Réponses chrétiennes à la mondialisation1

 

 par Patrick GUIBORAT

 

 

Quels repères ? Quelles attitudes fondamentales les chrétiens peuvent-ils proposer dans notre société mondialisée, sans limites ?

 

La Parole de Dieu est très riche en principes. Nous en retiendrons cinq qui sont profondément bibliques et extrêmement pertinents comme repères pour la réflexion et l’action aujourd’hui.

 

 

 

 

 

1 L’être humain est créé à l’image de Dieu. Il a été cité ce passage d’Actes 17.28 : « Nous sommes aussi de sa race… ». Cette image, comme nous le savons, est brisée par le péché. Notre objectif, c’est de la restaurer dans son intégralité. Nous savons bien sûr que nous n’y arriverons pas parfaitement sur cette terre.

 

Quelle dignité dans la misère extrême ? Quelle éthique peut-on appliquer lorsque la souffrance et la misère sont extrêmes ? Lutter contre la pauvreté, c’est donc aussi participer à restaurer cette dignité ; le simple fait de lutter contre cette pauvreté est en soi tout un projet éthique. Le premier principe biblique c’est que lutter contre l’extrême pauvreté, c’est chercher à restaurer l’image de Dieu dans l’homme.

 

 

2 L’être humain s’est vu confier l’intendance responsable sur toute la création. La conception biblique de la création implique que nous ne sommes ni propriétaires (pour faire de la terre ce qui nous semble bon), ni de simples invités (qui profitent passivement mais n’interviennent pas dans les processus naturels). Nous sommes appelés à « dominer » la terre. Le texte biblique développe ceci à l’aide des termes « cultiver » et « garder » ou « servir » (Gn 1.28s ; 2.15).

Développer le potentiel que la terre recèle et veiller à ce qu’elle reste fertile sont deux aspects indissociables de cette intendance à l’égard de la planète. Il s’agit de quelque chose d’un principe proche de ce qui a été nommé « développement durable » ces derniers temps, à savoir générer des richesses de telle sorte que nous léguions aux générations futures une planète qui n’ait pas été privée de sa capacité à donner et à entretenir la vie. Ce principe biblique est extrêmement important, d’autant plus que lorsque nous faillons, ce sont en général les populations les plus pauvres qui sont les premières victimes des conséquences (famines, inondations, etc.) liées notamment au réchauffement climatique.

 

 

3 Les principes et les lois qui ont été donnés dans la Bible au peuple de Dieu et rappelés par les prophètes sont nombreux. Parfois on pense que « ces lois pour protéger la veuve et l’orphelin et l’immigrant s’adressent au peuple d’Israël, sont très spécifiques et ne nous concernent pas aujourd’hui ! » Cela est faux à deux égards : tout d’abord la Parole de Dieu ne s’adresse pas seulement au peuple d’Israël, mais aussi aux nations environnantes ; l’immigrant, qui est au milieu du peuple est également concerné, par exemple dans plusieurs passages de Lévitique 19.

 

L’histoire de Sodome et de sa condamnation, avec Gomorrhe, est connue de tous, mais cette histoire (Ez 16.49-50) montre que l’une des causes du jugement de Dieu sur ces villes était leur insouciance vis-à-vis des pauvres. Et quand on lit les prophètes, dans Amos par exemple, les injonctions pour la justice sont aussi données aux différentes nations qui environnaient Israël.

 

Bien sûr, il faut prendre ces textes dans leur premier contexte, celui qui est immédiat historiquement ; mais ce qui est intéressant dans un deuxième temps, c’est d’en tirer les principes pour voir aujourd’hui comment les appliquer. L’exemple caractéristique concerne l’annulation de la dette des pays les plus pauvres, ce qui a été un des moteurs de l’engagement du S.E.L.2 dans la campagne « Jubilé 2000 » en 1999.

 

Il n’est pas dit dans l’Ecriture : « En l’an 2000, tu annuleras la dette des pays pauvres très endettés sur la liste de la Banque Mondiale ». Par contre, il y a des textes3 qui parlent de remise de la dette tous les 7 ans. A partir de ces textes, nous pouvons nous interroger : quels sont les mécanismes, pourquoi faut-il annuler la dette périodiquement ?

