Foi et athéisme (1): débat J.LENNOX et R.DAWKINS

 

– Thèse n° 1 –

 

La foi est aveugle,

 

la science s’appuie sur des faits observés

 

 

 

foi-atheisme

 

 

 

Le débat1, dont nous reproduisons la transcription2 de 3 extraits avec l’aimable autorisation du Dr John LENNOX, avait été organisé, le 3 octobre 2007, par l’organisation chrétienne « Fixed Point Foundation », à Birmingham (Alabama, USA). Après une présentation des deux scientifiques par le modérateur(Bill PRIOR, Juge fédéral), le public assistant à cet événement applaudit les deux hommes et l’entretien commence…

 

 

John LENNOX,

mathématicien et philosophe des sciences à l’université d’Oxford est, depuis un certain nombre d’années, l’un des fers de lance d’un mouvement chrétien visant à expliquer aux croyants et non-croyants la démarche chrétienne et à resituer, voire expliciter, les rapports parfois flous, souvent polémiques, qu’entretiennent Science et Foi.

Richard DAWKINS,

célèbre éthologiste de l’université d’Oxford, est porte-parole d’un athéisme militant. Il est réputé pour ses livres très critiques vis-à-vis de la foi, dont l’un, « The God Delusion », sera la base de tout le débat de ce jour. Il a fortement financé une campagne de promotion de l’athéisme par affichage sur les bus londoniens en Janvier 2009

 


Bill PRIOR (MD)

Au cours de notre débat, nous donnerons un résumé de certaines des thèses du livre de M. DAWKINS. Pour illustrer votre argument, Professeur DAWKINS, j’ai retenu un extrait du début de la page 126 : « L’un des effets véritablement néfastes de la religion est qu’elle nous présente comme une vertu le fait de se contenter de ne pas comprendre » (tiré de The God Delusion3). Pourriez-vous développer un peu ?

 

 

Richard DAWKINS (RD)

La science se sert de faits observés pour découvrir la vérité de l’univers. Au cours des siècles passés, elle n’a cessé d’accroître son efficacité, malgré une féroce opposition de la part de la religion – même s’il faut aussi reconnaître que la science s’est développée à partir d’une tradition religieuse. Comme la citation lue tout à l’heure par Bill PRIOR l’évoque, la religion nous enseigne à nous contenter de ne pas comprendre. Lorsque l’on considère la beauté du monde, lorsque l’on s’interroge sur la manière dont tout cela s’est mis en place, je pense que l’on est naturellement submergé par un sentiment de respect mêlé de crainte, d’admiration, et l’on ressent une sorte de désir de louer quelque chose. Je ressens moi-même cela, comme d’autres scientifiques – Karl Sagan ou Einstein.

 

Chacun d’entre nous partage une sorte de vénération religieuse devant les beautés de l’univers, la complexité de la vie, la grandeur extrême du cosmos et la longueur extrême des temps géologiques ; et il est tentant de traduire ce sentiment de respect et d’adoration en un désir de louer une chose en particulier, une personne, un agent quelconque. On aimerait attribuer cela à un fabricant, à un « créateur ». La science est parvenue à nous soustraire à cette tendance à vouloir attribuer ces choses à un créateur. C’est une émancipation majeure, car les humains ont un désir quasi irrésistible de croire qu’ils ont expliqué quelque chose lorsqu’ils se réfèrent à un fabricant. Nous sommes tellement habitués à donner une explication aux choses de notre propre monde – ces caméras, ces projecteurs, tout ce que nous fabriquons, les habits que nous portons, les chaises sur lesquelles nous sommes assis… toutes ces choses que nous voyons autour de nous sont des objets manufacturés. Il est donc si tentant de croire que les êtres vivants ou les étoiles ou les montagnes ou les rivières ont tous été « fabriqués » par quelque chose.

 

Ce fut une immense avancée lorsque l’intellect humain a envisagé une meilleure explication pour ces choses, à savoir, qu’elles sont venues à l’existence par des causes purement naturelles. Lorsque la science a commencé, c’était avec l’objectif de parvenir à une explication complète de l’univers, mais nous n’en savions alors pas suffisamment. À présent, à la fin du XXe siècle, début du XXIe, nous ne savons toujours pas tout, mais nous avons réalisé d’énormes avancées sur le chemin de la compréhension. Nous comprenons maintenant les grandes étapes qui ont conduit à l’apparition de la vie. Nous savons que nous sommes tous cousins des animaux et des plantes, nous savons que nous descendons d’un ancêtre commun qui a probablement dû ressembler à une bactérie ; nous connaissons le processus suivant lequel cela s’est produit ; nous n’en connaissons pas les détails, mais nous comprenons dans ses grandes lignes comment tout cela est arrivé. Il demeure des lacunes, nous ne savons pas comment le cosmos est apparu, mais nous travaillons à une meilleure compréhension, L’activité scientifique est une recherche active, une mise en évidence des lacunes dans nos connaissances, une mise en évidence de notre ignorance pour l’éliminer.

