Entre Habemus papam !

et

« Chacun faisait ce qui lui semblait bon » 

 

 Témoignages

par François-Jean MARTIN

 

 

Bien sûr mon titre est provocateur. Dans nos communautés, personne ne voudrait se reconnaître dans aucun des deux aspects.
Et pourtant…

 

 

Habemus papam 1

 

Vous savez bien de quoi je parle. Il y a dans nos Eglises, dans les Eglises Evangéliques en général des hommes qui, sans avoir été choisis par leurs pairs, ont une totale autorité et infaillibilité aux yeux de leur Eglise.

 

Le chef, le conducteur, l’ancien, le responsable, le berger, le pasteur, autant de termes justes qui sont employés et qui soulignent un aspect de la réalité du leader et de la conception du gouvernement réel de l’Eglise. Ce leader a le plus de connaissances et de compétences, et il faut reconnaître que c’est souvent la réalité. Souvent l’Eglise marche bien, pour un temps au moins. Cette autorité rassure, protège, évite d’avoir à prendre des décisions. Et pour cela, on est prêt à abandonner une partie ou tout de son libre arbitre.

 

En fait, cette attitude n’est pas biblique car elle oublie la collégialité dans l’Eglise, la réalité du rôle du Christ comme tête de l’Eglise. Cela aboutit souvent à des dynasties qui se passent le pouvoir sur deux ou trois générations sans garantie que les descendants aient les dons des fondateurs. Cela paralyse une région. Oser une remarque, ne pas voir les choses de la même façon, vous conduit vous et les vôtres à une mise à l’écart, à une méfiance.

 

L’un des aspects le plus dramatique est que l’on étouffe le travail de l’Esprit, empêchant certains dons de s’épanouir, maintenant dans un infantilisme navrant les membres de l’Eglise.

 

Des dangers en découlent

 

  • Ces communautés ont souvent un renouvellement interne, mais pas seulement ; car l’aspect d’accueil familial, tant que l’on se soumet et qu’on ne remet rien en cause, est très poussé et attire des personnes désemparées. Il règne un réel amour, on vit le « cocooning » 2, mais gare à la moindre critique. Les remontrances du chef ne se font pas attendre. En fait, on se coupe du monde, de l’évangélisation.

 

  • Ces communautés risquent de s’étioler si le patriarche vient à disparaître. Des communautés se sont éteintes car trop dépendantes d’un homme.

 

  • Un autre danger est celui de la dérive. La soumission mutuelle, la collégialité permettent le contrôle, mais ces hommes décident seuls et ne permettent à personne de les contrôler. On parle d’indépendance et d’autonomie de l’Eglise locale, utilisées pour protéger une autorité qui est devenue pouvoir inaccessible à la critique.

 

 

« Chacun faisait ce qui lui semblait bon »

 

En ce temps-là il n’y avait point de roi en Israël., ainsi commence le récit de l’histoire désordonnée d’Israël sous les juges. Chacun faisait ce qui lui semblait bon. Il n’y avait pas de leader, il n’y avait pas d’autorité. Le résultat nous le savons, c’est la désobéissance à Dieu, la rébellion, l’esclavage sous des dictatures étrangères idolâtres.

 

Cette situation est bien d’actualité. Elle découle de la réalité vécue dans le monde :

 

  • disparition des valeurs, de l’effort, de la discipline,

 

  • relativisme de tout, de la loi, du bien et du mal, du mensonge et de la vérité,

 

  • mise en doute des règles et de l’organisation (loi, police, justice).

 

L’Eglise, reflet du monde

 

L’Eglise est marquée par la culture ambiante. Certains courants spiritualistes « nient l’utilité d’une organisation pour l’Eglise. L’Eglise dit-on n’est pas une organisation, c’est un organisme animé par le Saint-Esprit, dirigé par lui ; il n’y a donc rien à organiser. Il faut tout laisser à la spontanéité. Mais on s’est aperçu que liberté de l’Esprit équivalait souvent à laisser-aller, désordre, inefficacité » 3. Curieusement l’Esprit dans cette conception ne peut être un esprit d’ordre.

 

Chacun met sur le présentoir de l’Eglise ce qu’il veut, et si on l’enlève, on crie à la censure, à l’intolérance. Les messages et les études sont jugés non à l’aune de la Parole comme à Bérée mais à celle de ses convictions, de sa situation, de ses intérêts. On ne pense plus que Dieu peut et veut parler à l’Eglise. L’admonestation ou l’exhortation dites en privé sont très mal reçues.

 

Certains sujets sont devenus tabous, l’éducation des enfants, la discipline. Chacun a son mot à dire, tous se pensent « anciens » tout à coup.