 

Et un des principes qui s’y trouve, c’est de dire que la dette, à un moment donné, sous certaines conditions, devient un réel esclavage et empêche tout développement, et que cette remise à zéro de certains compteurs permet de redonner de nouvelles possibilités de développement ; ce n’est donc pas étonnant que des organisations chrétiennes aient été à l’origine le fer de lance de la campagne du « Jubilé 2000 » pour l’annulation de la dette, basée justement sur ces textes du jubilé.

 

Bien sûr, il y a d’autres organisations qui auparavant tiraient aussi la sonnette d’alarme sur cette question de la dette, mais le fait que cela ait pris une telle ampleur, c’est que les chrétiens se sont réappropriés les textes bibliques et les ont appliqués à une situation qui semble tout à fait coller avec la mise en pratique de ces principes bibliques.

 

 

« On vit parfois mieux au Burkina Faso avec moins d’1 dollar par jour qu’en France avec le Revenu Minimum d’Insertion (RMI). »

 

Analyse d’un responsable d’ATD Quart Monde

 

 

Un autre principe que l’on retrouve tout au long de la Parole de Dieu, est le principe de redistribution des richesses, les principes de justice (pas de « balances fausses », etc.). Comment les appliquer aujourd’hui ? Pour ce qui concerne les balances fausses, on est aujourd’hui effectivement au niveau de nos pays dans une grande hypocrisie par rapport à ces questions : on se plaint avec certaines raisons du textile chinois qui envahit nos marchés, mais nous demandons en même temps que les autres pays laissent leurs marchés ouverts pour nos propres produits !

 

Il arrive aussi qu’on subventionne nos produits pour qu’ils puissent mieux entrer chez les autres. Au Mexique par exemple, la situation des petits paysans du Chiapas est dramatique : ils vivaient de différentes cultures notamment du maïs mais ne pouvaient plus continuer à cause de l’arrivée de maïs nord-américain subventionné et vendu moins cher que le maïs produit par les paysans mexicains. On pourrait étendre cette problématique à tous les enjeux de l’OMC sur l’agriculture et tous ces milliards de personnes qui vivent de l’agriculture dans les pays en développement et qui se trouvent concurrencés par nos produits agricoles qui sont subventionnés.

 

Ceci dit, ce n’est pas une question simple, parce que nous avons aussi, ici en France et dans d’autres pays, des agriculteurs qui vivent de cela et il ne faut pas négliger ce fait. Une des raisons pour laquelle la rencontre de l’OMC à Cancun en 2003 a échoué est tout simplement qu’il existe un certain nombre de producteurs de coton dans les pays africains – des millions de personnes en vivent – qui se trouvent confrontés à la concurrence de producteurs américains de coton représentant quelques milliers de familles qui reçoivent de fortes subventions et concurrencent ainsi directement la production de coton. On pourrait multiplier les exemples à l’infini et je pense que les textes bibliques sur les balances fausses s’appliquent tout à fait dans ce cas : la protection des plus vulnérables.

 

 

4 Amour et justice : Parmi les principes et les lois bibliques, on retrouve également deux idées force : aimer son prochain et pratiquer la justice. L’amour du prochain, sans distinction, est le commandement suprême en parallèle avec l’amour pour Dieu. Le texte de Luc 10.25-37 illustre magnifiquement ce principe par la parabole du « Bon Samaritain ». Les oeuvres bonnes générées par l’amour du prochain ont pour conséquence la glorification de Dieu (Mt 5.16) et témoignent de l’authenticité de notre foi (épître de Jacques).

