Nos  motivations à la pratique de la solidarité

 

par Abel Félix

 

 

SERV1Les groupes de réflexion qui se veulent efficaces pour la réalisation d’un projet, terminent leurs réunions par les réponses aux questions : Qui fait quoi ? Quand ? Comment ? etc. Ils veulent éviter le piège des parlotes stériles. Jésus lui-même nous rend attentifs à l’écart possible entre discours et action. Il nous invite à évaluer les porteurs de parole non d’après leurs propos mais d’après leur conduite. Ce ne sont pas la force, la beauté, le développement d’un arbre qui comptent, ce sont ses fruits. L’arbre sera jugé bon si les fruits sont comestibles et bienfaisants. Il sera jugé mauvais dans le cas contraire. (Mat. 7.20)


 

Prenons donc garde que nos rencontres fraternelles ne soient que des moments de jouissance sentimentale, intellectuelle voire spirituelle mais sans résultats concrets, valables et durables. D’abord parce qu’il y a toujours quelque chose de nouveau à apprendre et à vivre, à l’exemple de Paul : vers la fin de sa vie, enfermé dans les prisons romaines, il court encore vers le but, n’ayant qu’un seul objectif, saisir plus pleinement la vie de Christ. D’autre part parce que Jacques nous dit que celui qui ayant plongé les regards dans la loi parfaite, persévère, se mettant à l’œuvre, celui-là sera heureux dans son activité (Jac. 1.25). Il y a donc une joie particulière que Dieu réserve comme une prime, à ceux qui agissent après avoir écouté.

 

Mais pour que se mette en marche ce processus fructueux et bénéfique, c’est-à-dire « écoute, persévérance, action, joie », il faut une motivation. C’est le maillon indispensable qui nous fait passer de la pensée à l’action (et il arrive même que de fortes motivations nous fassent agir sans réfléchir, d’où l’intérêt de travailler en groupe !).

 

Quelles sont les sources de nos motivations pour une solidarité active ?

 

 

I. UNE SOURCE EVIDENTE : LES BESOINS STRATEGIQUES

 

Une première motivation peut s’exprimer en terme de nécessité. Il ne nous est plus possible, en effet, de vivre seul, comme individu ni comme groupe, dans un monde en plein désarroi spirituel, il nous faut nous serrer les coudes pour relever le formidable défi représenté par les besoins spirituels de notre génération. De plus, si l’athéisme pur et dur semble avoir vécu, nous voyons par ailleurs l’ennemi s’approcher sous la forme encore plus redoutable de la séduction. Pour résister aux assauts du nouvel humanisme philosophico-religieux, notre force sera d’établir entre nous des liens organiques nouveaux qui accréditent notre foi, principalement auprès de la jeunesse.

 

Une deuxième motivation peut s’exprimer en terme d’efficacité. Nous sommes des communautés de forces différentes. Un rééquilibrage doit avoir lieu afin que personne « n’ait trop » ni que personne «ne manque» (2 Cor. 8.13-14). (C’est … de petits efforts mis en commun… cette pensée qui a été à l’origine de l’Entraide Evangélique). Il faut aussi rappeler qu’un grand nombre de petits efforts mis en commun peut déclencher une action très importante.

 

C’est ainsi que, dans notre pays, les oeuvres caritatives récoltent chacune des dizaines, voire des centaines de millions chaque année, grâce aux envois d’un grand nombre de petits donateurs. Enfin, travailler ensemble est une sécurité, tant pour le développement d’une œuvre que pour l’utilisation judicieuse des fonds qui lui sont consacrés. Combien d’œuvres ont disparu en même temps que leur fondateur avec tout le préjudice moral et matériel que cela a pu impliquer !

 

 

II. LA VERITABLE SOURCE : JESUS-CHRIST, NOTRE FIDELITE ENVERS LUI

 

Mais pour nous chrétiens, nos motivations s’expriment surtout en terme de fidélité à Jésus-Christ. Cette fidélité a plusieurs aspects liés à son œuvre et à son exemple qu’il faut d’abord rappeler, à partir du thème de nos rencontres : « Solitaires ou Solidaires ».

 

Solitaire est dérivé du latin solus (isolé, seul) qu’on retrouve dans la locution vae soli (malheur à celui qui est seul, Eccl.4.10) tandis que solidaire vient de solidus (massif) qui a donné solide mais aussi un autre mot : soudure. Pour associer deux pièces métalliques, par exemple, on peut se servir de vis et d’écrous. Mais si l’on retire cette fixation, les deux pièces redeviennent libres.

