Le rapport à la terre dans l’Ancien Testament1

 

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par François-Jean MARTIN

 François-Jean Martin

 

Pour comprendre ta conception biblique du rapport à la création, il est nécessaire de voir la place de la terre en Israël. Quels étaient les liens qui unissaient les Israélites avec leur pays ?

 

 

Le peuple d’Israël ne devait pas traiter son pays à sa guise. Bien qu’il lui eût été donné par le Seigneur son Dieu, il demeurait le pays de l’Eternel. Lui seul en était l’ultime propriétaire ; les Israélites étaient ses métayers. Cette relation réciproque entre Dieu et le peuple impliquait des droits et des responsabilités importants dans le domaine économique, en lien avec la vie du peuple dans le pays. Les notions de propriété divine et de don divin sont les deux affirmations théologiques fondamentales qui gouvernaient la façon dont Israël comprenait son pays.

 

Pour Israël, le pays était un sujet central du point de vue théologique et éthique. Il est capital de saisir ce rapport au pays car pour nous, notre foi dans la nouvelle alliance repose sur notre rapport à une personne et non à une terre sainte ou à une ville sainte.

 

Dans le récit du déluge, nous trouvons déjà comme un prototype des deux aspects de la réponse que Dieu apporte à la malédiction de la terre : destruction et renouvellement. Le récit va rapidement montrer que le déluge n’a pas fait disparaître le péché. Cependant ce récit permet à Dieu de donner un signe fort de son attachement à la vie terrestre tant que cette alliance durera.

 

La promesse d’alliance faite à Abraham, comprend le pays au nombre de ses constituants fondamentaux (Gn 12.7 ; 15.7, 18-21 ; 17.8…) ; c’est d’ailleurs le plus important au niveau de la place.2 Dans une lecture cursive de ces textes, on découvre que la possession du pays constitue la trame de toute l’histoire jusqu’à l’établissement du peuple dans les limites territoriales du royaume de David (2 S 8.10). Les textes qui suivent, aussi bien aux niveaux historique que prophétique, sont centrés sur la perte du pays et les exils et sur le retour au pays et son repeuplement.

 

Le pays est bien le troisième composant du trépied de la promesse constituée de la postérité, de la bénédiction et du pays. La lecture des livres historiques et prophétiques après le règne de Salomon montre un pays secoué par des luttes incessantes entre les forces externes et internes d’expropriation, de cupidité et d’exploitation et la protestation des prophètes. Mais ces mêmes textes parlent de restauration et de retour au pays avec, même avant l’exil, des gestes forts et symboliques d’achat de terrain (Jr 32) et la promesse de leur retour considéré comme un nouvel exode (Es 43.16-21 ; Jr 23.7-8).

 

La conception cultuelle du pays était la suivante : la terre appartenait au Seigneur, il en était le divin propriétaire. C’est pourquoi la loi dit : « une terre ne devra jamais être vendue à titre définitif car le pays m’appartient. » (Lv 25.23)

 

Ainsi la terre est à la fois un don divin et la propriété divine. Une dualité qui demeure dans les textes.

 

 

Le pays, don divin

 

Israël avait un pays où vivre parce que l’Eternel le lui avait donné. La promesse du don de pays et son accomplissement dans l’histoire représentent deux des thèmes principaux de l’A. T. (en particulier du pentateuque et des premiers livres historiques).

 

Les récits patriarcaux soulignent la situation d’étrangers et de résidents temporaires des ancêtres d’Israël. Et c’est dans le passage du Deutéronome qui reconnaît que Dieu a donné à Israël le pays promis (26.3), que l’on proclame ce que tout Israélite devait dire en déposant devant Dieu les prémices de ses récoltes : « Mon ancêtre était un araméen errant » (26.5).

 

Les Israélites devaient se souvenir qu’ils dépendaient de l’amour de Dieu, ils lui devaient même leur terre. Ils ne pouvaient se glorifier de rien (Dt 7.7-8 ; 8.17-18 ; 9.5). Cela permettait à Israël d’avoir une juste compréhension de sa relation avec Dieu.

 

Cette dépendance reposait sur l’assurance de la fidélité de Dieu, qui donnait les pluies de saison et d’arrière-saison et la fertilité.

 

grainesLe pays est l’héritage, le patrimoine ; ces termes soulignent le rapport filial entre Dieu et Israël. Dieu appelle Israël son fils aîné (Ex 4.22). En Israël, le roi ne possédait pas la terre. La notion du don du pays s’étendait jusqu’aux couches les plus basses de la société. Chaque famille pouvait en appeler à Dieu pour garantir ses droits sur la terre qu’elle possédait.

 

Le partage du pays eut lieu par groupes familiaux de façon équitable afin que chaque famille ait sa part de l’héritage national. Le Seigneur avait même installé un système de protection du droit à la propriété de toutes les familles d’Israël : le jubilé. Le droit de propriété n’était donc pas fondé sur la loi naturelle, ni sur des accords commerciaux, ni sur la force. Il était enraciné dans la théologie du don du pays. Les biens fonciers étaient attribués par Dieu et administrés en son nom.

