Survol historique de la Trinité

 

 

par Reynald KOZYCKI

 Reynald Kozycki

 

Les articles précédents ont démontré que la Bible est suffisante pour apporter les éléments essentiels à propos du « mystère » de la nature de Dieu en trois personnes. Une formulation plus précise sera apportée entre le Ilème et le Verne siècle suite à de nombreuses controverses qui ont secoué la chrétienté. En survolant les débats, nous allons reprendre quelques affirmations apportant un éclairage sur cette question.

 

 

 

Confusions !

 

Les auteurs chrétiens des IIème et IIIème siècles exaltent le pouvoir et la dignité de Jésus face à de nombreuses déviations. Sans aborder les mouvements en marge de la foi chrétienne comme le manichéisme, le marcionisme ou le gnosticisme…, arrêtons-nous brièvement sur quelques confusions « subtiles » concernant la compréhension des relations entre le Père, le Fils et l’Esprit.

 

Modalisme

 

Pour les modalistes, la divinité apparaît en trois modalités. Elle s’est incarnée dans le Christ, qui ne serait autre que le Père devenu chair, puis dans l’Esprit. Ils critiquent la position plus courante, comme celle de Clément de Rome ou d’Ignace d’Antioche qui affirmaient fermement la divinité de Jésus tout en étant distinct du Père.

 

Les modalistes pensaient que cette conception aboutit à « deux dieux ». Sabellius (vers 217) développe cette pensée en affirmant que Dieu agit sous trois prosôpa – trois masques ou visages – successifs : il est Père, comme créateur et législateur, il est Fils, de sa naissance à sa mort sur la croix ; il est enfin l’Esprit qui sanctifie l’Eglise. Callixtus, l’esclave romain qui devint pape vers 218 et martyr en 223, a été d’abord favorable à ces enseignements puis il condamna Sabellius.

 

Origène (185-284)

 

origene

  II fut un brillant théologien, auteur de très nombreux livres. Il décrivait Dieu en trois personnes, ou trois hypostases divines et éternelles, préparant ainsi les formulations d’Athanase ou d’Augustin. Malheureusement, pour Origène, l’égalité du Père et du Fils est inconcevable et les trois hypostases ne sont pas de même « essence ». Il prépare ainsi la voie d’Arius.

 

 

 

 

 

 

 

Arius (256-336)

 

Pour les Ariens, non seulement les « hypostases » ne sont pas de même essence, mais Jésus et l’Esprit sont des créatures de Dieu (donc non éternelles) par le moyen desquelles le Père a tout créé. Pour Arius, il n’y a pas d’hypostases éternelles à l’exception du Père, point de distinction au sein de l’essence divine.

 

 

Affirmations plus « orthodoxes » !

 

Théophile d’Antioche (vers 180)

 

II est probablement le premier, en 180, à avoir employé le mot trinité dans son apologétique. Commentant les jours de création, il dit que les trois premiers jours, avant les luminaires, sont un type de la Trinité (Triados en grec)1. En Dieu, il voyait le Père, la Parole (le Fils) et la Sagesse (l’Esprit). En commentant le 6e jour, « Faisons l’homme à notre image », Théophile relève la pluralité en Dieu (Père, Parole et sagesse).2

 

Tertullien (150-230)

 

tertullien

 Malgré son engagement à la fin de sa vie dans le mouvement montiste, il a affirmé plusieurs vérités essentielles sur la Trinité. Ce fut vraisemblablement la première personne à utiliser ce mot en latin.

 

Il pose d’emblée l’unité de la substance divine. Par substance, il reprend l’idée stoïcienne de l’étoffe dont les choses sont faites. Pour Dieu, c’est « sa matière constitutive ». Cette unité se déploie et s’organise, sans division ni opposition, en la trinité du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Pour exprimer cette pluralité, Tertullien emploie le mot « persona » qui peut signifier le masque, le rôle, le sujet personnel. Dans ce sens, Tertullien dit du Père, du Fils et du Saint-Esprit qu’ils sont trois « personnes » :

 

« […] la Trinité, où nous distinguons trois personnes, le Père, le Fils et l’Esprit saint. Ils sont trois, non pas en essence, mais en degré; non pas en substance, mais en forme; non pas en puissance, mais en espèce; tous trois ayant une seule et même substance, une seule et même nature, une seule et même puissance, parce qu’il n’y a qu’un seul Dieu duquel procèdent ces degrés, ces formes et ces espèces, sous le nom de Père, de Fils et de Saint-Esprit ».3]

 

Athanase (296 – 373 après J.C.)