 

La soudure, au contraire, est un mode de fixation qui unit les pièces de façon définitive et les rend donc solidaires l’une de l’autre. C’est une fixation extrêmement solide, au point qu’en cas d’effort mécanique sur l’ensemble, il n’est pas rare de voir l’une des pièces casser plutôt que la soudure elle-même. La soudure est donc l’opération par laquelle les deux pièces sont réunies. La solidité est l’effet obtenu par cette opération. Puisque nous réfléchissons à une motivation chrétienne à la solidarité, demandons-nous d’abord par quelle opération une telle solidarité est rendue possible.

 

1. Il s’est uni à nous

 

L’idée de soudure, c’est-à-dire d’une union extrêmement intime, en vue de produire une solidarité, c’est-à-dire une relation très solide, apparaît au chapitre 2 de la Genèse, dans le projet de Dieu pour l’homme : II crée l’homme, puis la femme dont l’homme peut dire qu’elle est « chair de sa chair et os de ses os ». C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère et s’attachera (se soudera) à sa femme et les deux seront un seul être. Il s’agit donc d’une jonction définitive qui jouit de l’approbation et de la garantie de Dieu : « Que l’homme ne sépare pas ce que Dieu a uni » dira Jésus.

 

Ce mystère du mariage trouve son accomplissement en l’œuvre de Christ envers l’Eglise, son épouse, pour laquelle il a donné sa vie. A travers le côté ouvert d’Adam, Dieu prélève une côte dont il façonne une femme. A travers le côté percé de Jésus, par où s’échappent l’eau et le sang, signes certains de sa mort, Dieu crée une humanité nouvelle, l’assemblée des premiers-nés, l’Eglise, l’Epouse de Christ. « Nous avons été créés en Jésus-Christ » dit Paul aux Ephésiens (2.10) ; entre Christ et l’Eglise, il y a cette union indéfectible : les deux forment un seul corps spirituel (Rom. 12.5 ; 1 Cor. 12.12 ; Eph. 4.4) et rien ne peut désormais les séparer, ni ange, ni domination, ni aucune créature (Rom. 8.28).

 

Mais pour que cette union soit possible, il a d’abord fallu que Christ se rende solidaire de notre nature, c’est-à-dire qu’il s’unisse de manière indéfectible à cette nature. La Parole a été faite chair. L’humanité et la divinité de Jésus ne sont pas juxtaposées, et elles ne peuvent être ni distinguées ni dissociées. De cette union (l’incarnation) résulte la solidarité de Christ avec les conséquences du péché : la malédiction qui pèse sur nous.

 

Dépouillé volontairement de sa gloire divine et de l’exercice de ses droits divins, nous ayant rejoints dans notre dénuement, s’étant rendu semblable à nous en toutes choses, Jésus se présente à Dieu comme un représentant valable de l’humanité, un homme de chair et d’os, un homme sans péché, pouvant offrir sa vie en sacrifice d’expiation pour les autres. Ce sacrifice a été agréé. La soudure, si l’image est permise, entre Dieu et les hommes a pu se faire en Christ parce que deux natures compatibles étaient en présence. Le feu de la justice divine a consumé le sacrifice que l’amour de Dieu offrait en notre nom. Dieu était en Christ, réconciliant le monde avec lui-même (2 Cor. 5.19).

 

2. Il nous a unis ensemble à lui

 

Le message de l’Evangile est une invitation à entrer dans le projet de Dieu (« Soyez réconciliés avec Dieu »), et à y entrer par la foi, c’est-à-dire en reconnaissant et confessant que Christ s’est vraiment rendu solidaire de nous, ce qui nous a rendus solidaires de lui. Un esprit qui vient de Dieu ne confesse-t-il pas Jésus-Christ venu en chair ? (1 Jean 4.2).

 

Par la foi, nous avons donc une libre entrée dans la présence glorieuse de Dieu par la voie nouvelle inaugurée au travers de la chair de Christ, et nous occupons notre siège céleste, avec lui, parmi les sanctifiés qu’il a amenés à la perfection pour toujours (Eph. 2.6 ; Héb. 10.14). L’intimité de notre union à Christ est illustrée par des images suggestives : « Enracinés, fondés, une même plante avec lui, greffés, participants de Christ, participants de la nature divine »… (Col. 2.7 ; Rom. 6.7 et 11.17 ; Héb. 3.14; 2 Pi. 1.4).

