Quelle Eglise pour demain ?1

 

2° partie

 

chandelier

par Frank HORTON

 

On a reproché un jour à l’évangéliste Billy Graham d’être en retard sur son temps. Quelqu’un lui dit : « M. Graham, vous avez au moins un siècle de retard ». Il répondit à son interlocuteur : « Vous vous trompez, j’ai presque 20 siècles de retard ! Le message que je prêche remonte au 1er siècle de notre ère et il garde toute son actualité. »

 

Et c’est dans ce sens que, pour répondre à la question posée : « Quelle Église pour demain ? » je propose, non de faire de la futurologie, mais de regarder vers le passé, et même le passé lointain, à l’Église du 1er siècle, et de nous mettre à l’écoute de ce que l’Esprit dit à l’Église d’Éphèse, et par là même aux églises d’aujourd’hui, à la vôtre et à la mienne.

 

 

L’Église d’Ephèse (Apoc. 2.1-7)

 

Éphèse était l’une des villes les plus importantes du 1er siècle. Il y a eu 4 villes successives sur son emplacement. Celle où se situe notre texte était la troisième du nom. Fondée au 4ème siècle avant Jésus-Christ, elle a subsisté jusqu’au 6ème siècle de notre ère. La visite des ruines de cette vaste cité provoque encore aujourd’hui l’étonnement du voyageur.

 

Les fouilles, qui se poursuivent depuis près d’un siècle, ont permis de découvrir à ce jour environ 20 % de l’ancienne ville, qui comprenait à l’époque près de 400.000 habitants, ce qui était considérable pour l’Antiquité. On s’émerveille devant les ruines mises à jour : voies de marbre, forums, temples innombrables, dont trois dédiés aux empereurs romains (ceci pour s’assurer les faveurs de Rome). Le port a disparu par suite d’ensablement, et la mer est maintenant distante de 12 km.

 

C’était une ville cosmopolite. Toutes les races s’y côtoyaient, en particulier les Juifs, les Grecs et les Romains. C’était une grande ville de commerce, les caravanes y passaient, les marchands s’y arrêtaient et toute sorte de voyageurs s’y pressaient, ainsi que de nombreux marins qui y faisaient escale. C’était aussi un centre politique important, avec son propre gouvernement. Également un centre intellectuel, où fleurissaient l’étude des arts magiques et des pratiques occultes. Et surtout une ville d’immoralité, avec la pratique de la prostitution sacrée dans le temple de Diane, dont il ne reste que peu de vestiges. On y trouvait tout ce qu’on trouve aujourd’hui dans nos grandes cités d’Europe. Tout cela nous permet de mieux entrer dans les conditions, les joies et les peines de l’Église d’Éphèse.

 

La lettre que nous avons lue est la première des 7 adressées par Jean aux Églises d’Asie : Éphèse, Smyrne, Pergame, Thyatire, Sardes, Philadelphie et Laodicée. Celui qui parle nous est présenté comme tenant les 7 étoiles dans sa main droite et marchant au milieu des 7 chandeliers d’or. C’est le Seigneur, qui a les Églises dans sa main, qui est présent au milieu d’elles, qui connaît tout, Celui qui pourvoit, qui soutient, qui instruit, qui avertit, qui appelle, qui discipline.

 

 

Trois qualités de l’Église d’Éphèse : persévérance, discernement, discipline

 

C’est un plaisir d’entendre tout le bien que le Seigneur pense de l’Église d’Éphèse. Il lui fournit pour son passé un bon certificat. Trois choses bonnes la caractérisaient, la première étant la persévérance, mentionnée deux fois (v. 2 et v. 3). Quelle belle qualité, d’autant plus que le Seigneur dans son enseignement met constamment l’accent sur la persévérance et la fidélité. Lisez par exemple le discours de Matthieu 24 ou les textes parallèles de Marc et de Luc, et vous verrez que le Seigneur exhorte avant tout ses disciples à la fidélité. Il en est de même dans la parabole du serviteur fidèle, celle des 10 vierges et celle des talents, où la ligne de force est cette qualité qui est d’une très grande valeur à ses yeux. La persévérance dont il est question ici n’est pas une sorte de résignation passive, mais plutôt cette qualité qui doit marquer l’athlète dans le stade ou le laboureur dans son champ, ou le soldat qui va jusqu’à la limite de ses forces.

