Le chrétien et la bioéthique

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par Jean-Pierre BORY

 

 

Le chrétien est plusieurs fois exhorté à faire le bien, non pas seulement dans l’Eglise, mais dans la société (1 Pi 2.12). Et la bioéthique est un des domaines de ce monde dans lequel le chrétien doit aussi faire preuve de justice. Ce n’est pas vraiment chose aisée aujourd’hui où tout évolue si vite, et si loin, que l’Eglise se sent souvent dépassée.

 

 

 

La responsabilité de l’homme

 

Dieu n’ignorait certainement pas les questions qui se poseraient à l’homme quand il lui confia la gestion de son jardin. Peu après l’avoir créé, « Dieu a donné à Adam le mandat de dominer la terre par son travail » : « l’homme est le jardinier de Dieu1 ».

 

Cette délégation de responsabilité par le Créateur sur la nature oblige l’homme à se référer à son Maître et à agir, sinon il se met dans la position dangereuse du gestionnaire paresseux qui ne fait pas fructifier le talent confié ; ou pire, dans celle des vignerons qui refusent de payer leur fermage au propriétaire de la vigne et vont jusqu’à assassiner l’héritier.

 

L’homme est responsable devant Dieu de la façon dont il gère la création : que ce soit le sol, les plantes, les animaux ou ses frères, les hommes et leur cadre de vie. En est-il conscient quand il détruit l’ozone, modifie la nature (les gènes) des plantes, ou tente de recréer des êtres humains par clonage ? Jusqu’où peut-il aller sans dépasser les limites de sa mission ?

 

 

Le conflit des morales

 

André BIELER2 met en évidence que l’homme vit dans une tension constante entre ce qu’il est et ce qu’il est appelé à être selon le dessein de Dieu. Dès l’origine, l’homme a été placé devant la tentation de l’autonomie, de la capacité de juger lui-même du bien et du mal, de se constituer sa propre morale. Nous connaissons et subissons les conséquences désastreuses du choix d’Adam : l’homme, s’illusionnant sur la vraie liberté et l’autonomie, s’est créé une morale asservissante, aliénante, sans Dieu, qui conduit le plus fort à écraser le plus faible (dès Caïn et Abel), que ce soit sur le plan économique, politique ou médical.

 

Jésus dénonce la morale des pharisiens, des chefs des nations qui les tyrannisent. Une morale « moderne » prône aujourd’hui la « liberté » de conserver ou d’éliminer l’enfant à naître parce qu’il vient trop tôt dans la vie ou qu’il n’a pas le sexe désiré, la liberté de vivre sa sexualité ou son homosexualité à son gré, de casser les cellules familiales sans se soucier des perturbations dont les enfants souffriront à vie, etc. Dans toutes ces situations, la liberté illusoire de l’homme le met, à échéance, dans une situation de souffrance et d’échec, pour lui et les siens.

 

Au contraire, « l’éthique voulue par Dieu est toujours une restitution de la véritable identité de l’homme3 ». Elle a pour effet de s’opposer à la dégradation produite par le péché, à l’autodestruction de l’homme. L’éthique chrétienne a un rôle capital dans l’Eglise, le « peuple nouveau » que Christ s’est créé, mais aussi dans la société mondaine où elle doit tendre vers le « bien », faire en sorte que le monde conserve une viabilité acceptable, et surtout rendre un témoignage différent, porteur de vie.

 

 

La source et le rôle de l’éthique chrétienne

 

La Bible n’est pas muette à ce sujet. Nous avons rappelé que dès sa création, l’homme a été chargé d’un mandat. Il doit prendre soin de la terre et des êtres vivants qui l’habitent.

 

Un paysage préservé transmettra une meilleure vision du Dieu Puissant, juste et providentiel (Rm 1.19-20) qu’une terre désertifiée et ravinée par la déforestation, empoisonnée par un Tchernobyl ou le pétrole des dégazages de citernes en mer. Une chimie et une médecine à courte vue rendent plus résistants les virus et bactéries qu’elles combattent. La création même aspire à une libération de cette déchéance (Rm 8.20-21). L’homme, créé à l’image de Dieu, a droit à la bénédiction (Jc 3.9), et le chrétien, disciple de Christ devrait refléter l’image du Créateur de plus en plus clairement (Col 1.15).

 

L’éthique chrétienne devrait servir de boussole à l’éthique tout court. Le croyant vit dans le monde ; les médecins, les chercheurs chrétiens sont formés dans les universités de l’Etat et pratiquent dans les hôpitaux publics. Ils utilisent les mêmes outils de recherche et techniques de soins. Cependant, ils sont invités aussi à exercer un jugement critique sur leurs gestes et leurs méthodes, faisant le tri entre ce qui est juste et bon et ce qui ne l’est pas (1 Th 5.21). L’éthique chrétienne ne se réalisera pleinement que « par sa conformité avec l’enseignement et la vie du Christ4 ». Le croyant n’est-il pas comme une sentinelle responsable de veiller à la sécurité et d’avertir du danger (Es 21.11-12 ; Ez 3.17), ne doit-il pas « garder le Jardin » (Gn 2.15) ? Le croyant devrait voir de plus loin, et avant les autres, le danger potentiel, puis avertir. C’est-à-dire discerner les motivations profondes de chaque acte, les enjeux politiques et financiers qui motivent ou freinent la recherche, évaluer les conséquences à long terme de l’utilisation qui sera faite des découvertes.

