Amour, amour… 

coeur-brise

 

par Bernard Guy1

 

 

S’il est un sujet à l’honneur aujourd’hui dans les conversations, les chansons, les téléromans et les potins, c’est certainement le sujet de l’amour. Vous avez à peine ouvert la radio que les « je t’aime, je t’aime » déferlent dans vos oreilles. Mais en quoi cet amour consiste-t-il ? On ne le sait pas trop. Plusieurs l’identifient à l’expérience sexuelle, d’autres, à la tendresse, d’autres, au respect. Mais qui sait vraiment de quoi il s’agit ?

 


 

La langue française n’est pas riche pour décrire ce qu’est l’amour alors que le grec dispose de quatre termes pour le décrire, et en exprimer les différentes nuances. Nous examinerons le sens de ces quatre termes, éros, storgé, philia et agapé dans le cadre de cette étude.

 

 

Amour passionné ? oui, mais en temps et lieu

 

Eros est certainement le plus populaire des quatre termes que nous allons maintenant examiner. Eros était le nom du dieu grec de l’amour correspondant au dieu romain Cupidon. Ce terme signifie essentiellement : amour passionné. Il nous parle de passion, d’un vif et brûlant désir.

 

Dans la littérature grecque, éros désigne parfois l’amour du patriote, c’est-à-dire, les sentiments passionnés de celui qui cherche à défendre sa patrie. Simon le zélote était subjugué par un tel amour qu’il aurait fait sauter, s’il en avait eu les moyens, l’Empire romain tant il désirait la libération de sa nation.

 

On retrouve aussi ce terme utilisé pour décrire la passion d’un homme épris de l’argent. Il y a des gens qui ont un désir démesuré pour l’argent, qui ne pensent qu’à cela. Ignace d’Antioche, un père de l’Eglise qui a vécu entre la fin du 1er siècle et le début du 2e, écrit dans une lettre qu’il adresse aux Romains :

 

« Mon éros a été crucifié et je n’ai plus de passion pour les choses matérielles, mais une source vive qui est en moi et qui me dit à l’intérieur : Viens au Père. »

 

La passion matérielle d’Ignace avait été crucifiée avec Christ.

 

Bien que l’on retrouve éros utilisé dans la littérature grecque pour décrire différents types de passion, c’est pour désigner la passion sexuelle qu’il était le plus souvent utilisé. Au départ, il était utilisé pour désigner une passion sexuelle dans l’amour, une passion légitime. Mais l’homme étant ce qu’il est, le terme en est venu très vite à désigner une passion sexuelle dégradée, hors mariage. C’est peut-être pour cela d’ailleurs qu’on ne le retrouve pas dans le Nouveau Testament. Il semble que le Saint-Esprit et les apôtres n’aient pas jugé bon de l’utiliser pour décrire une chose aussi belle que l’amour sexuel dans la vie d’un couple chrétien. Matthieu utilisera plutôt les termes « connaître » et « s’attacher » pour décrire un tel amour (cf. Mt 1.25; 19.5).

 

Eros est une énergie qui vient de Dieu et n’est pas nécessairement à rejeter. Il y a plusieurs passions que la Bible nous encourage à vivre :

 

1 . La passion pour Dieu (Lc 10.27)

2. La passion pour sa parole (Jr 15.16)

3. La passion pour les âmes (1 Co 9.19-23)

4. La passion pour notre épouse (Ct 8.6-7)

 

Mais toutes les autres formes de passion sont à fuir : passion pour l’argent, pour la femme d’un autre, passions de la jalousie, de la vengeance, etc. Quand il s’agit de passion, la Bible ne dit pas de résister, mais de fuir car les passions sont des désirs brûlants auxquels il est très difficile de résister. Souvenons-nous de l’expérience de Joseph avec la femme de Potiphar et ne jouons pas les braves ! (cf. Gn 39.7-20).

 

 

Affection naturelle ? indispensable !