 

4-mainsEtant donc soudés à Christ, les uns et les autres, nous sommes de ce fait soudés les uns aux autres en Christ. Nous sommes ressuscités ensemble, assis ensemble dans les lieux célestes (Eph. 2.6) ; l’édifice de Dieu, bien uni ensemble, s’édifie dans l’amour, s’élève pour être un temple saint (Eph. 2.21) ; le corps, bien uni ensemble s’édifie dans l’amour (Eph. 4.16). Paul demande à Dieu que les Colossiens soient unis ensemble dans l’amour (Col. 2.2) en s’attachant au Chef dont tout le corps, bien uni ensemble tire son accroissement (Col. 2.19).

 

Ce qui nous rend solidaires les uns des autres n’a rien d’administratif ou de sentimental. Il s’agit d’une réalité spirituelle qui touche notre être le plus profond. Ce lien indestructible a été établi par celui qui est mort pour réunir en un les enfants de Dieu, par nature dispersés. En nous convertissant à Jésus-Christ nous avons quitté ce qu’on appelait autrefois un système religieux, c’est-à-dire une structure capable d’exister sans la vie de l’Esprit.

 

Par l’acte de foi qui nous fait occuper la place que Jésus nous a préparée, nous sommes entrés dans un système spirituel et nous sommes devenus spirituellement solidaires les uns des autres, comme membres du corps de Christ ; ce qui touche les uns affecte aussi les autres, même à leur insu (1 Cor. 12.26-27). Ces vérités sont à la source de nos motivations pour une solidarité active, dans un esprit de fidélité à ce que Jésus-Christ est et à ce qu’il a fait pour nous.

 

 

III. PLUSIEURS ASPECTS DE NOTRE FIDELITE A JESUS-CHRIST

 

1. L’obéissance à l’Esprit

 

Un premier aspect de cette fidélité est l’obéissance à I’Esprit. Nous ne sommes pas encore l’épouse parfaite et glorieuse de Christ, mais seulement sa fiancée, selon l’expression de Paul (2 Cor. 11.2). Nous sommes encore dans la période où Dieu façonne l’Eglise et la prépare pour le jour des noces. Le Nouveau Testament distingue nettement entre notre position spirituelle, qui dépend de l’œuvre accomplie de Christ, et notre expérience actuelle, qui dépend de l’action en cours du St Esprit en nous. L’Esprit prend ce qui est à Christ et nous l’enseigne, non pour accroître notre savoir, mais pour changer nos vies (Jean 16.14).

 

L’Esprit nous pousse vers des attitudes et des actions qui reflètent et confirment notre position « en Christ ». Comment expliquer, par exemple, que les premiers chrétiens à Jérusalem, aient spontanément partagé tous leurs biens (Act. 2.44-45 et 4.34-35) sinon parce que l’Esprit, tout nouvellement répandu, leur communiquait les sentiments de Christ, en vertu desquels il s’est donné sans réserve pour nous (Ph. 2.5). C’est ainsi que l’ex-ravageur de l’Eglise, Saul, est animé des sentiments les plus désintéressés pour le peuple de Dieu, Juifs (Rom. 9.3) ou païens (1 Th. 2.8). Et on pourrait multiplier les exemples : Jacques ne s’imagine pas qu’on puisse laisser un frère ou une sœur dans le dénuement (Jac. 2.15-16) ; Jean ne comprend pas non plus qu’un chrétien ayant le nécessaire puisse voir son frère dans le besoin et lui fermer son cœur (1 Jean 3.17).

 

Il faut dire que ces disciples avaient été à bonne école pendant leurs trois ans avec Jésus. D’une part, ils avaient tout quitté pour suivre celui qui n’avait à lui pas un lieu où reposer sa tête ; malgré cette extrême simplicité, ils géraient une caisse commune, dont le contenu était partagé entre les besoins des pauvres et les leurs (Jean 12.6 ; 13.29).

 

Les disciples avaient eux-mêmes expérimenté le dénuement au cours de la tournée missionnaire des douze, sans argent, sans sac, sans chaussures et pourtant, n’ayant manqué de rien (Luc 22.35). Il est significatif que Pierre, Jacques et Jean aient donné carte blanche à Paul et Barnabas, pour l’évangélisation des païens, en ne voyant, face à ce vaste champ d’action entièrement nouveau, qu’une seule recommandation essentielle à leur faire : « Qu’ils se souviennent des pauvres » (Gal. 2.10).

 

Certes, les exemples de solidarité dans le Nouveau Testament, ne sont pas nécessairement en eux-mêmes des modèles, mais l’Esprit qui les a inspirés, lui, est notre modèle, et aussi notre moteur. Pourquoi, aujourd’hui, mettre en commun nos biens, notre temps, nos compétences ? Par condescendance envers les démunis ? Par altruisme ostentatoire ? Par scrupules de conscience ? Non ! Mais parce que l’Esprit de Christ qui est en nous, nous fait voir les gens et les choses à sa manière et nous pousse vers les actions qu’il ferait, s’il était à notre place.