 

Samuel, lors de la demande d’un roi par le peuple l’avertit que les rois allaient confisquer la terre et la donner à leurs courtisans (1S 8.10-18). Sous leur autorité, de plus en plus d’Israélites vont voir violer leurs droits de la propriété foncière familiale inaliénable. Ils vont, en particulier par l’endettement, être dépossédés de leur terre et réduits à un état de servage sur la terre qui autrefois leur avait appartenu et que s’étaient appropriés quelques rudes et puissants personnages.

 

 

Le pays, propriété divine

 

Le contexte comme toujours est primordial pour comprendre la portée de cette donation. Il s’agit de l’alliance et des engagements réciproques des deux parties. Donc l’accord rendait le don conditionnel. Il dépendait de la fidélité d’Israël aux clauses de l’alliance.

 

Ce don ne donnait d’ailleurs pas le droit d’en user et d’en abuser ; car le pays demeurait la propriété de Yahvé. Il le dit dans le Lévitique (25.23) : « le pays m’appartient et vous êtes chez moi des étrangers et des immigrés ». Dieu assume le rôle du propriétaire et donne aux Israélites celui de résidents qui dépendent de lui. Le Seigneur est le divin propriétaire et tous les Israélites sont des métayers. Les Israélites doivent donc rendre des comptes à leur divin propriétaire au sujet de leur utilisation de ce qui n’appartient qu’à lui.

 

Cette conception entraîne des devoirs, envers Dieu, la famille et le prochain. Ainsi les lois sur la dîme, les prémices des moissons, les lois sur les récoltes et certaines lois sur le sabbat sont liées à l’année de la jachère, de la remise des dettes et du jubilé. Les devoirs envers la famille comprennent la loi de l’inaliénabilité des terres, les pro­cédures de rachat, les lois sur l’héritage et le lévirat.

 

Les devoirs envers le prochain incluaient les lois sur les atteintes à la propriété d’autrui ou sur les comportements négligents, les règles de sécurité, le respect des frontières, la possibilité de glanage des champs, le juste traitement des employés et même des animaux domestiques.

 

Les devoirs des Israélites ne concernaient pas seulement les cultes lors des fêtes et des sabbats, mais aussi les réalités économiques de la vie quotidienne (Os 2.7, 10).

 

Or c’était justement dans ces domaines qu’il était difficile d’avoir foi en la capacité de Dieu d’assurer les récoltes, de donner de quoi vivre à sa famille pendant une année entière (lors des années sabbatiques sans semailles) et pendant deux ans lors du jubilé.

 

 

En conclusion, un élargissement

 

La place importante du pays dans l’alliance et le cadre donné par Dieu à la relation au pays, fait que la terre est à la fois un don divin et la propriété divine. Cela entraîne des obligations évi­dentes des Israélites vis-à-vis du pays. De nombreuses lois soulignent ce rôle à la fois d’autorité comme vizir de Dieu, seul vrai propriétaire, et comme métayer. Dans les deux cas la responsabilité des habitants à préserver et à faire fructifier la terre est totale. Quand elle n’est pas assumée par désobéissance, la terre en subit pleinement les conséquences.

 

L’interprétation de l’Ancien Testament permet d’élargir la perspective. Elle nous invite à dépasser Israël pour nous intéresser à l’ensemble de l’humanité et à dépasser la terre d’Israël pour nous intéresser à la planète Terre dans son ensemble. Le triangle rédempteur interne – Dieu, Israël et son pays – doit donc être considéré dans le cadre plus général du triangle de la création -Dieu, l’humanité et la terre.

 

En effet les deux affirmations qui sont faites à propos de la terre d’Israël sont faites à propos de la Terre dans son ensemble, à savoir : la propriété divine ; la Terre appartient à Dieu (Ps 24.1) et le don divin ; la Terre qu’il a donnée à l’humanité (PS 115.16). Cette double affirmation : Dieu possède la Terre et II l’a donnée à l’humanité, doit donc servir de fondement à la réflexion sur la dimen­sion écologique de l’éthique dans l’Ancien Testament.

 

F-J.M.


NOTES

 

1.  Cet article est un très court résumé fait par Françoise Lombet d’un chapitre du livre « Une éthique biblique de l’Ecologie », François-Jean Martin, Barcelone, 2008 publié en espagnol, dans le cadre des Actes du Congrès Evangélique Espagnol 2007 dont l’auteur était un des intervenants.

 

2.  Christophe: J.H. Wright (L’éthique L’Ancien Testament, Ed. Excelsis 2007) indique (p. 89) que dans l’ensemble des 46 mentions de la promesse dans l’ensemble du texte de la Genèse à Juges, seules 7 ne mentionnent pas le pays tandis que 29 ne citent que le pays.