« Oh ! Ce n’est que toi ? » 

 

Bulle

 

 par Paul Dubuis1

 

Brusquement réveillé pendant la nuit, il se soulève de son lit. Surpris, il croit distinguer dans l’obscurité une apparition de Satan lui-même.

 

 

 

– Oh !… Ce n’est que toi ?

 

 

 

Et Bill Bray, célèbre évangéliste se tourne contre la paroi et se rendort paisiblement (Rapporté par Ch. Spurgeon).

 

 

 

Plus proche de nous, lui aussi puissamment employé par le Seigneur, l’évêque ougandais Festo Kivengere. Lors d’un entretien, il s’étonne de la place que l’on fait en Occident aux démons et aux esprits du Malin.



– Chez nous, dit-il en substance, on amène les gens à Christ, ils confessent leurs péchés, reçoivent le pardon par la Croix. Ils déclarent publiquement la seule seigneurie de Christ et leur appartenance au vrai Dieu. Ceux qui ont eu affaire à l’occultisme n’ont pas nécessairement besoin d’exorcisme.

 


 

Trop crédules s’abstenir

 

La place faite aux puissances diaboliques dans la pensée et la pratique de la chrétienté évangélique contemporaine force à s’interroger – et bien au-delà de cette esquisse de réflexion. Certains l’ont fait de manière approfondie et systématique, cautionnés par une solide pratique de la cure d’âme2. Il faut leur être reconnaissants d’avoir abrégé des temps où l’ignorance de l’activité occulte de Satan était flagrante.

 

Une prise de conscience salutaire

 

Par ailleurs, s’il a pu être démasqué dans certains lieux cachés où il opérait incognito, l’ennemi trouve encore son compte, malheureusement, à se moquer de trop de croyants crédules. Pour exemple : une littérature évangélique douteuse, exploitant le goût du sensationnel, donne dans le récit d’épouvanté en décrivant le monde du satanisme avec force détails sanguinolents, orgiaques et blasphématoires3. Du voyeurisme sous couvert d’évangélisme !

 

Bien sûr, on justifiera ces « polars » en ce qu’ils prétendent rendre témoignage de délivrances à la gloire de Dieu : en réclame-t-il autant ?

 

Parler du démon, c’est dire sa défaite

 

On accorde souvent un crédit démesuré aux puissances des ténèbres alors que leur faillite a été proclamée. On consent une attention démesurée à Satan alors qu’il a été reconnu comme usurpateur, menteur, rusé à l’extrême. Il faut le souligner avec force : l’Ecriture, quand elle parle de lui, le fait pour annoncer d’abord… sa défaite ! Se laisser captiver par son activité vraie ou imaginaire n’est pas innocent. Les conséquences de cette « foi aux démons » peuvent s’avérer aussi graves que la méconnaissance de leur indéniable activité. Quand une jeune fille, aux problèmes relationnels complexes, reçoit pour son édification un ouvrage à couverture suggestive : chaînes, cierges noirs, etc., sera-t-elle éclairée ou aveuglée ?

 

 

Nous refusons d’être éblouis, nous demandons à être éclairés

 

Le devoir d’enquête s’impose donc. Il faut bien en convenir : certaines démonstrations nous étonnent quand elles sollicitent les chrétiens à débusquer les esprits mauvais qui pourraient les habiter. On en réfère à l’anamnèse pour retrouver au fil des générations celle qui aurait été fautive. La quatrième est souvent évoquée, comprise de manière littéraliste (Dt 5.9 ; Ex 20.5)… A ce sujet, qui a pu troubler parfois inutilement, faisons quelques remarques :

 

Châtiment et bénédiction : sans commune mesure !

 

« Jusqu’à la troisième ou la quatrième génération » : nous avons probablement ici une « formule caractéristique ». Nous la retrouvons dans Amos 1.3 pour parler des crimes de la Syrie, et plusieurs fois dans Prov 31. Il faut la comprendre comme on entendrait… la 36e dans notre langue ! Ou encore en termes mathématiques : n + (n + 1 ) !