 

Sur la question de la justice, le pasteur et professeur Louis SCHWEITZER faisait remarquer que, si tous les matins, quelqu’un se faisait attaquer par les brigands, le bon Samaritain devrait tous les jours refaire ce qu’il a fait. Ne faudrait-il pas alors se poser la question de la sécurisation de la route, afin de ne pas avoir à apporter cette aide tous les matins ? Il y a donc là une autre dimension de la justice quant aux causes de malheur. Ces deux aspects sont importants : il faut des docteurs qui soignent les maladies, mais aussi des chercheurs qui découvrent des vaccins pour éradiquer ces maladies. Il faut des pompiers qui éteignent les incendies, mais aussi des règles de sécurité pour empêcher ces incendies. On est dans cette dualité.

 

 

5 Liberté individuelle et bien commun : Un autre principe biblique absolument fondamental est la conciliation entre la liberté individuelle et le respect du bien commun, notamment la protection du plus vulnérable. D’un côté, l’individu est valorisé dans son activité : chaque individu est unique, responsable, appelé à être acteur du monde, destiné dès la Genèse à soumettre et à dominer la terre et ses ressources. Tout est possible, il n’y a pas d’interdits sur le principe : commerce, emprunt, embauche, création d’entreprise, échanges internationaux, mouvements de capitaux, liberté d’entreprendre et succès dans les affaires.

 

Il est très important de noter que cinq des dix commandements (Ex 20) ordonnent très clairement la protection de tout ce qui touche de près chaque individu dans différents domaines. D’un autre côté, les plus vulnérables sont protégés. Chaque individu est dans une famille, une communauté, un pays. Si pour les uns, la vie offre davantage de succès, ce n’est pas le cas pour d’autres. C’est là qu’on peut parler d’inégalité. L’inégalité est omniprésente et la Bible ne parle pas d’égalitarisme.

Néanmoins, il est important de distinguer entre deux types d’inégalités, même si dans la réalité cette distinction reste très théorique et la frontière bien difficile à établir :

 

  • L’inégalité qui est inhérente à la vie, qui est une conséquence des différences ‘normales’ entre les individus et leur histoire. Il n’y est pas, a priori, question d’injustice, même si en cherchant bien, on peut sans doute trouver des causes liées à une situation injuste. Dans de nombreux textes bibliques, la réponse à ce type d’inégalité est un appel à l’amour, un appel au partage des richesses privées. Il s’agit d’avoir compassion, de laisser une partie de son champ à défricher (Ex 23.11, Lv 19.9, etc.) ou de partager ses richesses devant des situations difficiles pour d’autres. C’est un partage auquel l’Eglise est appelée à faire face, comme on peut le voir dans 2 Corinthiens 8 et 9 au sujet de la collecte pour les chrétiens de Jérusalem, et puis tout simplement l’appel à une générosité permanente : « Souvenez-vous des pauvres » (Ga2.10).

 

  • L’inégalité basée sur l’injustice. La Parole de Dieu est terriblement dure contre ceux qui oppriment les autres, contre ceux qui profitent de leur situation de force pour en tirer des avantages supplémentaires. Les populations les plus vulnérables dans l’Ancien Testament étaient les immigrants, les veuves et les orphelins ; Dieu est extrêmement attentif à ce que personne ne profite de leur vulnérabilité, et n’ajoute à leur détresse. La réponse à ce type d’inégalité est la lutte contre l’injustice pour rétablir la justice. Pas d’exploitation par exemple (Ex 22.20 ; 23.9 ; Lv 19.33). Ces textes sont repris et amplifiés par les prophètes. Un des textes les plus sévères contre l’exploitation se trouve dans Jacques 5.1-6.

 

Le texte d’Esaïe 58 sur le vrai jeûne est très révélateur : on y retrouve les notions d’injustice et de compassion, assez imbriquées d’ailleurs, ce qui est intéressant. Ce qui bloque la relation avec Dieu, c’est l’injustice. Il est écrit : « ce sont vos fautes qui mettent une séparation entre vous et Dieu » (Es 59.2). L’injustice entraîne une attitude négative de Dieu à l’égard des injustes.

 

Même dans une situation où la justice n’est pas bafouée, nous pouvons aller beaucoup plus loin : c’est l’amour (Es 58.10-12). De nombreuses bénédictions reposent sur celui qui met en pratique cet amour. Dans ce cas, non seulement la relation avec Dieu n’est pas bloquée, mais des promesses merveilleuses sont contenues dans ces versets !