 

 

Une tâche pas toujours aisée

 

Si dans les décennies passées le christianisme ambiant préservait dans une certaine mesure les règles éthiques, l’accent actuel sur la liberté et le droit individuels élargit considérablement les possibilités de dérives5. Les laboratoires, les industries chimiques et pharmaceutiques sont aujourd’hui propriété de groupes internationaux en lutte constante pour dominer le marché ou survivre ; les considérations économiques priment sur celles de l’éthique.

 

Les pratiques transgéniques se généralisent ; le clonage humain, impensable il y a peu encore, est autorisé dans plusieurs pays (à des fins thérapeutiques affirme-t-on, mais qui canalisera ce qui sort de cette boîte de Pandore ?). L’énergie nucléaire qui fournit en bonne partie lumière, énergie et chaleur dans nos maisons, est aussi productrice de déchets dangereux pour des milliers d’années, dont le recyclage ou le stockage dépendent de décisions politiques.

 

Il est illusoire, dans une société pluraliste, de prétendre parvenir à faire admettre un discours consensuel sur une morale même minimale.

 

Le chrétien qui avertit, sera souvent dénigré, tourné en dérision, méprisé, accusé6. On se souvient de l’abbé Pierre conspué publiquement pour avoir rappelé que la chasteté était le meilleur moyen de lutter contre le SIDA.

 

 

Naviguer entre le négativisme et l’euphorie

 

Crier haro sur la technologie médicale, c’est oublier que, même si l’on ignore encore les conséquences à long terme de ses découvertes, elles ont permis de soulager de nombreuses souffrances, de sauver des millions de vies, d’améliorer la qualité de ces vies ; nous en bénéficions tous avec reconnaissance. L’éthique médicale (chrétienne ou non) ne peut pas se borner à jouer les rabat-joie. Elle doit reconnaître que les découvertes scientifiques sont d’abord les découvertes des lois que le Créateur a inscrites dans le fonctionnement de la vie terrestre :

 

Cultiver le jardin, c’est aussi développer la recherche, soigner même en utilisant des thérapies nouvelles.

 

Garder le jardin, c’est éviter les dérives toujours possibles. Avoir la prudence de chercher à savoir jusqu’où l’on peut aller sans faire courir des risques immenses à nos descendants…

 

L’homme est tenté de ne pas garder son rôle de « procréateur » pour devenir créateur lui-même de nouveaux êtres : la connaissance toute proche de la carte complète du génome humain, les recherches sur l’ADN, ouvrent des perspectives de prévention des maladies héréditaires, du cancer, de la myopathie ; mais elles ouvrent aussi la voie à un eugénisme individualisé : faudra-t-il, en vertu de l’autonomie de chaque individu, lui « créer » l’enfant qu’il désire ? tenter de faire mieux que Dieu ?

 

 

Le service critique d’une bioéthique chrétienne

 

Dans notre société pluraliste, la tolérance n’oblige pas l’éthique médicale, la bioéthique, à élargir sans limitation son discours, à plus forte raison une éthique chrétienne. Cette dernière devra toujours dénoncer les dérives, par exemple les expérimentations sur la vie humaine, la création de clones humains, la banalisation de l’euthanasie, de l’avortement ; elle devra peut-être prendre position contre la loi si elle autorise le dépassement des limites fixées par Dieu. Une juste bioéthique doit envisager la possibilité, l’obligation d’une désobéissance civique (Ac 5.29).

 

André BIELER rappelle qu’une éthique chrétienne doit intégrer « une double mémoire : d’abord une mémoire théologique, qui rassemble l’ensemble des connaissances liées à la révélation biblique, afin de pouvoir interpréter celle-ci au niveau des nouvelles réalités contemporaines. Puis une mémoire profane, capable de récapituler l’ensemble des connaissances séculières qui expliquent et conditionnent les comportements individuels et sociaux, afin de pouvoir orienter ceux-ci vers leurs justes finalités7.

 

J-P.B

 


 NOTES

 

1.  Robert SOMMERVILLE, L’éthique du travail (Edit. Sator, 1989), p.30-31.

 

2.   André BIELER, « L’irremplaçable service critique de l’éthique chrétienne » (dans Hokhma ? N°14, 1980), p.19ss.

 

3.   idem.

 

4.  André BIELER, idem, p.24.

 

5.   J. DOUMA, op.cit., p.37.

 

6.  Voir Jean HUMBERT, « Le christianisme en accusation », dans Ichthus, n°50, p.10ss.

 

7.   André BIELER, op.cit., p.33.