 

En revanche, la religion nous enseigne à nous contenter de ne pas vraiment comprendre. À toutes les questions difficiles qui surgissent, la science dit : « Remontons nos manches et mettons-nous au travail ». La religion dit : « C’est Dieu qui a fait cela, nous n’avons pas besoin d’y travailler ». Nous ne trouvons donc pas de vraies motivations par la religion en vue de comprendre le monde. La religion stérilise l’envie de comprendre parce qu’elle procure une explication simpliste, facile et superficielle. Nous aurons l’occasion de montrer plus tard qu’il s’agit d’une pseudo-explication qui empêche tout travail supplémentaire sur le problème en question…

 

MD – Docteur LENNOX ?

 

John LENNOX (JL) II y a deux propositions distinctes ici : La foi est aveugle, et la science est fondée sur des faits observés. Je ne vous rejoins pas sur le premier point, mais je suis absolument d’accord avec le second. Certaines « croyances religieuses » sont effectivement aveugles. Une foi aveugle peut s’avérer très dangereuse, en particulier celle qui implique une obéissance aveugle à une autorité malveillante. Mais, Mesdames et Messieurs, je voudrais souligner que cette dangerosité s’applique de la même manière aux croyances des personnes religieuses qu’à celles de personnes laïques. Mais toute foi n’est pas nécessairement aveugle, parce que la foi porte en elle les idées de croyance, de confiance, d’engagement, et se trouve donc aussi robuste que les faits observés qui la soutiennent. La foi dans le « monstre en spaghettis volant »4 – délicieuse idée, si chère à Richard DAWKINS – est aveugle parce qu’il n’y a pas de faits observés attestant l’existence de ce « monstre en spaghettis volant ».

 

Mais la foi dans la théorie de la relativité n’est pas aveugle, car il y a des faits observés qui la supportent. Je ne peux pas parler avec autorité à propos de toutes les religions ; mais la foi, dans son sens chrétien, n’est pas aveugle et à vrai dire, je ne connais pas un seul chrétien sérieux qui le pense. En effet, tel que je comprends les choses, la foi aveugle dans les idoles et autres inventions de l’imagination humaine – en d’autres termes, tout dieu illusoire – est sévèrement condamnée dans la Bible. Ma foi en Dieu, en Christ comme Fils de Dieu, n’est pas une illusion. Elle est rationnelle et fondée sur des faits observés. Certains de ces faits sont objectifs, d’autres viennent de la science, d’autres encore viennent de l’Histoire, et certains peuvent aussi provenir de l’expérience. Et bien sûr, on ne parle pas de preuves ! On n’obtient de preuves que dans le strict sens mathématique (qui est mon domaine de recherche). Mais dans toutes les autres disciplines (y compris scientifiques), on ne peut pas parler de preuves, mais plutôt défaits observés, d’indices forts, on peut, tout au plus, être convaincu « au-delà du doute raisonnable ». Il me semble important, dans ce contexte, d’insister sur le fait que la science a un champ limité. En effet, il semble dangereux d’assimiler la science à la rationalité. Ce qui est au-delà des sciences n’est pas forcément irrationnel. La science ne peut pas nous dire, par exemple, si un poème, une oeuvre littéraire, artistique ou musicale sont bons ou beaux. La science peut, en revanche, nous dire qu’en mettant de la strychnine dans le thé de votre grand-mère cela va la tuer5. Mais la science ne peut pas dire s’il est moralement juste de le faire…

 

Et un lauréat du prix Nobel, Peter MEDAWAR, qui est un peu un héros pour nous deux, je pense, a signalé que l’on peut facilement voir les limites de la science, car elle ne peut pas apporter de réponses aux questions élémentaires d’un enfant : Qui suis-je ? Quel est le but de mon existence ? Où vais-je ? Mais Richard s’est contenté de mettre en contraste la science et la religion, la religion se satisfaisant de la non-compréhension, quand, de son côté, la science cherche à rendre l’univers compréhensible. Et je comprends très bien ce qui motive cette objection, car quelquefois les chrétiens, je l’avoue, ont été coupables d’adopter des solutions paresseuses du type « Dieu bouche-trou » (« God of the gaps »). Cette approche trop facile consiste à dire : « Je ne peux pas comprendre cela donc Dieu l’a fait ». Dans cette solution, bien sûr, dès que les questions ont trouvé des réponses, Dieu disparaît au moment où le trou est bouché. J’aimerais tout de même signaler qu’il existe deux types de vides ou de trous. Il y a des vides que la science comble, et j’appelle ces derniers de mauvais trous. Mais il y a aussi des vides que la science creuse, et j’y reviendrai probablement plus tard. Richard se réfère à un fait majeur. La science moderne, qui a pris son plein essor au cours des XVIe et XVIIe siècles, a émergé dans un contexte théiste.

