Thèmes de la rédemption dans le cinéma

 

bobine

 

 

 

Dossier coordonné par Reynald Kozycki

 

 

Le cinéma est une fenêtre ouverte sur le monde qui nous entoure et sur la culture contemporaine. Le pire et le meilleur s’y côtoient L’homme créé en image et en ressemblance de Dieu dévoile, au moins en partie, dans ses œuvres, ses préoccupations profondes. Plusieurs auteurs ou réalisateurs n’ont pas manqué, par des moyens parfois étranges, de soulever la question fondamentale du salut ou de la rédemption. Les trois courts articles (ou extraits) qui suivent donnent quelques perspectives intéressantes sur ce thème.

 

La dimension religieuse dans le cinéma1

 

clappar John COFFEY2

 

Même des films qui ne mettent pas en scène des croyants s’inspirent souvent des récits de la Passion ou de l’Apocalypse. The Terminator (1984), un film classique de science-fiction, raconte l’histoire d’une humble femme qui est choisie pour donner naissance à un libérateur nommé John Conner (notez bien les initiales). Comme le roi Hérode, le Terminator, ordonne le massacre d’innocents pour détruire le personnage messianique, mais dans ce film chargé d’évocations apocalyptiques, on sait que la femme donnera le jour à un enfant qui sauvera l’humanité de la destruction.

 

Dans de nombreux autres films, le héros est un personnage qui ressemble au Christ. C’est le cas de films comme Eléphant Man (1980), E.T. 1982). Même Edward Scissorhands (1990) peut se ranger parmi ces films. Seven (1995), l’un des thrillers les plus lugubres des années 1990, est saupoudré de références à d’Aquin, Dante, au Paradis perdu de Milton, et aux sept péchés capitaux. Il insiste constamment sur la corruption de l’homme et la nécessité d’un jugement. Des films comme celui-ci tirent leur force de leur discours théologique.

 

Les philosophies séculières n’ont pas le même poids, car elles n’ont pas grand-chose à dire au sujet du mal radical ou de la possibilité d’une rédemption. Lorsque les réalisateurs de films s’orientent vers les tenants et les aboutissants de l’expérience humaine, ils sont obligés de faire appel à l’héritage chrétien…

 

 

La rédemption dans le cinéma

 

clappar Philippe ROHRBACH3

 

Rédemption et « vengeance ».

 

La vengeance refuse la rédemption, par exemple dans Fury (1936) de Fritz Lang (avec Spencer Tracy). Les supplications, les appels à la clémence, les protestations véhémentes, les preuves même d’une « amende honorable » (j’ai changé, je ne suis plus le même… ) se heurtent à un refus inexorable. Celui qui se venge a besoin de penser que son offenseur est « irrécupérable ». La vengeance est la figure du destin, Némésis, comme dans « La mariée était en noir » (1968) de Truffaut.

 

Le sens fort de la rédemption

 

Dans la rédemption il y a l’idée d’un renversement, d’une transformation réelle du coupable. Un changement radical a lieu, une nouvelle naissance, une conversion authentique, bref, un renversement de l’ancien au nouveau. Donc, la rédemption du criminel, par exemple, est imprévisible, elle excède le pouvoir répressif et correctif de la peine, le transcende totalement. Un tel renversement, intérieur, spirituel, ne peut être produit par des moyens extérieurs.

 

Ces moyens extérieurs sont des conditions parfois nécessaires mais jamais suffisantes. On peut avoir « payé sa dette à la société », réintégré la vie civile et se conduire correctement, sans rédemption. La rédemption n’est pas seulement le « redressement », la « correction » du délinquant ou du criminel. Elle va plus loin, elle suppose une « transfiguration », c’est la manière de penser, le sens même que l’individu donne à son existence qui ont radicalement changé.

 

Comment la rédemption est-elle possible ?

 

Alors, la question vient tout naturellement, comme celle de Nicodème à Jésus : comment cela peut-il se faire ? Comment celui qui a volé, par exemple, cesse-t-il de voler, et cela non seulement par peur du châtiment, par répression ou par correction, mais par transformation intérieure ? Transformation qui conduit à une vie nouvelle, où non seulement le voleur ne vole plus, mais où il découvre la valeur du don, de la générosité, du dévouement, etc. Comment s’opère ce renversement de l’ancien au nouveau qui est à l’oeuvre dans toute rédemption ?

 

Elle dit d’abord que l’instance divine, c’est-à-dire l’instance suprême « ne veut pas la mort du pécheur », mais qu’il se convertisse et qu’il vive, suivant la formule biblique bien connue. (Ezéchiel 18:23,33:11)

 

camera 

Le médiateur

 

A côté de cette figure radicale de la rédemption, on peut évoquer des scénarios de rédemption où la présence d’un médiateur permet le salut comme accès à une « vie nouvelle ». Souvent, c’est l’amour qui opère la médiation, ou la confiance accordée en dépit de tout, l’amitié, bref, une relation imprévisible et miraculeuse survient et réoriente de fond en comble la vie du « pécheur ».