 

Storgé désigne une affection naturelle entre personnes de même famille et dans un sens plus large, entre personnes de même appartenance. C’est par exemple l’affection naturelle qui unit les parents et les enfants, les frères et les soeurs. Parce que des gens sont d’une même souche, du même sang, ils éprouvent de l’affection les uns pour les autres.

 

Cette affection n’est ni forcée, ni apprise, mais découle naturellement du fait qu’ils ont conscience du lien de parenté qui les unit. Les Grecs utilisaient le terme storgé pour désigner l’amour instinctif d’une mère poule pour ses poussins.

 

Malheureusement, l’homme sans Dieu perd rapidement cette affection-là : que d’enfants maltraités, de vieillards abandonnés, de voisins qui s’ignorent, sans parler du racisme et des guerres.

 

L’Ecriture n’emploie que trois fois ce terme storgé et deux fois sur trois à la forme négative pour dire ce que deviennent les hommes qui ne connaissent pas Dieu (Rm 1.31 ;2 Tm 3.3).

 

Nous voyons donc l’importance pour le chrétien de chercher à connaître Dieu de plus en plus intimement et de ne pas laisser son coeur devenir insensible.

 

Passons maintenant aux deux termes les plus couramment employés dans le Nouveau Testament pour parler de l’amour : philia et agapé.

 

 

Amour émotif ou amour volontaire ? les deux sont essentiels

 

Philia figure sous formes d’adjectifs, de noms et de verbes une cinquantaine de fois dans le Nouveau Testament et agapé, plus de trois cents fois. Cela nous indique dès le départ qu’agapé est le terme consacré par le Saint-Esprit et les auteurs du Nouveau Testament pour décrire l’amour de Dieu. Il arrive que philia et agapé soient utilisés comme synonymes, mais la plupart du temps, ils expriment deux types d’amour différents.

 

En comparant la signification de ces deux termes, nous parvenons facile-ment à en saisir les traits distinctifs.

 

Philia est un attachement émotif alors qu’agapé est un attachement volontaire

 

Philia : attachement émotif

 

Je vais vers telle personne parce que mon coeur m’y entraîne. J’éprouve des sentiments favorables pour quelqu’un et cela m’amène à rechercher sa compagnie. Le philia est un amour qui provient essentiellement du coeur.

 

Le philia est l’amour typique des fréquentations. Lorsque deux jeunes gens se fréquentent, ils sont comme magnétisés l’un par l’autre. Ils sont constamment ramenés l’un vers l’autre par le coeur. Même à distance, deux amoureux vibrent l’un pour l’autre. Et quand ils s’entrevoient, leur coeur commence à battre, leurs yeux scintillent et malheur à celui qui les empêcherait de se voir. Le philia est un amour fait entièrement de sentiments et d’émotions.

 

Agapé : attachement volontaire

 

Je décide d’aller vers l’autre pour répondre à ses besoins. Je prends la résolution de lui faire du bien, que mes sentiments m’y incitent ou non. Cet amour ne dépend pas du coeur, mais de la volonté. On aime d’un amour agapé lorsqu’on décide délibérément d’établir une relation avec quelqu’un pour lui faire du bien.

 

Il se peut que la personne dont on voit les besoins soit la dernière dont on aimerait prendre soin. Ses manières sont agaçantes, son comportement irritant, mais cela n’a pas d’importance. Au lieu de l’ignorer ou de l’éviter, on travaille avec persévérance à combler ses besoins. Voilà l’amour agapé. Le coeur commence à vibrer pour cette personne qu’auparavant on ne pouvait même pas supporter. L’amour agapé quoiqu’essentiellement volontaire, produit aussi des émotions.

 

Philia est un amour spontané alors qu’agapé est un amour commandé

 

Philia : amour spontané

 

L’amour philia n’est pas un amour que l’on peut commander ou forcer. Il est absolument imprévisible.

 

Il est comme un coup de foudre : sur l’un, il vient, il tombe, il embrase le coeur, sur l’autre, rien ne se passe. On ne peut ni le prévoir, ni le commander. Même si on le désire de tout son coeur, on n’en est pas maître. Il vient ou ne vient pas, il est spontané, c’est une affaire de sentiment, imprévisible.

