Traversée du désert : expérience

 

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« Le désert n’est pas un but, il est un lieu de passage, il est une

traversée, chacun a sa terre promise. Se connaître soi-même et ses

mémoires ne va pas sans désert à traverser. »

Jean-Yves LELOUP

 

Par Sylvie Murit-Champion1

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Approche

 

Se trouver aux portes du désert nécessite une longue marche d’approche. Les semaines qui précèdent le voyage sont empreintes d’une attente qu’on souhaiterait sereine ou joyeuse, ce qu’elle est à certains moments, mais teintée aussi d’inquiétude, de mouvement de se retirer, de sensation d’inconfort. Cette attente en soi sait déjà que la traversée nous entraîne corps et âme dans l’aventure.

 

Le début du voyage ressemble à un circuit touristique : aéroport, hôtel, dépaysement… On est insouciant et léger, on croque les moments comme de belles pommes. L’air d’Ouarzazate est si doux en janvier. Sur la grande place, les familles se promènent dans la lumière du soir. On se sent bien.

 

En voiture, 260 km nous séparent encore de Mhamid, notre point de départ. Avec nos compagnons de route, nous partageons durant ce trajet ce qui nous a attirés dans ce séjour au désert, ce que nous venons chercher, qui parle au fond de nous d’une quête, d’un désir que les préoccupations de notre quotidien bien rempli pourraient facilement nous faire oublier.

 

 

Marcher

 

Et puis la voiture s’arrête, là où les chameaux nous attendent. La marche commence. Simple et tranquille, ce mouvement de nos jambes, de nos corps, nous laisse apprécier ce qui nous entoure : des palmiers, puis moins d’arbres, de moins en moins, des arbustes, de petites plantes grasses, du bois sec… Juste marcher pour que ce rythme de base permette à l’esprit de se poser. Tant de nos pensées deviennent caduques dans cet environnement : « Il faudra que je pense à… » « L’autre jour, un tel m’a dit que… » « Et que va-t-il se passer si… ? » Aucune ne tient longtemps, elle se délite avant d’arriver à son terme, comme les nuages qui laissent de vagues traînées dans le ciel. Alors on revient à la marche qui scande toujours le tempo et peu à peu d’autres événements surgissent dans l’esprit : « Cette quête dont j’ai parlé dans la voiture, quel poids a-t-elle pour moi ? Je suis prête à quoi pour avancer vers elle, pour creuser dans sa direction ? » Je commence à ressentir ce qu’elle a d’essentiel pour moi, j’entrevois les possibles qu’elle peut m’ouvrir et je touche aussi les lourdeurs qui me tiennent loin de ses exigences. Traversée du désert : expérience

 

 

Jour après jour

 

La fin de la journée nous amène au bivouac. Chacun ôte ses chaussures, masse ses pieds, retrouve ses quelques affaires entassées dans le sac à dos. Je vis ces gestes modestes avec conscience, ma capacité à être vraiment là semble avoir grandi au cours de la marche. Le thé à la menthe réunit notre petit groupe. Couchés ou assis sur le sol, nous nous sentons proches par cette expérience partagée et en même temps le goût de la solitude nous a saisis chacun. Ce soir j’irai faire quelques pas sur une dune proche au coucher du soleil : la lumière s’amenuise, la première étoile luit dans le ciel pur. Calme profond.

 

Au petit matin, l’air est très frais. Le soleil n’est pas encore levé. Nous sommes assis côte à côte face à la lumière montante pour demeurer ensemble dans ce silence du petit jour. Mon coeur s’ouvre à cette humanité qui peuple la terre. Chaque jour la lumière se lève et nous donne la vie. Je recueille en moi dans le silence du désert, les pleurs, les joies, les désirs, les désespoirs, la beauté et la violence qui habitent le coeur des hommes.

 

 

Résister/s’abandonner

 

La marche reprend. Les jambes sont maintenant souples et comme en attente de ce mouvement cadencé qui va les animer plusieurs heures durant. Et tout au long de ces heures, l’esprit poursuit sa route. Il rencontre divers obstacles inattendus, il les contourne parfois avec sagesse, et parfois les prend de plein fouet sans parvenir, heure après heure, à les éloigner de son champ. Il lutte et s’épuise, croit trouver une issue et se sent à nouveau coller au mur au fond d’une impasse. Alors ses forces le lâchent, il se laisse couler dans la douleur qui l’enserre, il coule et s’abandonne, dessaisi par son prédateur. Il se sent alors flotter au milieu d’un vaste espace silencieux et sûr. La marche ne l’a pas quitté. Comme un enfant perdu qui ne sait plus où il doit aller, il suit ce guide rassurant, corps-esprit marchant à l’amble.

 

 

Écoute – Acceptation – Gratitude

 

Le sable si fin du désert provient de fragments rocheux longtemps broyés et polis au fil du temps. Il est le terme ultime de l’érosion. Ainsi une traversée du désert ne laisse pas indemne. Elle nous fait entrer dans ce mouvement permanent de la terre, un mouvement lent et continu, qui vient peu à peu à bout de tout amalgame friable. J’ai rencontré ainsi en moi durant ce voyage beauté et fragilités, je me suis mise à l’écoute de ces paysages intérieurs. La majesté des dunes, la douceur de leur forme et leur caractère éphémère m’ont aidée à regarder ces différents aspects de ma personnalité sans jugement, à accepter ces formes que prend la vie en moi et autour de moi comme autant de manifestations étonnantes. Alors monte en moi, au terme de ce voyage, une sensation faite de joie, d’élan, d’humilité. Je l’appelle gratitude : gratitude envers Celui qui crée sans cesse en se penchant avec délicatesse sur cette terre, sur cette matière humaine que nous sommes et encore une fois il fait de la boue avec sa salive pour nous rendre la vue, pour qu’éclate à nos yeux la grandeur déposée au coeur de sa création, déposée au fond de mon être, confiée à ma responsabilité.

 


NOTES

 

1. Sylvie Murit-Champion est formatrice en développement personnel et communication, elle pratique la relation d’aide individuelle et s’intéresse particulièrement à la croissance des personnes et à l’art de l’écoute. Elle et son mari ont découvert le désert marocain lors de différents séjours et ils y animent aujourd’hui une randonnée – développement personnel dans le cadre de l’association qu’ils ont fondée il y a plus de 20 ans : les Ateliers de Croissance Personnelle.