique, il reconstitue son monde et donne aux autres joie, ressourcement et détente. Il fait découvrir la beauté et la gloire de Dieu et incite à la louange et l’adoration. L’art peut ouvrir l’esprit à l’Évangile et l’orienter vers ce qui est noble, pur et vrai. Il peut aussi nous ouvrir les yeux sur la misère d’un monde sans Dieu et créer une aspiration à la rédemption – sans la procurer.

 

Dans ce sens, l’art a toujours eu sa place dans l’Église. La peinture a choisi des motifs bibliques, le luthéranisme a favorisé l’expression musicale, l’anglicanisme la littérature. Là où l’art domine le culte, on aboutit à une religion panthéiste et mystique. Il ne faut pas que l’art prenne la place de la Parole qui, seule, peut créer la conviction de péché et conduire à Dieu. (D’après H. Egelkraut.)

 

 

L’art : terrain de rencontre

 

Puisque l’art est une valeur refuge de l’homme moderne, il peut servir de terrain de rencontre privilégié, non seulement entre les hommes désacralisés eux-mêmes, mais aussi entre eux et les chrétiens. Jésus pratiquait déjà cette approche indirecte lorsqu’il racontait ses paraboles. La musique est sans doute la forme la plus répandue et la plus accessible de l’art. Elle est donc un moyen privilégié de rencontre entre les hommes du 21e siècle et les chrétiens, à condition d’obéir aux lois qui régissent tout langage pour qu’il soit compréhensible.

 

 

Le chrétien et l’art

 

L’art est un moyen privilégié qui permet au chrétien d’exprimer ce qu’il ressent et espère, ce qu’il aime et admire. Plus il connaît son Dieu, plus il se connaît lui-même et plus il connaît l’homme qui vit à ses côtés et à qui il veut transmettre le message libérateur de Dieu. L’art moderne en particulier nous révèle les peurs et les espoirs de nos contemporains, leurs fantasmes et les démons qui les habitent. Et puisque les discours ne sont plus guère écoutés dans notre monde, peut-être que par ces modes de communication non verbaux, nous parviendrons mieux à percer le mur d’indifférence de nos concitoyens et à les rendre ainsi attentifs à ce que nous aimerions leur dire.

 

Au cours de l’Histoire, les chrétiens ont adopté deux points de vue radicalement opposés vis-à-vis des arts : certains y ont vu un moyen de s’approcher de Dieu, les oeuvres d’art étant considérées comme des objets religieux inspirant et nourrissant la prière (les icônes, par exemple, ou les statues des saints). D’autres, de tendance iconoclaste, ont rejeté toute dimension religieuse de l’art – s’ils n’ont pas été jusqu’à détruire toute oeuvre d’art.

 

Dans les premiers siècles, l’Est fut dominé par les iconoclastes, l’Ouest par ceux qui vénéraient les Icônes. Par une ironie de l’Histoire, la tendance s’est inversée avec le temps, l’Est développant une théologie très élaborée des icônes.

 

L’Écriture valorise le don et les oeuvres des artistes. Calvin, s’appuyant sur Ex 35, dit que toute oeuvre d’art, même accomplie par des non-croyants, est un don du Saint-Esprit (Institution chrétienne II, 2.16). La perversion de l’art au profit de l’idolâtrie dans les religions des environs d’Israël (et dans l’expérience du veau d’or) a inspiré au peuple de Dieu de l’Ancienne Alliance une grande méfiance envers tous les arts plastiques (peinture, sculpture).

 

Seules la littérature et la musique ont été cultivées par le peuple élu. Sa poésie a produit de réels chefs-d’oeuvre capables de rivaliser avec les plus grandes productions littéraires mondiales.

 

La musique fut pratiquée en Israël depuis les premiers temps. Même la musique instrumentale contribuait à la louange de Dieu (1 Ch 23-5 ; 2 Ch 7.6 ; Ps 150.3-5).

 


NOTE

 

1. Extrait de L’Encyclopédie des questions, 1200 questions et réponses autour de la foi chrétienne, ALFRED KUEN Editions Emmaüs, avec autorisation