 

Agapé : amour commandé

 

L’agapé est un amour commandé. C’est un ordre formel donné vingt-cinq fois dans le Nouveau Testament. Vingt-cinq fois, Dieu dit : Aime ton prochain ; aime ton frère. L’agapé n’engage pas les sentiments. Dieu ne peut pas exiger que tu aies des sentiments de tendresse pour une personne dont la vue même t’exaspère. Mais il peut exiger de toi que tu décides, sans tenir compte de tes sentiments, de combler ses différents besoins.

 

Philia est un amour fluctuant alors qu’agapé est un amour constant

 

Philia : amour fluctuant

 

L’amour philia est un amour qui va et vient. Il est très instable. Aussitôt arrivé, aussitôt parti. Il nous envahit soudainement et nous quitte sans avertir. Il part, revient, repart à nouveau.

 

C’est souvent le seul amour qui existe dans les couples aujourd’hui à part l’éros. Un tel éprouve une attirance pour tel autre ; on s’amourache, et on convient de vivre ensemble. C’est pour un temps l’amour fou. Puis, peu à peu, la lune de miel fait place au train-train quotidien, à la routine et voilà nos deux tourtereaux désemparés. Que se passe-t-il ? Nous nous aimions tant ?… On conclut trop vite qu’il n’y a rien à faire. On passe l’éponge et on repart en quête d’une nouvelle aventure. Tant que l’on mise tout sur le philia, amour sentimental, toutes nos aventures se soldent par un échec les unes après les autres.

 

L’amour philia est un amour fluctuant, semblable aux vagues de la mer.

 

Agapé : amour constant

 

L’ordre d’aimer que le Seigneur nous donne est pour aujourd’hui, demain et pour l’éternité. Il ne s’agit pas d’aimer une fois par semaine ou de temps en temps quand les besoins des autres nous émeuvent. Mais il s’agit de répondre aux besoins des autres jour après jour. Il se peut que je me lève un certain matin du mauvais pied et sois d’humeur maussade, mais ce n’est pas une raison pour négliger les besoins des autres. L’agapé ne dépend aucunement de mon humeur, mais de ma décision quotidiennement renouvelée de travailler au bonheur de ceux qui m’entourent.

 

L’agapé est un amour constant. Ce n’est pas parce que mes enfants m’écorchent les oreilles un certain après-midi que je les prive de souper ou de l’affection dont ils ont tant besoin. Alors que je deviens de plus en plus irrité à cause de leur turbulence, je réclame la force du Seigneur et renouvelle ma décision de les aimer.

 

Philia est un amour égocentrique alors qu’agapé est un amour altruiste

 

Philia : amour égocentrique

 

L’amour philia est une relation de plaisir et de satisfaction personnelle. Je me tiens avec telle personne parce que j’ai du plaisir en sa compagnie. On ne fait pas d’efforts pour s’entendre ; notre relation est harmonieuse et agréable. Cette personne a les mêmes goûts que moi, les mêmes idées, les mêmes façons de voir ou d’agir : c’est moi en peinture. En réalité, c’est moi que j’aime. J’aime l’autre dans la mesure où il me ressemble. Il est dit dans Jean 15.19 que le monde aime ce qui est à lui : ce qui lui ressemble.

 

Agapé : amour altruiste

 

L’amour agapé est un amour altruiste. C’est un amour qui ne cherche pas son plaisir, mais qui a pour devise de mettre ses intérêts volontairement de côté pour le bien des autres. Dieu n’a pas aimé le monde, selon Jean 3.16, en ce sens qu’il a éprouvé une grande sympathie pour nous. Au contraire, nous lui étions parfaitement antipathiques à cause de notre conduite égoïste et orgueilleuse. Dieu a aimé le monde malgré ce qu’il avait de repoussant et a envoyé son Fils bien-aimé pour nous faire du bien.