 

athanase

 Patriarche d’Alexandrie au VIe siècle, il connut auparavant plusieurs exils parce qu’il s’est opposé à Arius. Dans ses ouvrages il formulera la doctrine de la Trinité avec finesse. L’un des textes les plus connus de lui est le symbole d’Athanase : « Or c’est ici la Foi universelle (ou catholique) : Que nous adorions un Dieu dans la Trinité, et la Trinité dans l’Unité, sans confondre les personnes et sans diviser la substance. Car autre est la personne du Père, autre est celle du Fils, autre est celle du Saint- Esprit. Mais la Divinité du Père, du Fils et du Saint-Esprit n’est qu’une, leur gloire est égale, leur majesté coéternelle. Tel est le Père, tel est le Fils, tel est le Saint-Esprit. Le Père incréé, le Fils incréé, le Saint-Esprit incréé. Le Père infini, le Fils infini, le Saint-Esprit infini. Le Père éternel, le Fils éternel, le Saint-Esprit éternel. Et cependant ils ne sont point trois éternels, mais un éternel… Et dans cette Trinité, il n’y a ni priorité, ni postériorité : l’un n’est pas plus grand, ni moindre que l’autre. Mais toutes les trois Personnes sont coétemelles et égales entre elles. De sorte qu’en toutes choses, comme il a déjà été dit ci-dessus, il faut adorer l’Unité dans la Trinité, et la Trinité dans l’Unité. Quiconque veut donc être sauvé doit avoir ces sentiments de la Trinité ».4]

 

Le Symbole de Nicée (325)

 

symbole-niceeL’ensemble des « Evêques » chrétiens a été réuni à Nicée par Constantin. Un socle commun de croyances a été adopté de manière quasi-unanime, connu sous le nom de « Credo » (l’enseignement d’Arius y fut notamment condamné).

 

« Nous croyons […] en un seul Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, engendré Fils unique du Père, c’est-à-dire de la substance du Père, Dieu de Dieu, Lumière de Lumière, vrai Dieu né du vrai Dieu, engendré non pas créé, consubstantiel au Père ».

 

Le concile de Constantinople restera dans les mémoires comme le lieu de la clarification théologique du mystère de la Trinité. Il compléta le symbole de Nicée en y affirmant notamment la divinité de l’Esprit (voir quelques ajouts à Nicée en italique) :

 

« […] Il a été crucifié à cause de nous sous Ponce Pilate, a souffert, a été enseveli et est ressuscité le troisième jour selon les Écritures ; il est remonté aux cieux et s’est assis à la droite du Père, d’où il reviendra avec gloire pour juger les vivants et les morts, dont le règne n’aura pas de fin, et en l’Esprit Saint, le Seigneur qui règne et rend vivant, qui procède du Père et qui avec le Père et le Fils doit être honoré et glorifié, qui a parlé par les prophètes, une seule église, sainte, universelle et apostolique »

 

 

Conclusion

 

Le reste de l’histoire chrétienne n’a pas apporté réellement de nouveautés dans la formulation de la Trinité. Certaines erreurs sont revenues sur le tapis comme Michel Servet au XVIe qui reprenait le sabellianisme, ou les Témoins de Jehova l‘arianisme. La Trinité est restée un des enseignements de base des principales dénominations chrétiennes, bien que le courant libéral protestant la conteste discrètement. Le retour et l’attachement à l’Ecriture dans sa globalité nous conduisent à affirmer avec Augustin :

 

« Tous les interprètes de nos livres sacrés, tant de l’ancien Testament que du nouveau que j’ai lus, et qui ont écrit sur la Trinité, le Dieu unique et véritable, se sont accordés à prouver par l’enseignement des Ecritures que le Père, le Fils et l’Esprit Saint sont un en unité de nature, ou de substance, et parfaitement égaux entre eux. Ainsi ce ne sont pas trois dieux, mais un seul et même Dieu. »5]

 

R.K.


NOTES

 

1. A Autolycus, Livre 2, chapitre 15.

 

2. Ibid, Livre 2, chapitre 18.

 

3. Tertullien, Contre Praexas, Chapitre II.

 

4. La formulation définitive de ce texte est attribuée à l’évêque Fulgence de Ruspe vers 533.

 

5. Saint-Augustin (354-430), De la Trinité, I, IV, 7