 

A. Tozer disait quelque part dans l’un de ses ouvrages que le serviteur de Dieu est par définition un homme fatigué. Mais si le moteur ne tire plus, s’il cale (et c’était là le problème d’Éphèse), l’Église continue en roue libre, elle va sur sa lancée, mais sans inspiration. À tel point qu’un auteur a pu dire que si Dieu enlevait aujourd’hui le Saint-Esprit, environ 95 % de ce que nous faisons dans nos églises continuerait, et nous ne verrions pas la différence. Troublant, n’est-ce pas ?

 

Éphèse était aussi louée par le Seigneur pour son discernement : « Tu ne peux supporter les méchants, tu as éprouvé ceux qui se disent apôtres et ne le sont pas, et tu les as trouvés menteurs » (v. 2). L’Église du 1er siècle était exposée à toutes sortes de vents de doctrine. Il y avait, je pense, trois erreurs principales : le légalisme, judaïsant, par lequel certains docteurs essayaient de remettre l’Église sous le joug de la loi, et c’est la raison de la lettre de Paul aux Galates.

 

Le gnosticisme, philosophie d’élitisme, qui débouchait dans la pratique sur deux façons de voir la vie : la matière étant considérée comme mauvaise, les uns se privaient de toutes les jouissances mêmes légitimes (ascétisme), les autres se vautraient dans la fange de leurs passions. Enfin, ce que nous pourrions appeler le libertinisme, caractéristique des moeurs du monde païen de l’époque comme de notre société de la fin du 20ème siècle.

 

Combien ce discernement est nécessaire de nos jours, où tant de parallèles peuvent être faits avec la société éphésienne ! Nous avons besoin d’être fondés sur la Parole de Dieu et de demander au Seigneur un don de sagesse et de discernement, afin de savoir examiner toutes choses et retenir ce qui est bon, sinon nous risquons d’être emportés à droite et à gauche, et notre confusion sera totale. Mais attention, si l’amour manque, le discernement peut devenir une chasse aux hérétiques.

 

La troisième qualité que le Seigneur reconnaît à Éphèse, c’est la discipline. Nous lisons au verset 6 : « Tu as de la haine pour les oeuvres des Nicolaïtes, que moi aussi je hais ». Qu’est-ce que les Nicolaïtes ? Nous les retrouvons au v. 15, dans la lettre à l’Église de Pergame, où le Seigneur les associe à la doctrine de Balaam. Il semble d’après ce passage qu’il s’agissait d’une forme de gnosticisme antinomien, fait d’orgueil intellectuel qui refusait la simplicité de l’enseignement de Paul, de son adjoint Timothée et de l’apôtre Jean, qui tous trois avaient séjourné à Éphèse. De plus, ces hommes avaient pactisé avec les moeurs de cette ville païenne, corrompue et dissolue, pensant que la grâce de Dieu les laissait libres de vivre dans l’immoralité.

 

Vous vous souvenez de ce qu’a fait Balaam, qui n’avait pas été capable de maudire le peuple d’Israël. Il a dû dire à Balak d’entraîner les enfants d’Israël à la débauche et à l’idolâtrie, pour inciter l’Éternel à les détruire. Le Seigneur reconnaît que l’Église d’Éphèse ne tolère pas le mal et exerce fidèlement la discipline.