 

L’exemple des Misérables

 

Un exemple saisissant peut être trouvé dans Les Misérables de Victor Hugo. On se rappelle de l’épigraphe du célèbre roman : Tant qu’il existera, par le fait des lois et des mœurs, une damnation sociale créant artificiellement, en pleine civilisation, des enfers, et compliquant d’une fatalité humaine la destinée qui est divine… et on comprend que la rédemption est l’enjeu majeur de l’œuvre.

 

Le roman commence par « le portrait d’un juste » : Mgr Muriel, qui devient Mgr Bienvenu. Et c’est ce juste qui sera le médiateur dans le processus de rédemption de Jean Valjean. On lira le chap. 12 du Livre deuxième, intitulé « L’évêque travaille ». La célèbre « scène des chandeliers » montre l’évêque « au travail » : il prétend avoir donné l’argenterie volée à Jean Valjean qui vient d’être arrêté par les gendarmes, et y ajoute, pour faire bonne mesure, les chandeliers d’argent qui sont sur la cheminée. Le sens de ce geste se trouve dans les paroles qui concluent le chapitre : Jean Valjean, mon frère, vous n ‘appartenez plus au mal, mais au bien. C’est votre âme que je vous achète ; je la retire aux pensées noires et à l’esprit de perdition, et je la donne à Dieu4.

 

La vision biblique

 

Et pour finir nous pouvons dire que l’idée chrétienne de rédemption accomplit toutes ces figures que nous avons suggérées : c’est un autre qui a payé le prix à notre place, nous pouvons être gratuitement justifiés, restaurés, renouvelés. Nous « avons droit » à un nouveau commencement par la grâce d’un autre qui a payé pour nous. C’est ce que les récits les plus profonds laissent entrevoir, ceux où l’amour paye le prix de la faute : la rédemption est un acte d’amour qui m’est adressé sans que je sache pourquoi, sans que je puisse le prévoir ou le commander. Je n’ai rien mérité et je n’ai rien payé. Une rédemption sans prix, donc, dont le prix infini a été acquitté par un autre, qui a fait toutes choses nouvelles et dont l’amour est le nom.

 

« La grande histoire » dans le cinéma

 

par Raphaël ANZENBERGER5

 

Nous rêvons tous d’une grande histoire dans laquelle nous serions le héros principal. C’est le refrain de nos vies, et ça commence très tôt. Mes fils se battent en duel chaque soir pour savoir qui sera le plus fort, tandis que mes filles enfilent leur robe de princesse et dansent à n’en plus finir sur le carrelage de la cuisine.

 

Mes enfants ont soif de merveilleux, de beauté, d’aventure, d’amour. Puis les années filent, et la raison s’installe. S’émerveiller du monde qui nous entoure devient presque grotesque.

 

C’est pour cela que les hommes se réfugient dans les salles obscures des cinémas pour voir James Bond sauver pour la 123e fois la planète Terre, volant au secours de la belle brune, tout en désamorçant à la dernière seconde la bombe atomique et flinguant au passage le vilain.

 

Nous rêvons tous d’une grande aventure, d’un grand amour. Mais lorsque nous regardons nos vies en face, force est de constater qu’il y a comme un décalage entre nos rêves les plus fous, et nos réalités les plus pathétiques. Nous essayons de combler le vide par des films qui nous font du bien. Nous sortons des salles de cinéma, nous nous sentons forts, grands, beaux, invincibles. Le monde est à nous ! Je suis James Bond, je suis Barman, je suis un héros.

 

Saint-Augustin disait déjà dans ses Confessions : « nous avons été créés pour Dieu, et notre cœur est toujours agité de trouble et d’inquiétude jusqu’à ce qu’il trouve son repos en lui ».

 

Tout devient maintenant plus clair. Celui que nous cherchons dans nos salles de Cinéma, c’est Dieu. L’aventure, c’est lui, le grand amour, c’est lui. Le Grand Ennemi, c’est Satan qui siffle dans nos oreilles : « Tu as encore le temps, Dieu attendra ».

 

Il n’y a que Dieu qui peut nous affranchir de notre réalité, de nos craintes. Vous voulez vivre la grande aventure, le grand amour ? Ne cherchez plus, vous l’avez, en Dieu. C’est lui votre héros.

 


NOTES

 

1.  Extrait de Les chrétiens et le cinéma, John Coffey, dans le Forum de Genève, 7.3, septembre 2004

 

2.  John Coffey, est professeur à l’université de Leicester.


3.  Professeur de philosophie au Lycée Kléber de Strasbourg

 

4.  On pourrait multiplier les exemples de médiation rédemptrice. Quelques-uns, au hasard : A la rencontre de Forrester (Gus Van Sant), American History X (Tony Kaye – âmes sensibles s’abstenir-). Plus ancien, ce film français si attachant : Les Grandes Gueules (Robert Enrico, 1965) où la rédemption prend la place de la vengeance, là aussi au prix de l’intercession d’un médiateur, incarné par un Bourvil véritablement émouvant d’humanité. Dans la littérature, à la toute première place, il faudrait mettre l’œuvre de Tolstoï.

 

5.  Président du « Forum des Evangélistes » et équipier de « France Evangélisation »