Mondialisation… Vous avez dit mondialisation ?

 

 

 

Par Claude MARTINAUD

 

Quand un mot devient, si l’on peut dire, populaire et qu’il est utilisé par tous et chacun, c’est souvent parce qu’il rend compte d’un changement, de l’apparition d’une nouvelle idée, d’un nouveau fonctionnement.

 

 

 

 

Des mots et des choses ou un nécessaire retour en arrière…

 

 

Le terme mondialisation apparaît dans les années 1960 dans un ouvrage du professeur Mac Luhan : « Guerre et paix dans le village planétaire ».1 Pour lui, le monde changeait et la société qui en résultait était radicalement nouvelle. Nous sommes en pleine période de la guerre du Vietnam. Ce même auteur poursuit quelques années plus tard avec « La galaxie Gutenberg »2 où il explique que l’apparition du ‘tout électronique’ recrée le monde. Ces ouvrages auront un grand retentissement et d’autres auteurs iront dans le même sens.

 

Les deux mots mondialisation et globalisation apparaissent donc en Europe et aux Etats-Unis pour décrire des phénomènes à l’échelle planétaire. C’est en plein « Kennedy Round » en 1964 qu’un journaliste débute son article dans le journal « le Monde » par : « Vers la mondialisation des échanges ». Il faut attendre les années 80 pour que les économistes utilisent le mot globalisation dans un sens précis à propos de la firme globale c’est-à-dire des multinationales, avec le grand marché mondial. Mais pour l’instant rien de bien nouveau puisque l’on trouve trace de ce phénomène de mondialisation dans le Manifeste du Parti Communiste de 1848 ! La mondialisation en tant que phénomène de mise en relation de territoires éloignés est un fait ancien.

 

Ce qui va propulser en avant ces mots c’est l’évolution de la sphère financière dès 1990. Ce sont les économistes qui ont lancé avec succès ces deux mots globalisation et mondialisation : ils décrivent le fonctionnement des multinationales3 – les entreprises s’internationalisent pour la production, la conception, la vente d’un produit – et des marchés financiers : on constate une explosion des mouvements de capitaux depuis les années 1980. Ainsi les fameux fonds de pension américains doublent de volume en cinq ans ! Or cela coïncide avec le désengagement des Etats : ceux-ci ont renoncé à contrôler les mouvements de capitaux : c’est la déréglementation.

 

Des événements importants vont contribuer à renforcer la notoriété du mot, il s’agit de la chute de l’URSS et du monde communiste ainsi que de la disparition de ce que l’on appelait le Tiers-Monde, suite à la conférence de Bandung et la création du mouvement des non-alignés. Les grands organismes économiques comme l’OCDE vont abondamment utiliser le mot mondialisation lorsqu’ils décrivent ou analysent la situation économique mondiale. Il n’y a plus qu’un seul modèle : celui du capitalisme libéral. Il faudra attendre les années 1995 pour que le mot s’étende de la sphère économique à la sphère sociale. C’est en 1997 en effet que paraît dans les « Dossiers et documents du Monde » le titre : « Irrésistible mondialisation ». Le mot et le concept de mondialisation vont s’étendre aux autres sciences sociales, politiques, géographiques.

 

Ne s’agit-il pas en fait d’une rupture, que l’on peut dater des années 704, dans la manière d’appréhender le monde et de l’analyser ? « La géographie », dit J. Lévy, « pense l’espace pour lire le monde ». Pendant longtemps on a raisonné du particulier au général, on a décrit les nations et pensé le monde. Depuis les années 1990 c’est le système monde qui permet de penser le particulier.

 

Les dysfonctionnements du système monde ou les problèmes liés à la mondialisation.

 

Alors qu’une indéniable croissance à l’échelle planétaire existe, force est de constater que la précarité, les inégalités non seulement demeurent, mais semblent s’accroître. C’est à Seattle lors d’une conférence de l’OMC en 2000 qu’une protestation violente rappelle à tous que la prospérité n’est pas redistribuée équitablement : c’est vrai des écarts entre les ‘Nords’ et les ‘Suds’ mais c’est également vrai à l’intérieur des états eux-mêmes. Or la guerre commerciale fait rage : n’a-t-elle pas dans les années 80 remplacé la véritable guerre ?

 

Tous les coups sont permis : anti-concurrence, sur-réglementation… et c’est l’OMC5 qui tranche en faveur par exemple, du bœuf aux hormones, ou en faveur des OGM… Les délocalisations deviennent courantes et sont même brandies pour faire « évoluer » les acquis sociaux. LOMC est de plus en plus perçue comme étant du côté des pays riches ou des puissants contre les autres, les pauvres. Le forum de Porto Alegre en 2002 qui réunit plus de 60 000 personnes issues de 120 pays, montre l’opposition croissante à la formule : « Le monde est une marchandise » il répond : « Un autre monde est possible » !

 

Soutenir artificiellement la culture du café dans un pays n’est-ce pas aller à l’encontre des intérêts d’autres pays en difficulté économique ? Les prêts du FMI6 sont accompagnés de mesures structurelles qui peuvent grever lourdement les économies ainsi « aidées ». La libéralisation sans contrôle des marchés financiers a des effets désastreux dans de nombreux pays. Les agricultures de l’Europe et des Etats-Unis d’Amérique, fortement subventionnées, ruinent les agricultures locales des pays en développement.

 

A cela s’ajoutent toutes les dérives criminelles qui profitent du système : paradis fiscaux qui facilitent le blanchiment « d’argent sale » ; mafias diverses qui remettent en question la puissance des Etats. N’a-t-on pas vu lors de la chute de l’URSS les mafias prendre une partie du pouvoir local… Les trafics d’armes, de clandestins, d’esclaves… prolifèrent. Et les PMA, euphémisme pour désigner les pays les moins avancés7 de la planète, voient le nombre des Etats qui en font partie augmenter ; ce sont les laissés pour compte. Les maladies endémiques, le SIDA, la dette, font des ravages sans compter toutes les guerres bien réelles.