 

 

Conclusion

 

La question n’est pas d’être pour ou contre la mondialisation, mais d’intervenir pour qu’elle se construise selon des principes bibliques de justice et de compassion. En paraphrasant Jésus qui parlait du sabbat, on pourrait dire que ce n’est pas l’homme qui est fait pour la mondialisation, mais que la mondialisation doit être faite pour l’homme.

 

« Nous reconnaissons l’importance du marché pour une économie saine, mais nous rejetons la tendance qui donnerait au marché un statut suprême, donnant aux biens de consommation le pouvoir de définir notre identité, et abandonnant le sort des pauvres aux seules forces du marché. Nous nommons cela de l’idolâtrie. Bien que la mondialisation contribue à la création de sociétés plus ouvertes, l’effet final est une exclusion massive des pauvres. Peut-être la tâche sociale la plus urgente de l’Eglise pour notre génération est-elle de proposer une alternative attirante aux déséquilibres injustes de notre ordre économique mondial, et aux valeurs de sa culture de consommation ». Déclaration du réseau Michée4 (extrait)

 

Michée 6.8 : « On t’a fait connaître, ô homme, ce que l’Eternel demande de toi : c’est que tu pratiques la justice, que tu aimes la miséricorde, que tu marches humblement avec ton Dieu »

 

 

Pour aller plus loin

 

Parmi la multitude d’ouvrages existants nous vous recommandons la bibliographie sur le site du Défi Michée (www.defimichee.org, partie fondements théologiques), notamment les déclarations du Réseau Michée et les livres suivants :

 

– CHESTER, Tim, La responsabilité du chrétien face à la pauvreté, Editions Farel, 2006, 240 p.

 

– BLANDENIER, Jacques., Les pauvres avec nous (La lutte contre la pauvreté selon la Bible et dans l’histoire de l’Eglise), Editions LLB, 2006,144 p.

 

– KESHAVJEE, Shafique, La Princesse et le Prophète. La mondialisation en roman, Editions Seuil, 2004).

 

P.G.

 

 

Comparaisons

 

Les 10 plus importantes entreprises internationales ont un revenu total supérieur à celui des 100 pays les plus pauvres du monde.

 

Au niveau individuel, la richesse des 225 personnes les plus riches au monde a triplé en 6 ans, et la totalité de leurs biens équivaut au revenu annuel de la moitié de la population mondiale.

 

L’écart des revenus entre les 20% les plus pauvres et les 20% les plus riches est passé de 1 à 30 en 1960 à 1 à 74 en 1997.

 

 


 

NOTES

 

 

1. Extrait de l’intervention de Patrick Guiborat, Directeur Général du Service d’Entraide et de Liaison (S.E.L.), sur le thème « Richesses et pauvretés en contexte de mondialisation » lors du 1er Congrès Européen d’Ethique – mai 2005 – Strasbourg. Cet exposé avait été suivi par un temps d’échanges et de débat.

 

2. Le S.E.L. (Service d’Entraide et de Liaison) est une association protestante de solidarité internationale créée en 1980 par l’Alliance Evangélique Française. Son but est d’améliorer les conditions de vie de personnes et de populations en situations de pauvreté dans les pays en développement, en le faisant au travers du parrainage d’enfants, de projets de développement et de campagnes de sensibilisation en France, www.selfrance.org

 

3. Il faut d’ailleurs noter que ces textes ne semblent pas avoir été appliqués bien qu’ils soient un commandement de Dieu.

 

4. Extrait de la déclaration de QUERETARO (Mexique) où un réseau d’organisations humanitaires évangéliques s’est rassemblé en septembre 2003. Ce réseau s’appelle le réseau Michée. Le Défi Michée est une campagne internationale créée en 2004, sous l’impulsion de l’Alliance Evangélique Mondiale et du réseau Michée. Créé en France peu après, son objectif est de mobiliser les chrétiens dans la lutte contre la pauvreté et l’injustice et d’encourager les gouvernants à respecter les engagements pris à l’ONU. www.defimichee.org