 

– Le contraste des chiffres fait la preuve de la disproportion entre le châtiment et la bénédiction. Tout calcul est exclu, comme pour les mille générations, qui ne sauraient être comptabilisées, évidemment !

 

– L’avertissement, dans les textes, concerne l’avenir d’abord, devant lequel Dieu nous déclare responsables, et non pas le passé dont il ne dit rien. C’est une sérieuse mise en garde : Dieu nous l’adresse dans son amour afin que nous mettions en place les conditions morales et spirituelles qui vont influer sur notre devenir et celui de notre descendance.

 

Dans ce sens, la parole concernant les générations bénies ou maudites ne cherche pas à susciter la culpabilité, ni même l’introspection ou l’analyse. Le message n’est pas tant destiné aux fils (puisqu’ils se lamentent sur leur sort et confessent les fautes de leurs pères), qu’aux pères pour qu’ils ne fassent pas le malheur de leurs fils. La formule renforce un commandement (Décalogue – Ex 20.4-6). C’est donc bien l’obéissance présente qui est en vue plus que le retour sur le passé4.

 

« J’ai péché contre toi seul »

 

– Il est certain que si l’on pouvait remonter à coup sûr la trace de nos ancêtres, on y trouverait bien, à un moment ou un autre, un tribut consenti plus ou moins directement à l’adversaire. Comme on y rencontrerait les symptômes de maladies physiques graves, et même mortelles. Y aurait-il, par voie d’ascendance, rétribution maléfique ? L’Ecriture garde le silence à ce sujet. Par contre, avant de déclarer que l’occultisme est dangereux – et il l’est vraiment – elle clame que Dieu lui-même est directement offensé par une telle idolâtrie ; c’est contre sa personne qu’on pèche en la pratiquant ; il se charge de la sanctionner lui-même. Ce qui est encore une grâce. . (Dt 18.9-1 4 ; Lv 20.6).

 

Nécessité d’une prise de position radicale

 

– En vertu du principe de solidarité, le péché des pères doit être confessé (Lv 26.40). Mais il s’agit d’une confession à caractère collectif plus que personnel. Ainsi Daniel s’humilie-t-il en distinguant son propre péché de celui de son peuple (Dn 9.20). Cela dit, une prise de position radicale devrait avoir lieu chaque fois que l’on discerne dans sa famille un commerce quelconque avec l’ennemi. Toutefois, « la possession démoniaque n’est pas héréditaire, ce n’est pas une maladie contagieuse, pouvant être attrapée par un ami ou un membre de la famille5 ».

 

 

Quelques repères

 

Pour saisir dans sa juste mesure l’activité démoniaque, il convient de définir la place que lui concède l’Ecriture.

 

– Les Evangiles la dénoncent souvent. Les épîtres ne font pas mention de la possession. Ce qui ne l’exclut pas, mais en limite l’importance dans le champ de la théologie et de l’activité pastorale. On aura également à tenir compte, par mesure de prudence, que jamais la Bible ne semble établir une relation de cause à effet entre une pratique de l’occultisme et un lien ou une possession. Elle ne suggère pas de la rechercher – mais elle ne l’exclut pas non plus. Seul l’éclairage de l’Esprit permettra un diagnostic sûr.

 

– Les Epîtres ne donnent aucune indication pour identifier ou chasser les démons. Par contre, elles nous font connaître la présence bien réelle d’esprits oppressifs contre lesquels il faut lutter (Ép 6.12-13). La puissance de Satan n’y est pas sous-estimée : il est d’abord tentateur et accusateur. Mot d’ordre dans ce conflit : résister. Sur ce terrain d’un combat qui peut parfois s’avérer tragique pour certaines personnes, on appellera à l’aide des frères et des soeurs qualifiés, exercés au discernement et revêtus d’autorité spirituelle.