 

2. Le témoignage

 

Un deuxième aspect de la fidélité à Christ, comme motivation à la solidarité est le témoignage à rendre de son œuvre. Notre vie est cachée avec Christ en Dieu, mais elle est temporairement exposée aux tentations et tribulations de ce monde. La manière dont nous réagissons, face à ces difficultés, dépend de la solidité de notre position spirituelle. Jésus, pour encourager ses disciples, ne leur a pas dit « Vous vaincrez le monde» mais « J’ai vaincu le monde » (Jean 16.33), les appelant donc à être les témoins de cette victoire. De façon analogue, nous n’avons pas à rechercher à atteindre un certain niveau de solidarité, mais à vivre de façon cohérente avec celle qui résulte de l’œuvre de Christ.

 

Nos actes de solidarité témoignent de ce que nous sommes en Christ. Les incroyants ne sont pas obligés de recevoir nos paroles, mais ils ne peuvent éviter la réalité concrète de nos actions, pas plus que la nature différente, par rapport aux leurs, de nos motivations. Jésus disait aux Juifs : « Même si vous ne me croyez pas, croyez à ces œuvres » ! (Jean 10.38) et il va même jusqu’à dire que « s’il n’avait pas fait, parmi eux, des œuvres que personne n’a faites, ils n’auraient pas de péché » (Jean 15.24). Quant à nous, il ne s’agit pas d’épater le monde, mais de rendre nos actes cohérents avec notre position spirituelle. C’est un langage que le monde peut comprendre et qui accomplit, pour notre part, l’ordre de Jésus : « Vous serez mes témoins ».

 

Comme toute autre forme de témoignage, la pratique de la solidarité ne va pas sans difficultés d’ordre relationnel et parfois, cela nous fait reculer. Il faut dire que nous avons mis beaucoup d’accent sur la sanctification personnelle et négligé son aspect collectif, à preuve nos maladresses dans le règlement (quand il y en a un) des problèmes de relations entre chrétiens ou entre églises. Ce serait une grave méprise que de limiter les joies promises par le Psaume 133 aux moments où les chrétiens restent ensemble mais à condition de ne rien faire ensemble !

 

L’individualisme est un contre-témoignage (Ph.2.21). Serions-nous prêts, par exemple, à nous dépouiller de l’exercice de nos droits au profit des autres membres du corps de Christ ? C’est bien ce que préconise Paul, quand il recommande aux forts de supporter les faiblesses de ceux qui ne sont pas aussi forts qu’eux (Rom. 15.1-2) et il ajoute : « Que chacun de nous plaise au prochain, pour l’édification ». Nos gestes de solidarité donnent la mesure réelle de ce que nous avons pu saisir de l’œuvre de Christ, infiniment plus vaste que la jouissance de nos seuls saluts individuels.

 

3. Une réponse d’amour

 

Une troisième motivation qui s’exprime en terme de fidélité est celle de notre réponse à l’amour de Dieu manifesté en Christ. Jean ne nous dit-il pas qu’ayant connu l’amour (donc en en ayant saisi les fruits) en ce qu’il a donné se vie pour nous, nous avons, de ce fait, contracté une dette envers nos frères, celle de leur donner notre vie (1 Jean 3.16) ! Pourquoi « envers nos frères » et non pas « envers Christ » ? Tout simplement parce que nos frères, c’est Christ. Nous ne sommes pas soudés directement à nos frères, mais tous ensemble à Christ, de sorte que nous ne pouvons atteindre nos frères qu’à travers Christ et son œuvre expiatoire.

 

Quel privilège de pouvoir aborder nos frères et nos sœurs en les identifiant non pas à leur ancienne nature, mais à la nouvelle : Christ en eux, l’espérance de la Gloire ! Nous pouvons entreprendre beaucoup de choses pour le Seigneur, mais ce que nous voulons exprimer concrètement au Seigneur lui-même, à titre d’amour et de reconnaissance, c’est à nos frères, qui sont aussi les siens, que nous pouvons l’exprimer. C’est par eux que nous l’atteignons Lui. Ne s’est-il pas identifié lui-même à ses frères, lorsque Saul de Tarse, respirant la menace et le meurtre, rencontre, sur la route de Damas, la véritable victime de sa haine : « Je suis Jésus que tu persécutes » ! (Actes 9.5). Cette révélation foudroyante a marqué l’apôtre, qui écrira plus tard aux Corinthiens : « En péchant contre les frères vous péchez contre Christ » (1 Cor. 8.12). Cela signifie que notre comportement envers nos frères et notre comportement envers Christ sont une seule et même chose. « Chaque fois que vous avez fait ces choses à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous les avez faites » (Mat. 25.40).