 

Mais quelque chose manque à cette Église : un passé heureux, mais un présent médiocre. Sans doute n’était-elle pas descendue aussi bas que Thyatire, que le Seigneur accuse d’adultère et de prostitution. Mais on peut voir dans la persévérance, le discernement, l’orthodoxie d’Éphèse, des obligations accomplies sans chaleur, sans inspiration et sans joie.

 

Et cependant, dans la lettre écrite par Paul à l’Église d’Éphèse, l’apôtre avait parlé de l’amour 20 fois et terminait son épître par ce verset qui m’arrête toujours : « Que la grâce soit avec tous ceux qui aiment notre Seigneur Jésus-Christ d’un amour inaltérable. » Cependant, à peine une génération plus tard, le Seigneur est obligé de dire : « J’ai contre toi que tu as abandonné ton premier amour ». Que s’est-il passé ? Je me suis posé la question, et c’est là peut-être le point le plus important de notre méditation : quelles peuvent être les causes de cette perte d’amour ?

 

 

Trois causes du déclin d’Éphèse : l’habitude, l’égoïsme, le péché

 

Je vous propose trois causes principales (vous pouvez compléter cette liste par vos propres expériences). Je dirai que la première cause, c’est tout simplement l’habitude, la routine : on trace un sillon, et celui-ci devient très vite une ornière. On a des habitudes sacro-saintes, il n’y a pas de découvertes nouvelles, pas de spontanéité, on s’enlise dans la monotonie, souvent au nom de la fidélité au Seigneur et à sa Parole ! Dans certaines assemblées, tout est programmé, minuté, tout se déroule immuablement, et cela au nom de la spontanéité ! Certains cultes sont figés dans un carcan de traditions, à tel point qu’on ne peut toucher à rien.

 

Voyez-vous, quand on parle d’habitude, il faut se rappeler que nous sommes soumis à ce que les scientifiques appellent la 2e loi de la thermodynamique. Quand un processus chimique, organique ou autre, commence, il y a un certain potentiel d’énergie, qui se dissipe au fur et à mesure du déroulement du processus pour atteindre à la fin une valeur nulle, qu’on appelle l’entropie. Il peut en être de même, hélas ! dans nos relations avec le Seigneur. De même qu’en vieillissant nous perdons petit à petit la fougue de notre jeunesse, notre vie spirituelle aurait tendance à décliner, et il faut que notre énergie soit renouvelée par une force qui nous est extérieure.

 

L’espérance de vie d’un homme aujourd’hui se situe autour de 70 ans, et l’histoire nous apprend que l’espérance de vie d’un mouvement d’église issu du Réveil est de l’ordre de 140 ans, après quoi Dieu doit recommencer ailleurs. Qu’en est-il de nos assemblées ? La première, je crois, a vu le jour en Suisse romande en 1824, il y a donc un peu plus de 160 ans. Et si nos assemblées sont encore en vie, si les chandeliers n’ont pas été ôtés de leurs places, je dis que c’est la grâce de Dieu à l’oeuvre au milieu de nous.

 

Une deuxième cause de la perte du premier amour est l’égoïsme, qui est tellement inhérent à la nature humaine. En tant qu’hommes et femmes, nous sommes foncièrement égocentriques. Le milieu ambiant de la société actuelle est égoïste au possible. Tout le monde revendique des droits et rejette la faute sur les autres : les ouvriers sur les patrons, ceux-ci sur les ouvriers et les syndicats, et ainsi de suite. À la télévision, les hommes politiques font appel à l’égoïsme des téléspectateurs.

 

Dans notre vie d’Église même, je crains le caractère anthropocentrique de nos rencontres et même de nos cultes. Il en est de même d’une grande partie de la littérature chrétienne, spécialement des biographies, beaucoup trop axées sur le « moi ». Si ce mal pénètre dans nos églises, il vient tuer notre amour pour le Seigneur qui, au lieu d’être l’objet de notre amour, devient le moyen de satisfaire nos désirs et nos besoins. C’est vrai qu’il est là pour nous sauver, nous guérir, nous libérer. Mais est-ce pour cela que nous nous intéressons à Lui ?

