Vous avez dit poésie ?

 

plume

 

Par Marie Christine FAVE

MC-FAVE

 

 

 

« Environ 60 % de l’AT est écrit sous forme poétique »1. Cela vous surprend peut-être. Mais où sont les vers, les rimes, direz-vous ? Certes, les rimes sonores survivent mal à la traduction ! Mais surtout, la poésie hébraïque est bien différente de la nôtre. Nous allons en examiner quelques particularités.

 

 

 

 

Les parallélismes

 

Au lieu de formuler sa pensée sur une ligne, la poésie l’exprime sur deux lignes qui se font écho l’une à l’autre. « La rime sonore est remplacée par une “rime logique” ou “rime de sens” : le parallélisme. »2 On peut ainsi observer une certaine symétrie entre les deux lignes qui tantôt se répètent, tantôt se complètent… Les parallélismes peuvent en effet produire plusieurs effets. La liste ci-dessous n’est pas exhaustive :

 

• Effet de répétition

La deuxième ligne énonce la même idée que la première avec des mots proches ou synonymes (parallélisme synonymique). Ex. : Mes lèvres ne prononceront pas d’injustice, Et ma langue ne murmurera rien de faux. (Jb 27.4)

 

• Effet de contraste

La deuxième ligne reprend l’idée de la première, mais de façon négative. Ex. : Celui qui cultive son sol est rassasié de pain, Mais celui qui poursuit des futilités est rassasié de pauvreté. (Pr 28.19)

 

• Effet de complément

La deuxième ligne reprend l’idée de la première en ajoutant un élément nouveau (parallélisme synthétique) Ex. : Remets ton sort à l’Éternel, Confie-toi en lui, et c’est lui qui agira. (Ps 37.5) L’élément nouveau : et c’est lui qui agira.

 

• Effet de comparaison

La première ligne donne une image. La deuxième ligne fournit une application de cette image. Ex. : Autant l’orient est éloigné de l’occident, Autant il éloigne de nous nos offenses ; Comme un père a compassion de ses fils, L’Éternel a compassion de ceux qui le craignent. (Ps 103.12-13) Il y a deux parallélismes comparatifs qui se succèdent. Certains parallélismes sont plus complexes. Appelons A la première ligne et A’ la ligne qui lui correspond. On peut rencontrer différentes combinaisons :

 

• Parallélismes réguliers

Du type ABA’B’ (on peut rajouter d’autres lignes C C’…). A’ et B’ font écho à A et B dans le même ordre.

 

• Parallélismes inversés (ou chiasmes)

Du type ABB’A’, où A’ et B’ font écho à A et B, mais l’ordre est inversé. Ex. : on peut voir une structure de chiasme dans le Psaume 1. A : Contraste : différents chemins (choix) du juste et des méchants (v.1 et 2) B : Comparaison pour le juste (v.3) B’ : Comparaison pour les méchants (v.4) A’ : Contraste : différentes voies (destinées éternelles) des justes et des méchants (v.5 et 6).

 

L’inclusion

Elle se repère assez facilement. En effet, la fin du texte correspond au début. La même idée est reprise, parfois mot pour mot. Ex. : Le Psaume 8 débute et se conclut par : Éternel, notre Seigneur ! Que ton nom est magnifique sur toute la terre ! (v.2 et 10) De même pour le Psaume 103 : Mon âme, bénis l’Éternel ! (v.1 et 22) Un chiasme comprend une inclusion (A’). Mais tous les textes contenant une inclusion n’ont pas nécessairement une structure en chiasme.

 

Repérer les formes

Peut-être vous dites-vous : c’est bien beau tout cela, mais quel intérêt pour ma lecture personnelle ? Effectivement, on peut être impressionné par la beauté de certains textes poétiques dans la Bible. Cependant, ces procédés littéraires fournissent des indices de compréhension. Ainsi l’inclusion permet de délimiter un texte : on comprend que le passage forme un tout. Les parallélismes donnent un effet répétitif, qui aide à la mémorisation ; c’était important à l’époque où tout le monde n’avait pas accès aux Écrits comme aujourd’hui ! Repérer une structure du style ABA’B’ ou ABCC’B’A’ aide à mieux saisir la pensée de l’auteur : celui-ci ne développe pas son idée de façon linéaire et la partie centrale est importante. De plus, la répétition BB’ fournit un double éclairage avec des mots différents. Et si le sens de B ne semble pas clair, l’analyse de B’ apporte des éléments complémentaires.

 

Refrain

Certains psaumes sont construits avec un refrain – une ligne ou un verset – qui revient régulièrement. Le Psaume 107 en est un exemple. Les 2 versets suivants sont présents 4 fois chacun (avec un petit changement de verbe dans la traduction pour le premier délivra/sauva/fit sortir) : Dans leur détresse, ils crièrent à l’Éternel, et il les délivra de leurs angoisses. (v.6, 13, 19, 28). Qu’ils célèbrent l’Éternel pour sa bienveillance et pour ses merveilles en faveur des humains ! (v.8, 15, 21, 31). Un refrain qui rebondit sur le début du psaume : Célébrez l’Éternel, car il est bon, car sa bienveillance dure à toujours ! (v.1)

 

Poèmes alphabétiques

Dans ces poèmes, le premier mot du premier vers commence par la première lettre de l’alphabet. Le premier mot du deuxième vers par la deuxième lettre et ainsi de suite. C’est comme si on écrivait un poème en français avec la première ligne débutant par un A, la deuxième par un B, etc. Certains psaumes sont rédigés ainsi. Par exemple, les Psaumes 25 et 34. Notons qu’il y a 22 lettres dans l’alphabet hébreu. Le Psaume 119 offre une jolie particularité : il comprend 22 strophes de 8 versets chacune. Dans une strophe, chaque vers commence par la même lettre et les strophes se succèdent dans l’ordre alphabétique.

 

Langage imagé

La poésie hébraïque est riche en images. Certaines sont énoncées directement : Que les fleuves battent des mains, qu’ensemble les montagnes lancent des acclamations (Ps 98.8). D’autres s’expriment au moyen d’une comparaison (le mot comme peut servir d’indice) : Les justes fleurissent comme le palmier, ils croissent comme le cèdre du Liban (Ps 92.13). Des métaphores sont parfois utilisées : L’Éternel est mon berger (Ps 23.1). La poésie est différente d’une culture à l’autre. Mais dans tous les cas, elle nous touche à un autre niveau que la prose, « elle fait appel aux sentiments, à la pensée et à la volonté »3. Comprendre, au moins un peu, comment fonctionne la poésie hébraïque va nous aider à mieux saisir ces textes.

 


NOTES

 

1. Alfred Kuen, Comment interpréter la Bible, Éditions Emmaüs, 1991.

 

2. Ibid.

 

3. Ibid.