 

 

Le découragement et l’amertume de beaucoup de responsables

 

La Commission de service pourrait en témoigner. Les demandes et exigences des Eglises sont immenses, sans tenir compte que le « pasteur » ou l’ancien, comme le dit la Bible n’a pas reçu tous les dons, mais certains seulement. L’administration est devenue très lourde, la relation d’aide a pris des proportions inconnues il y a seulement vingt ans. Or on attend beaucoup d’eux, mais sans accepter l’autorité spirituelle que leur confère leur fonction. Le ministère devient mine austère quand ce n’est pas plus. La Parole de Dieu avertit tous les membres de la communauté à ce sujet (Hb 13.17).

 

Cet état de fait conduit à un manque de vocations d’anciens et de responsables

 

Le candidat ancien est-il trop sous pression dans son entreprise (rendement oblige) ? Aime-t-il mieux ne pas trop s’engager ? Conserver une certaine indépendance ? A-t-il peur des coups ? De devoir vivre dans une pauvreté relative ? Les responsables en place n’ont-ils pas su ou voulu préparer la relève (voir dans ce même numéro de SERVIR l’article « Pourquoi manque-t-on de candidats pour le ministère d’anciens dans nos Assemblées ? ») ?. Les chrétiens ont tous reçu un ou plusieurs dons, des qualifications, mais on ne peut les solliciter que ponctuellement. C’est l’ère du fast-food, du zapping. Le moyen ou long terme est inenvisageable. On en arrive à un gouvernement non directif. Des leaders qui n’en sont plus, qui n’ont plus à assumer de responsabilités, ni les souffrances qui en découlent. Chacun fait ce qui lui semble bon.

 

 

Y a-t’il une voie possible ?

 

Je veux le croire. Je veux l’espérer. Il y a bien sûr entre ces deux positions, autocratie 4 et anarchie, une foule de possibilités. Dans l’Eglise locale, une voie démocratique bien vécue n’est-elle pas envisageable ?

 

1) Face à l’autocratie, la Bible rappelle la réalité du sacerdoce universel, de l’esprit donnée à chaque chrétien, des dons qu’il leur accorde afin de les mettre au service de l’utilité commune. Elle marque l’importance de la soumission mutuelle : Que l’on nous considère donc comme de simples serviteurs du Christ dit Paul (1 Co 4.1). Le mot qu’emploie l’apôtre ici n’est pas diakonos ni doulos, mais hyperetes. Ce dernier terme désignait celui qui ramait sous les ordres d’un autre. La soumission mutuelle (Ep 5.21) fait partie des règles qui commandent les relations entre chrétiens, règles très différentes de celles qui régissent les relations d’un directeur d’entreprise et de ses subordonnés 5.

 

Il faut qu’un futur leader apprenne la soumission.

 

Face aux dangers d’une autocratie (pouvoir d’un seul) ou d’une oligarchie (pouvoir d’un groupe), la démocratie propose des règles : élections pour une durée limitée, mise à l’épreuve, devoir de rendre des comptes devant ses pairs, devant un parlement, devant les citoyens avant de briguer un nouveau mandat, soumission aux lois comme tous, existence d’autres pouvoirs indépendants (justice), de contre-pouvoirs qui sont libres de s’exprimer (médias).

 

La collégialité entre responsables, leur élection pour une durée limitée renouvelable, les comptes rendus de leur action en conseil d’Eglise, en réunion de membres, les débats autour de certains choix primordiaux, des cahiers de charges connus qui obligent à une évaluation : voilà des règles qui permettent de contrôler ce type de dérives dans l’Eglise.

 

2) Face à l’anarchie 6, la Parole rappelle l’importance de l’ordre, du conducteur, de l’autorité acceptée. Le professeur de biologie que je suis vous assure qu’il n’y a pas de vie sans organisation. Le corps vivant de l’Eglise n’y échappe pas (1 Co 12), la vie de l’Esprit ne s’y oppose pas 7.

 

Le Nouveau Testament met en avant deux dons liés à nos propos. Il s’agit du don de présidence et du don de direction. J’emprunterai quelques lignes à A. Kuen.

 

Don de présidence

 

Que celui qui préside le fasse avec zèle (Rm 12.8). Le mot proïstamenos signifie étymologiquement : celui qui est placé devant ou au-dessus. Il était utilisé dans le grec profane pour des hommes qui dirigeaient ou conduisaient en allant devant les autres, parfois pour les protéger, les assister. On le trouve appliqué à des chefs de village ou d’Etat, à un médecin qui supervise le traitement d’un malade ou un magistrat qui veille à l’exécution des lois.