 

– Quand bien même une personne serait liée par Satan, elle n’en reste pas moins sous le contrôle de Dieu. Aucune créature, fut-elle ouvertement révoltée contre Dieu, ne peut échapper dans la moindre parcelle de son être et de son agir, à la souveraineté divine. Ainsi en est- il de Saül. Le mauvais esprit est dit « de l’Eternel » (1S16.14-16, 23; 18.10 ; 19.9), non pas pour suggérer une collusion entre Dieu et les mauvais esprits, mais pour souligner leur soumission obligée.

 

Rien n’échappe au Dieu souverain

 

– Nous sommes à la foi pécheurs et responsables. L’ennemi ne peut pas prendre le contrôle d’une part quelconque de nos vies sans notre accord.

 

– Il s’ensuit que nous sommes redevables du contenu de nos pensées et de nos actes. La projection sur Satan de notre péché, ou de ses conséquences n’est pas scripturaire. Bien plus, elle est une faute qui nous permet d’esquiver nos responsabilités (cf. Hé 12.4) en nous rendant coupables de malhonnêteté spirituelle. L’Ecriture ne connaît pas de personnes atteintes d’un esprit d’avarice, de convoitise, de colère, d’intempérance… Par contre, elle vise les cupides, les débauchés, les insulteurs, les ivrognes… (1 Co 5.11 ), dans leur propre péché, dont ils ont à se repentir.

 

« C’est la faute à Satan ! »

 

– Le démonisme et tout le tapage qu’il suscite tend à suggérer à plusieurs, et surtout aux momentanément affaiblis, qu’ils pourraient être liés ou possédés. Tel discours s’avère spirituellement destructeur, telle intervention psychiquement dangereuse pour des personnes en état de vulnérabilité. Elles doivent en être averties, ainsi que celles qui les accompagnent: proches, amis, pasteurs… Il se pourrait que certains de leurs « patients » aient besoin d’être… délivrés de la délivrance !

 

 

Un vide qui appelle une plénitude

 

L’attrait actuel pour toutes manifestations surnaturelles est évident, facile à analyser. Moins justifiable dans l’église, il nous paraît être comme la contrepartie d’un vide.

 

La formation de la pensée, l’édification par l’étude de la Parole de Dieu, ne parviennent pas à répondre à une faim diffuse d’un « plus », ressentie comme un malaise spirituel, souvent comme un mal-être. « La présence et la puissance du Seigneur qu’on expérimente ordinairement dans nos églises ne sauraient être comparées à la plénitude du Saint-Esprit dont jouissaient les communautés de la première heure » (J.l. Packer).

 

 

La faim d’un « plus »

 

A l’extérieur de l’Eglise, les difficultés d’élaborer une stratégie d’évangélisation cohérente et conquérante produisent souvent lassitude et désappointement. Dès lors, les perspectives d’une démarche riche en sensations sont assurées d’un succès mobilisateur. Quand le combat se profile sur fond de révélations abondantes et de « paroles de connaissance », il est promis à rassembler bien des sous-alimentés et des déçus.

 

Ce décentrement de l’intérêt spirituel doit interpeller tous ceux qui ont charge de nourrir et de soigner le peuple de Dieu.

 

P.D.


NOTES

 

1. Paul Dubuis est pasteur à Neuchâtel (Suisse) et participe à la rédaction de Semailles et Moissons, périodique des Assemblées Evangéliques de Suisse Romande.

 

2. Dans les cinq volumes de sa Théologie pastorale, parue aux Editions Ligue pour la Lecture de la Bible, Maurice Ray rassemble une quantité de notions et d’expériences ayant trait à notre sujet. Nous signalons particulièrement le tome IV : Pour que nous soyons libérés, qui apporte une solide instruction.

 

3. Lire plus loin dans ce numéro la critique du livre de Rebecca Brown, Il est venu libérer les captifs par le pasteur Maurice Ray (NDLR).

 

4. Un petit ouvrage de G. Ramseyer, La guérison intérieure positive vaut son prix, au poids du bon sens ! Sans prétention, mais sain.

 

5. Délivrance ou discipline ?, V. Me Lister, Editions Vida. Introduit par D. du Plessis, l’auteur, praticien averti, présente une doctrine équilibrée, distinguant oppression satanique et possession démoniaque.