« Avec des gens de cette sorte,

 

il ne vous faut même pas prendre un repas. »

 

(1 Co 5.11, Bible du Semeur)

 

repas-2 

 

par Allan KITT

 A-Kitt

 

Cette recommandation de l’apôtre Paul tranche avec le dogme moderne de « tolérance ». On entend souvent dire que personne n’a le droit de s’ériger en arbitre du comportement ou des croyances de qui que ce soit. D’ailleurs, Jésus lui-même n’a-t-il pas été connu pour sa tolérance ? Ses détracteurs l’accusaient volontiers de fréquenter des pécheurs notoires et de se mettre à table avec eux (Lc 15.2), et parmi ses paroles les plus citées encore de nos jours il y a celle-ci : « Ne jugez pas, afin de ne pas être jugés » (Mt 7.1).

 

Alors, de quel droit pouvons-nous décider de refuser de manger avec telle ou telle personne ? Est-ce que Paul a déformé la bonne nouvelle annoncée par Jésus pour en faire quelque chose de beaucoup plus rigide, sectaire et intolérant ? Les disciples de Jésus, qu’on appelait « l’ami des pécheurs », sont-ils appelés maintenant à rejeter les pécheurs ?

 

Le contexte de ce propos de l’apôtre Paul nous éclaire. Il avait écrit aux Corinthiens à ce même sujet dans une première lettre – qui ne nous est pas parvenue -, mais ils avaient apparemment mal compris ses propos : ils ont pensé qu’il fallait cesser d’avoir des relations avec toute personne vivant dans la débauche (1 Co 5.9-10). L’apôtre doit donc préciser sa pensée : si les chrétiens devaient agir de la sorte, il leur faudrait sortir du monde. Alors, où serait le témoignage dont ces personnes avaient justement besoin ? Si les chrétiens refusaient tout contact avec elles, comment parviendraient-elles à la connaissance de la vérité pour être sauvées ?

 

Les individus visés par cette interdiction sont décrits dans la première partie du verset 11 : ce sont « ceux qui, tout en se présentant comme « frères », vivraient dans la débauche ou seraient avares, idolâtres… » Continuer à « fraterniser » avec de telles personnes voudrait dire que nous sommes d’accord avec elles et présente de graves dangers :

 

1.  La sainteté de Dieu est bafouée. Le commandement « Vous serez saints, car moi, je suis saint » s’applique au peuple de Dieu autant sous la nouvelle que sous l’ancienne alliance (Lv 19.2 ; 1 P 1.16). Nous trouvons des exhortations à une vie sainte dans l’ensemble du Nouveau Testament, du début à la fin (Mt 5.27,28 ; Ap 1.8, par exemple).

 

2.  Nous pourrions donner l’impression qu’un tel comportement est normal, et qu’on peut à la fois prétendre à la vie éternelle et continuer à vivre sous l’emprise du péché. Etre disciple de Jésus, par contre, implique le renoncement à soi et la recherche de la sanctification « sans laquelle nul ne verra le Seigneur » (Hé 12.14). Une telle complicité pourrait bercer ces personnes dans une fausse assurance, les empêcher de se rendre compte de la gravité du péché et de leur besoin de repentance, de sorte qu’elles risquent d’entendre le Seigneur leur dire, lors du jugement : « Je ne vous ai jamais connus ! Allez-vous-en, vous qui pratiquez le mal ! » (Mt 7.23).

 

3. Le témoignage de l’Eglise sera fortement compromis si ceux qui l’observent voient qu’on y tolère l’immoralité, l’avarice, etc. C’était malheureusement le cas dans l’Eglise de Corinthe, qui tolérait chez l’un de ses membres « une immoralité telle qu ‘il ne s’en trouve même pas chez les païens » (1 Co 5.1). Pourquoi prendrait-on au sérieux un message qui dénonce le péché chez les autres tandis que des membres de l’Eglise continuent sciemment à le pratiquer, et cela, de façon notoire et sans gêne ? Pour que le témoignage des chrétiens soit crédible dans le monde, ils doivent démontrer que, sans être parfaits, ils se détournent du mal et s’appliquent « à garder une conscience irréprochable, tant devant Dieu que devant les hommes » (Ac 24.16).

 

En fait, loin d’être en opposition à l’attitude de Jésus, l’enseignement de l’apôtre Paul reflète ce que le Seigneur a dit au sujet de la discipline dans l’Eglise (Mt 18.15-18). La dernière étape du processus indiqué par le Seigneur, dans le cas d’un frère qui refuserait de reconnaître le péché commis contre un autre se résume ainsi : « S’il refuse d’écouter l’Eglise, qu’il soit pour toi comme un non-Juif et un collecteur des taxes. » Autrement dit : ne le traite plus comme un frère, mais comme quelqu’un qui est en dehors de la communauté des croyants. Soulignons toutefois que cette étape doit être la dernière d’une série de mesures destinées à « gagner » le frère coupable, c’est-à-dire à l’amener à se repentir de son péché et à retrouver la pleine communion avec ses frères et soeurs. On ne doit avoir recours à l’exclusion qu’après avoir fait tout ce qui est possible pour l’éviter – sauf, bien entendu, cautionner le mal.

 

De qui des chrétiens peuvent-ils être amenés à s’éloigner ? Les épîtres du Nouveau Testament mentionnent plusieurs cas, en plus de l’immoralité flagrante tolérée chez les Corinthiens : quelqu’un, par exemple, qui sème la division en s’opposant à l’enseignement apostolique (Rm 16.17 ; Tite 3.10-11), ou qui mène une vie déréglée (2 Th 3.6).

 

Terminons avec une autre question, et sur une note positive : comment éviter d’en arriver là ? N’avons-nous pas d’autres indications que le processus décrit en Matthieu 18 ? L’auteur de l’épître aux Hébreux indique une action positive à entreprendre en amont de tout cela, une action que chaque chrétien peut exercer dans le cadre de son Eglise, dans la mesure où les relations mutuelles sont marquées par la confiance et le désir de plaire au Seigneur. La voici : « Veillons les uns sur les autres pour nous encourager mutuellement à l’amour et à la pratique du bien. » (Hé 10.24). Recherchons donc le bien des chrétiens que nous côtoyons pour affermir ainsi le témoignage de l’Eglise dans le monde.

 

A.K.