 

L’apôtre Paul utilise le verbe proïstémi dans 1 Th 5.12 (ceux qui vous dirigent dans le Seigneur et qui vous exhortent), dans 1 Tm 3.4-5 (il faut que l’évêque dirige bien sa propre maison… si quelqu’un ne sait pas diriger sa propre maison, comment prendra-t-il soin de l’Eglise de Dieu ) ; dans 1 Tm 5.17 (que les anciens qui dirigent bien soient jugés dignes d’un double honneur (ou honoraire), surtout ceux qui peinent à la prédication et à l’enseignement).

 

La place que l’apôtre assigne à ce don est significative : en avant dernière position après les dons de proclamation et de service. Notre culture nous le ferait combiner avec les dons de la parole. L’apôtre ne fait ni l’un ni l’autre. La présidence est un don parmi les autres, elle n’est pas nécessairement l’apanage de ceux qui savent prêcher ou enseigner et ne suppose pas une éloquence particulière.

 

Don de direction

 

L’Eglise est à la fois une organisation et un organisme. A cause de cette double nature, elle doit faire face à deux sortes de problèmes : des problèmes administratifs et des problèmes spirituels. Trop souvent des conducteurs d’Eglise tentent de donner des réponses spirituelles à des questions d’organisation, et des réponses administratives à des problèmes spirituels. On dénonce à ce propos trois « mythes » : on dit « l’administration n’est pas importante », « elle est inintéressante », « elle n’est pas spirituelle ». On peut leur opposer les données bibliques qui nomment parmi les dons spirituels le don d’administrateur (kubernètes) cité dans 1 Co 12.28.

 

Les deux autres emplois de ce mot (Ac 27.11 et Ap 18.17) se rapportent au capitaine d’un bateau, responsable de toutes les décisions concernant la vie à bord et le pilotage du navire. Dans la traduction grecque de l’Ancien Testament, Pr 11.14 dit : Quand la nation n’est pas bien gouvernée (ou : administrée), elle décline.

 

La présence de ce terme et les précisions qui se dégagent de son contexte, nous montrent que, dans le plan de Dieu, l’administration et l’organisation constituent un aspect important de la vie du Corps.

 

Parmi le conseil pastoral, souvent un des anciens a reçu ce don. Il va donc être ce leader. Ceci ne l’empêche pas d’être soumis à ses collègues, selon le principe biblique.

 

 

En conclusion

 

Je crois qu’il y a un chemin biblique fait de principes mais aussi de bon sens, non détaché des réalités humaines et sociales pour exercer l’autorité dans l’Eglise sans tomber dans des extrêmes. Néanmoins c’est une voie étroite et qui n’est pas dans l’air du temps. Nous sommes là aussi appelés à ne pas nous couler dans le moule des modes passagères et ceci sans pour autant nous retirer du monde. Plus que jamais, ce point d’ecclésiologie devient primordial pour notre avenir. Puissions-nous y réfléchir et laisser réellement l’Esprit nous parler.

 

F-J.M.

 

 

La direction de l’Eglise dans le NT : Pour ceux qui aiment des précisions !

Quelques termes du NT : Ces termes sont presque toujours employés au pluriel !

Le conducteur (hegoumenos) Héb 13.7.

L’ancien (presbuteros) : Ac 14.23.

L’évêque (épiscopos) : Ac 20.28.

Le pasteur (poimèn) : Ep 5.11.

Le président (proïstamenos) : 1 Thess. 5:12.

Le gouverneur (kubernésis) : 1 Co 12.28.

Sans parler des docteurs, prophètes, apôtres ; et pour de nombreux autres emplois dans le NT, consulter Les

ministères dans l’Eglise, A. Kuen, p.92-93.

 

 


 

NOTES

 

 

1. Termes latins par lesquels on annonce depuis un balcon du Vatican, à la foule des fidèles catholiques réunis sur la place Saint-Pierre à Rome, qu’un nouveau pape vient d’être choisi par ses pairs : Nous avons un pape ! Habemus papam !

 

2. Expression anglaise correspondant à notre : « vivre comme dans un cocon », être douillettement surprotégé.

 

3. A. Kuen, «L’organisation de l’Eglise», Cahiers Emmaüs, 1997, p. 9.

 

4. Pouvoir exercé par une seule personne.

 

5. A. Kuen, Le Responsable, p. 71.

 

6. Absence de pouvoir ; idéologie qui rejette toute autorité.

 

7. Dans Dons pour le Service, « Présidence et direction dans l’organisation de l’Eglise ».