 

Enfin se profile le spectre du « choc des civilisations » dont a parlé Huntington…

 

 

Des solutions ?

LE SIÈGE
DE L’ONU À
NEW-YORK

Comment passer d’un « pillage » des ressources de la planète dont on sait depuis les années 70 qu’elles ne sont pas extensibles à l’infini, à un développement bien compris, c’est-à-dire dans le respect de la nature dont tout le monde profiterait ? C’est à cette période en effet que les travaux du club de Rome montrent la distorsion existante entre les ressources mondiales et les prélèvements effectués et que se crée Greenpeace, une des plus puissantes ONG. Une prise de conscience écologique s’amorce8 : les problèmes de la « vache folle », des pics d’ozone, des marées noires, de Tchernobyl, montrent que nous sommes interdépendants. .. C’est à partir de là que se met en place la notion de développement durable. L’alter-mondialisme, mouvement politique où se regroupent des associations comme ATTAC, des partis politiques comme les Verts, des syndicats, des journaux, font pression sur l’OMC et le G8. Les pays en développement se regroupent eux aussi pour tenter d’influencer ces grands organismes.

 

Enfin, dans les pays riches, est en train de se créer un mouvement que les sociologues appellent « alter-consommation ». Il s’agit des personnes qui privilégient l’environnement en choisissant l’agriculture biologique et tentent de mettre un peu d’équité dans le monde en soutenant le commerce équitable. Dans les dix ans à venir, ce groupe de personnes devrait représenter 20% des consommateurs en France.

 

Mate certains pensent que la mondialisation n’est pas démontrée. En effet ce sont les statistiques qui peuvent donner la « réalité » de la mondialisation. Or, ces dernières disent ce que l’on veut bien leur faire dire ! S’il est vrai que le commerce international a doublé entre les années 1967 et 1975, il y a eu ensuite un ralentissement voire une stabilisation. Les détracteurs de la mondialisation font appel aussi à l’histoire et constatent que le phénomène n’est pas nouveau : en 19139, l’Europe avait un taux d’ouverture de 17% alors qu’en 1992 il n’avait progressé que jusqu’à 20% !

 

Le temps des nations n’est pas fini déclare R. Boyer. L’affaiblissement des Etats est un leurre10 même si une contestation intérieure les menace11. De plus les phénomènes de régionalisation12 mis en place par les Etats peuvent être analysés comme des résistances à la mondialisation. Le précurseur en ce domaine étant l’Europe et plus particulièrement la CEE.

 

Des géographes et non des moindres13 disent que le monde est à la fois « pluriel et singulier ». Il peut s’appréhender en termes d’échelle mais il ne faut pas oublier que le « système monde » comme tous les systèmes a des hiérarchies enchevêtrées.

 

En conclusion la mondialisation est un phénomène ancien, fortement complexe, qui s’étend à un espace de plus en plus conséquent – le monde ! – mais qui ne profite pas également à tous : les lieux centraux sont hyper développés alors que d’autres espaces, comme par exemple l’Afrique sub-saharienne, sont laissés pour compte.

 

En tant que chrétiens nous ne pouvons pas laisser faire et laisser s’accroître les inégalités, que ce soit à l’intérieur de notre propre pays ou au niveau mondial. Nous avons une responsabilité personnelle et collective (Gn 1.28 et 2.15 ; Ps 8.7-9 ; Am 5.14-15). Nous ne pouvons pas nous « en laver les mains » en laissant les autres agir à notre place.

 

C.M. Juillet 2004

 

Piste Bibliographique


– TARRIUS A, La mondialisation par le bas, Balland, 2002.

– DOLFUSS O, La Mondialisation, Presse de Sciences Pô, 1997.

– HUNTINGTON S, Le choc des civilisations, Odile Jacob, 2002.

– MANZAGOL C, La mondialisation – Données, mécanismes et enjeux, Armand Colin, 2003.

– GEMDEV, Mondialisation. Les mots et les choses, Khartala, 1999.

 


NOTES

 

1. McLuhan , Flore, Guerre et paix dans le village planétaire, Laffont, 1971

 

2. McLuhan, La galaxie Gutenberg – genèse de l’homme typographique, Gallimard, 1967

 

3. Parmi les plus grandes multinationales il faut citer General Motors, Exxon, Mobil, Ford, Mitsui, la première française est à la quinzième place il s’agit d’AXA.

 

4. L’année 70 fin des trente glorieuses et de la croissance forte ? Début des difficultés sur fond d’incertitudes politiques et économiques ?

 

5. L’OMC (Organisation Mondiale du Commerce). Il faut rappeler que cette organisation est née en 1994 (traité de Marrakech) et a ouvert ses portes en 1995 succédant au GATT.

 

6. Le FMI (Fond Monétaire International) a été créé suite aux accords de Bretton Woods en juillet 1944. Il intervient avec la banque mondiale.

 

7. Pays qui ont un revenu par habitant inférieur à 900 dollars par an.

 

8. Rapport Brundtland commission de l’ONU à l’origine du Sommet de la Terre à Rio en 1992 et de la notion de développement durable

 

9. Boyer Robert, Drache D : « States against markets : The limite of Globalization », New York, 1996

 

10. On constate même que le nombre d’Etats a augmenté avec la disparition de l’URSS.

 

11. Les Séparatismes ont surgi dans beaucoup d’Etats.

 

12. Bagwati J : « Régionalism versus multilateralism » dans Le Monde Economique septembre 1992.

 

13. O. Dollfus, C. Grataloup, J. Lévy.