Editorial du n°4 Juillet-Août 2002 

 

« Un repas de mémoire »

 

Par Jean-Pierre BORY

 

II y a 35 ans, des bandes armées venues du nord saccagèrent les stations missionnaires et les dispensaires du Guéra. Les expatriés durent se réfugier précipitamment à 450 km de là dans la capitale. Mais plusieurs Eglises étaient nées dans cette province éloignée, et malgré une situation politique extrêmement tendue et dangereuse pour eux, des anciens, fidèlement, assuraient les cultes, évangélisaient… et préparaient la cène comme l’avaient fait les missionnaires.

 

Dans la corbeille, ils déposaient un peu de pain cuit tout exprès, puis versaient dans la coupe deux doigts de vin et la remplissaient d’eau. Mais quand les trois bouteilles que les missionnaires achetaient tous les six mois à N’Djamena furent vides, ils écrivirent : « Nous ne pouvons plus prendre la cène, nous n’avons plus de vin ».

 

Si Jésus était né au centre du Tchad, on lui aurait préparé sur la natte, le jour de la Pâque, comme tous les autres jours de l’année, une grosse boule de semoule de mil et de l’eau. Avec un thé au girofle puisque c’était jour de fête. En instaurant la cène, à la fin du repas, qu’aurait-il pu offrir d’autre à ses disciples ?

 

Sans y avoir réfléchi, nous avions sacralisé le pain et le vin ; ils étaient devenus des éléments indispensables de ce repas symbolique. Nous avions pourtant lu et enseigné que le geste et les paroles très concrètes, physiques, choquantes, de Jésus : celui qui mange ma chair et boit mon sang… (Jn 6.55) étaient Esprit et vie (v.63). Avions-nous oublié que le pain qui donne la vie, qui ôte la soif et la faim de celui qui croit, c’est celui qui vient de Dieu, qui descend du ciel (v.33-35) ?

 

Le sirop d’oseille fait sur place, rouge comme de la grenadine, la semoule de mil, aliment de vie dans cette région, étaient bien plus porteurs de sens que nos mets étrangers.

 

Jean-Pierre BORY