 

Plusieurs philosophes des sciences ont étudié ce phénomène et sont arrivés à la conclusion, connue actuellement sous le nom de « thèse de Whitehead », que les hommes devinrent scientifiques parce qu’ils s’attendaient à trouver des lois dans la nature, et cela, à cause de leur croyance en un législateur. Ce point est profondément important, car il implique que la religion n’était absolument pas un frein à la science, mais, au contraire, la force motrice qui a suscité l’émergence de la science moderne. Par exemple, lorsque Isaac NEWTON a découvert sa loi de la gravitation et a écrit ses équations du mouvement, il n’a pas dit : « Merveilleux, maintenant je comprends, je tiens le mécanisme, donc je n’ai pas besoin de Dieu ! » Ce fut tout le contraire. C’est pour avoir compris la complexité et la subtilité de la description mathématique de l’univers que sa louange envers Dieu en a été encore plus grande. Permets-moi de suggérer, Richard, que, quelque part, tu fais une erreur de catégories. Tu confonds mécanisme et agent. « Nous avons un mécanisme qui fait telle ou telle chose, il n’y a donc plus besoin d’un agent. » Je suggérerais plutôt que la complexité du mécanisme (et la science se régale à les découvrir) est un fait observable attestant la merveille absolue qu’est le génie créatif de Dieu (lui le véritable agent de la création).

 

RD – Pour commencer, j’aimerais répondre un peu à ce que John a dit précédemment, et j’apprécierais que nos échanges soient plus sous forme de dialogue. Si ce que vous dites – « la foi est rationnelle, basée sur des faits observés » – était vrai, cela ne serait pas foi n’est-ce pas ? S’il y avait des faits observables pour l’appuyer, pourquoi donc aurais-tu besoin de l’appeler foi ? Vous pourriez vous contenter de dire faits observés. Lorsque vous parlez de foi en la théorie de la relativité d’Einstein fondée sur des faits observés, qu’il y ait des faits observés dans ce cas, c’est évident. En effet, les prédictions d’Einstein concordent avec les observations et avec l’ensemble de nos constructions théoriques. Le terme « foi » ne devrait être employé que s’il n’y a aucun fait observé pour le confirmer.

 

JL – Non, pas du tout. Vous avez foi en votre femme, je présume ? Y a-t-il des faits observés qui appuient cela ?

 

RD – Oui, beaucoup de faits observés…

 

JL – Mmmh ! (suivi de rires et d’applaudissements du public)

 

RD – Passons à la généralisation – laissons ma femme en dehors de tout ça -, généralisons (à nouveau, rires du public). Disons, en général, comment savons-nous que quelqu’un nous aime ? OK, vous pouvez utiliser le terme « foi » pour ça, mais ce n’est pas l’usage approprié de ce mot.

 

JL – Bien sûr que si !

 

RD – Vous savez que votre femme vous aime à cause de tous ses petits signes, ses intonations de voix, ses regards. Ce sont les faits observés, des choses concrètes appropriées qui le confirment, ce n’est pas de la foi.

 

JL – Bien sûr que c’est de la foi !

 

RD – Bon… OK, dans ce cas la discussion tourne uniquement autour de la sémantique.

 

JL – Je pense que vous avez été trop fortement influencé par Kant…

 

Le modérateur met fin à la discussion et passe à la thèse suivante.

 


NOTES

 

1. L’enregistrement vidéo original est disponible sur internet : www.dawkinslennoxdebate.com/

 

2. Traduction des textes : Matthieu GALVEZ, Paul MONCLAIR, Robert SOUZA, Reynald KOZYCKI

 

3. « The God Delusion », publié par Houghton Mifflin Harcourt (2006). En français, ce livre est édité par Robert Laffont, 2008, sous le titre « Pour en finir avec Dieu »

 

4. Flying spaghetti monster : (monstre en spaghettis volant) parodie de la religion créée par Bobby HENDERSON, professeur de physique, pour s’opposer à l’enseignement en milieu scolaire du Dessein intelligent comme alternative à la théorie de l’évolution dans certains états comme le Kansas aux USA. HENDERSON, face à l’accord de Georges BUSH en 2005 d’introduire le Dessein intelligent, a exigé que l’on puisse introduire aussi une nouvelle divinité qui s’appellerait le « monstre en spaghettis volant ». Cette « doctrine » est connue sous le nom de Pastafarisme.

 

5. Strychnine : molécule mortelle à haute dose pour l’homme.