 

Il ne faudrait pas non plus croire que Jésus est allé à la croix de bon coeur. Le récit de ses luttes dans le jardin de Gethsémané en est la preuve (cf. Mt 26.30-46).

 

Philia est un amour sélectif alors qu’agapé est un amour universel

 

Philia : amour sélectif

 

Nous n’éprouvons de philia que pour quelques-uns et cela est tout à fait normal. Avant même de vraiment connaître les gens, nous sommes attirés par certains plutôt que par d’autres. Jésus avait ses préférés. Jésus aimait Marthe, Lazare et Marie. Nous savons qu’il allait souvent chez eux pour se reposer. Il vivait une relation facile et agréable avec eux.

 

Lorsque Lazare meurt, on voit Jésus attristé. Il pleure et les Juifs disent : « Voyez comme il l’aimait » (Jn 11.35). Et il y avait aussi cet autre disciple, nous dit la Bible, que Jésus aimait. Il y avait en effet parmi les douze un disciple, l’apôtre Jean, pour lequel Jésus éprouvait plus d’amour et de tendresse que pour les autres (Jn 20.2 ; 21.20). On ne peut pas éprouver d’amour philia pour tous : c’est un amour sélectif.

 

Agapé : amour universel

 

« Tu aimeras les uns et les autres sans distinction. » II n’est pas question de faire du bien à quelques-uns que nous aurions sélectionnés selon nos critères et de mettre les autres de côté. « Tu aimeras tout le monde et particulièrement ceux qui se trouvent sur ta route. »

 

Cet amour universel est commandé pour les frères, le prochain et l’ennemi. L’agapé est le seul amour qu’on peut avoir pour un ennemi. On ne peut pas éprouver de sentiments favorables pour un ennemi, mais on peut chercher à lui faire du bien.

 

Quand l’amour agapé règne dans une église, il n’y a plus de gens mis de côté et négligés. Même ceux qui ont le moins d’attrait ou d’atouts pour plaire reçoivent l’attention et les bons soins des autres.

 

Philia est un amour humain alors qu’agapé est un amour divin

 

Philia : amour humain

 

Le philia est une forme d’amour grandement désirable et nécessaire à la vie. Toutefois, cet amour n’est pas suffisant. Il ne constitue pas une base solide sur laquelle on puisse bâtir des relations profondes et durables avec les autres. Il s’agit d’un amour humain que croyants ou incroyants expérimentent également.

 

Agapé : amour divin

 

L’agapé est un fruit de l’Esprit. On ne peut pas le vivre sans être en communion intime avec Dieu et sans être résolument déterminé à le vivre (cf. Ga 5.16-22). C’est par l’agapé que nous avons les uns pour les autres que les incroyants sauront que Dieu a sa place au milieu de nous (Jn 13.34-35).

 

 

De l’amour philia à l’amour agapé

 

De quel amour nous aimons-nous ?

 

D’un amour réfléchi, volontaire, qui prend sa source dans le Dieu fidèle ? Ou d’un amour sincère, spontané, humain mais émotif, fluctuant comme celui de l’apôtre Pierre ?

 

L’apôtre était pourtant convaincu d’aimer profondément le Seigneur. Hélas, son sentiment ne résista ni à la fatigue dans le jardin de Gethsémané, ni à la moquerie dans la coeur du sacrificateur. Pierre avait de quoi désespérer de lui-même, mais le Seigneur ne l’abandonna pas à son sort. Dans sa grâce, il releva son disciple. Et ce dernier comprit qu’il y avait amour et amour.

 

Le livre des Actes nous montre un Pierre métamorphosé. Ni le succès, ni les menaces, ni la prison n’altéreront plus l’amour de Pierre pour son Maître, qu’il aimera plus que sa propre vie. De quel amour aimerons-nous ?

 

B.G.

 


 NOTE

 

1. : Bernard Guy est professeur à l’Institut Biblique Béthel au Canada. Nous le remercions d’avoir autorisé Servir à reproduire cet article paru dans le bulletin de l’Institut.