 

La troisième cause de la perte du premier amour, me semble-t-il, c’est le péché toléré et non confessé, dans l’individu ou dans la communauté. Chacun connaît les points où il est vulnérable : pour l’un ce sera l’argent, pour l’autre le succès, le prestige, la bonne chère, la sexualité, ou une combinaison de ces choses. Si vous savez où vous êtes vulnérable, vous savez aussi dans quel domaine il vous est le plus facile de tolérer le péché, en en amoindrissant la gravité.

 

Et ce qui me frappe dans ces lettres aux 7 Églises de l’Apocalypse, c’est que le Seigneur revient plusieurs fois sur le péché sexuel. Vous savez comme moi que nous vivons dans une société obsédée par le sexe, et notre esprit est continuellement souillé par ce que nous voyons ou entendons autour de nous. Je ne connais rien qui tue plus aisément l’amour pour le Seigneur que la tolérance d’écarts sur ce plan. Jean, dans sa 1ère épître, dit, concernant la marche dans la lumière : « Si nous confessons nos péchés, il est fidèle et juste pour nous pardonner… » (1 Jean 1.9). D’où l’importance de revenir à la croix chaque jour et de « mettre nos comptes à jour » avec Dieu.

 

 

Un triple appel : Souviens-toi, repens-toi, obéis

 

Le Seigneur lance à l’Église d’Éphèse un triple appel pour l’avenir : « Souviens-toi, repens-toi et pratique tes premières oeuvres » (v. 5). Ce n’est pas un appel à foncer, à aller de l’avant, mais au contraire, à faire demi-tour, à revenir au pied de la croix.

 

croix

 

 

 

« Souviens-toi ». Il y a de mauvais souvenirs qu’il faut oublier, tels ceux dont parle Paul en Philippiens, ch. 3, mais d’autres qui sont bienfaisants et auxquels il est bon que nous revenions : la première fois que nous avons saisi l’Évangile et découvert l’amour de Christ, que nous avons compris le sens de la croix, le souvenir de notre premier grand amour pour Jésus en réponse à son amour.

 

 

 

panneau

 

 

Le deuxième appel est la repentance, c’est-à-dire non seulement le regret, mais l’engagement de tout l’être pour un véritable demi-tour. Cela est nécessaire, car une baisse dans l’amour n’est pas peu de chose. Dans un mariage, tout est, hélas !, possible à partir de là.

 

La troisième chose à laquelle le Seigneur nous appelle, c’est l’obéissance. Combien c’est une dimension importante, que nous avons besoin de redécouvrir. Jésus dit, en Jean 14, verset 23 : « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole ». On entend souvent parler de « réveil » dans nos églises, mais beaucoup moins d’obéissance, de soumission à la seigneurie de Christ. C’est pourtant la clé de notre épanouissement.

 

Alors, « quelle Église pour demain ? » Si nous remplissons les conditions que Dieu place devant nous, revenir au Seigneur et renouveler notre amour pour Lui, notre culte d’adoration prendra une dimension nouvelle, nous nous préoccuperons les uns des autres pour notre édification commune, et notre témoignage sera crédible devant un monde qui nous regarde.

 

J’ai connu aux États-Unis un jeune homme, étudiant à l’Université de Princeton qui, tout en n’ayant pas de talents spéciaux d’évangéliste ou d’organisateur, fut, à cause de son amour pour Christ, le moyen de la conversion de 25 de ses camarades d’étude. Le jour où il devait recevoir son diplôme et où, selon la tradition, son nom fut inscrit sur le Livre d’or, avec sa photo, on put lire l’appréciation suivante de ses camarades de promotion : « L’homme, de tous ceux que nous avons connus, qui ressemble le plus à Jésus-Christ. »

 

F.H.

 


 NOTE

 

1. : Suite de la 1° partie parue dans le numéro 1 de Janvier-Février 1988