 

4. « Souviens-toi de Jésus-Christ »

 

Quatrièmement, nous trouvons notre motivation dans une fidélité au souvenir des souffrances de Christ. « II vous a été fait la grâce, non seulement de croire en lui, mais aussi de souffrir pour lui » dit Paul aux Philippiens (1.29). Comme toute autre forme d’obéissance à Jésus-Christ, la pratique de la solidarité peut nous conduire dans des souffrances de divers ordres. « Christ ayant souffert dans la chair, vous aussi, armez-vous de cette même pensée » (1 Pi. 4.1). Jésus s’est rendu solidaire de notre condition et il en a assumé les conséquences jusqu’au bout : « II a porté nos péchés » ; avons-nous réfléchi à ce que cela signifie ?

 

Supportons-nous aisément d’être soupçonnés d’une faute que nous n’avons pas commise ? Supporterions-nous que tout notre entourage nous en accuse ? Accepterions-nous sans révolte que Dieu lui-même nous la reproche, lui dont la présence glorieuse a jeté à terre, parfois comme morts, des hommes tels que Moïse, Esaïe, Ezéchiel, Daniel, Paul, Jean ? Dans quelle situation Jésus l’Innocent, le Pur, a-t-il dû se trouver lorsque les péchés de tous les hommes et de tous les temps, au moins dix milliards de personnes, lui ont été imputés (et parmi eux, les nôtres) ? Six jours avant sa dernière Pâque, Jésus est déjà dans la plus grande angoisse, rien que d’y penser (Jean 12.27).

 

A Gethsémané, l’agonie commence ; il transpire du sang, si violent est le combat qu’il mène pour aller jusqu’au bout de son obéissance à Dieu. Son corps est comme anéanti, les autorités, les soldats font de lui ce qu’ils veulent. « C’est ici votre heure, leur dit-il, et la puissance des ténèbres » ; il n’a pas la force physique de porter le bois de la crucifixion, sur lequel il meurt, au bout de quelques heures, dans un isolement moral et spirituel complet. Il ne meurt pas que de son supplice, il meurt de nos péchés, il meurt volontairement, pour avoir choisi d’aller jusqu’au terme, dans son corps et dans son âme, de l’acte spirituel par lequel il s’était rendu solidaire de notre condition.

 

Quant à nous, « Considérons celui qui a supporté une telle opposition de la part des pécheurs, afin que nous ne nous lassions pas, l’âme découragée » (Héb. 12.3). Lorsque la pratique de la solidarité dérange nos habitudes ou notre confort, rappelons-nous que « Christ a souffert pour nous, nous laissant un exemple, afin que nous suivions ses traces » (1 Pi. 2.21). C’est ce qu’exprimé l’auteur de l’épître aux Hébreux lorsqu’il écrit « Souvenez-vous des prisonniers comme si vous l’étiez vous-mêmes, et de ceux qui sont maltraités, comme ayant vous aussi un corps » (Héb. 13.3).

 

Il est remarquable qu’une telle exhortation ne paraisse pas superflue sous la plume de l’auteur, qui pourtant s’adresse à des chrétiens « ayant soutenu un grand combat, exposés comme en spectacle aux opprobres et aux afflictions, et s’étant associés à ceux dont la position était la même, jusqu’à accepter avec joie la confiscation de leurs biens » (Héb. 10.32-34). La pesanteur de notre égocentrisme naturel est telle que nous avons constamment besoin d’être ramenés au niveau spirituel de notre union en Christ et de ses implications concrètes. Le lieu de ce renouvellement se trouve devant la croix.

 

Un appel

 

pain-vinLorsque nous prenons ensemble le pain et le vin, signes de notre soudure ensemble à Christ, nous « annonçons la mort du Seigneur », avec tout ce qu’elle signifie. Faire ce geste en négligeant ou en rejetant les aspects pratiques de la solidarité qu’il implique, est un mensonge et un affront à notre Seigneur. Repentons-nous de notre individualisme congénital aussi bien que de notre paresse naturelle, de notre avarice charnelle, de nos réticences à exprimer notre amour de façon tangible, à l’exprimer à Christ en la personne de nos frères, les frères auxquels il nous a attachés pour l’éternité, et avec lesquels il nous appelle, dans le temps présent, à former un corps uni, vivant, actif, où chacun prend soin des autres.

 

Entrons courageusement, humblement, fidèlement, dans ces œuvres « que Dieu a préparées d’avance afin que nous marchions en elles ».

 

A.F.