Adaptation à la mondialisation :

 

actions suscitées ou vécues par des chrétiens

 

par Daniel HILLION1

 

 

Dans son ouvrage intitulé Awakening to a world of need, Tim CHESTER raconte comment est née et s’est développée la forme actuelle de l’engagement social des évangéliques. Parmi d’autres facteurs, il souligne (dans le cas de la Grande-Bretagne, mais on peut élargir la constatation) le rôle croissant de la télévision dans la diffusion de l’information. C’est à cette époque que pour la première fois, des images de famine en Afrique pénétraient à l’intérieur des foyers occidentaux.2 Mondialisation de l’information ! Les images des catastrophes humanitaires se présentent maintenant devant les yeux de tous avec la question : qu’allons-nous en faire ?

 

 

Dans ce contexte, des organisations de « solidarité internationale » se sont développées servant de canal pour une réponse du grand public, parmi lesquelles des oeuvres spécifiquement évangéliques. Le but de cet article est, en partant de l’expérience du S.E.L., de mentionner quelques types d’actions concrètes que j’accompagnerai de commentaires sur leur intérêt et leurs limites.

 

 

Le développement local

 

Si dans les médias l’aide humanitaire se présente d’abord comme secours d’urgence (face à la famine, aux guerres ou aux catastrophes naturelles), la pauvreté dans le monde est malheureusement un problème chronique pour lequel des interventions ponctuelles et à court terme (si importantes soient-elles) ne suffisent pas.

 

Dans ces conditions, quelle forme doit prendre l’aide à apporter aux populations les plus démunies ? La réponse d’un assez grand nombre d’organisations (dont le S.E.L) se concentre dans l’expression « partenaires locaux ». Il s’agit d’accompagner les initiatives d’organisations issues des pays concernés, en visant l’autonomie des bénéficiaires par rapport aux subventions accordées.

 

Les chrétiens des pays en développement ne peuvent pas plus ignorer les situations de pauvreté et d’injustice que subissent leurs concitoyens chrétiens ou non chrétiens que les chrétiens des pays occidentaux ne peuvent mettre de côté les problèmes de dépression, de stress et de perte de sens auxquels sont confrontés les gens à l’intérieur comme à l’extérieur de l’Église.3 Si la proclamation de la Parole de Dieu est l’activité centrale de l’Eglise, il est nécessaire de prendre en compte le contexte dans lequel cette proclamation a lieu.4

 

C’est ainsi qu’un pasteur décidera de se mettre à l’œuvre au sein d’une association par le biais de laquelle il équipera un secteur de latrines sûres ou de sources d’eau aménagées. Ou qu’un groupe de chrétiens organisera des micro crédits pour permettre à des personnes de se lancer dans un petit élevage ou un petit commerce. Ou qu’une ONG locale mettra en place des formations pour apprendre à des paysans à optimiser les résultats de leur travail. Le rôle d’une organisation comme le S.E.L. sera alors de participer au financement du projet et d’en suivre la réalisation, quitte à l’accompagner de quelques conseils techniques. La logique est dans ce cas une logique de partenariat (en distinction d’une logique d’assistanat).

 

Et si vous demandez aux personnes impliquées sur place, quel rapport il y a entre leur engagement chrétien et leur engagement social, ils vous diront peut-être ce que m’a répondu le responsable d’une organisation béninoise que j’interrogeais sur le lien entre les activités d’évangélisation auxquelles il avait participé au sein des GBU de son pays et son travail actuel de santé publique et d’assainissement de l’environnement : il faisait à peine la différence, parce que, précisait-il, l’homme n’est pas qu’âme, il est aussi corps.

 

 

Le parrainage individuel

 

Les programmes de parrainage d’enfants sont un exemple frappant du type d’aide qui est possible dans un contexte de mondialisation : non seulement soutenir une organisation qui assiste des enfants, mais viser un enfant en particulier, avec lequel s’établit une correspondance, dont on a la photo, que l’on peut éventuellement visiter.

 

Il n’est pas possible ici de décrire le réseau complexe d’actions et de relations qui est impliqué dans le parrainage des enfants. Qu’il suffise de préciser que là encore le rôle de l’engagement de l’Eglise locale et des chrétiens sur place est fondamental. Ce sont eux qui vont mettre en place un centre d’accueil dans lequel les enfants bénéficieront régulièrement de services dans toutes sortes de domaines (en particulier le soutien scolaire, le suivi médical, les activités sociales et culturelles et la transmission du message de l’Evangile). L’un des intérêts du parrainage  « côté donateur » est d’inculquer l’idée que le véritable don inclut l’aide financière mais ne s’y réduit pas : c’est pourquoi une association comme le S.E.L. insistera sur le rôle de la prière pour le filleul et sur la correspondance (on n’insistera jamais assez – à mon avis – sur l’importance des lettres envoyées aux enfants).

 

 

Commentaires

 

Mon commentaire principal sera le suivant : dans le contexte de la mondialisation, la circulation de l’information et les possibilités de « connexions » entre les humains se multiplient d’une façon qui n’était pas imaginable il y a quelques décennies seulement. Un enfant à l’autre bout du monde peut devenir, au sens propre, mon prochain : il est à la portée de mon action, « proche » en ce sens. Mais l’amour véritable n’est pas devenu plus facile pour autant et la nature humaine n’a pas changé non plus. Le travail au sein d’une communauté pauvre ou auprès d’un enfant qui vit dans une famille en difficulté financière prend du temps et le résultat n’est pas assuré.

 

L’humanitaire n’est pas un produit de consommation : je fais un don et je vois un résultat concret immédiat – satisfait ou remboursé. Dans une perspective chrétienne cela devrait avoir affaire avec l’idée de se donner soi-même pour son prochain et non pas de se demander ce que mon don va me rapporter (pour le dire brutalement, il n’est pas possible de s’acheter une bonne conscience ou un échange avec un enfant d’un pays pauvre : et pourtant l’illusion à ce sujet est une tentation réelle).

 

L’approche qui privilégie les personnes et les ressources locales pour combattre la pauvreté semble à juste titre la plus respectueuse de la dignité de ceux et celles que nous voulons aider. Elle sert de repère et de principe : il faut lui garder ce rôle et ne pas oublier que le partenariat est une démarche plutôt qu’un résultat atteint une fois pour toutes. Entre une association occidentale et une association du Sud un partenariat équilibré est d’abord un idéal auquel on tend.

 

Les différences de culture ou même simplement de capacités économiques compliquent nécessairement les relations. D’autre part, il ne s’agit pas non plus d’idéaliser les partenaires locaux ni de dévaloriser systématiquement le monde occidental (cette attitude existe aussi). L’amour véritable offre quelque chose qui coûte (et qui a donc une vraie valeur) pour mettre en valeur celui à qui le don est fait. C’est une démarche exigeante.

 

Mon dernier commentaire sera le suivant : depuis ses débuts, le S.E.L. a toujours cru à l’importance de petits projets concrets visant à améliorer les conditions de vie d’un groupe humain ou d’un enfant. Et chaque amélioration compte : chaque verre d’eau propre, chaque repas servi à un orphelin, chaque enfant encouragé par une lettre qui l’assure de la prière de son parrain. Certains de nos partenaires sont un exemple vivant de ce que signifie mettre l’amour en œuvre : ils n’économisent pas leurs forces ou leur temps dans le service qu’ils rendent aux plus démunis… alors il faut persévérer. Continuer à soutenir les initiatives des chrétiens du Sud en faveur de ceux qui les entourent : « Ne nous lassons pas de faire le bien ; car nous moissonnerons au temps convenable, si nous ne nous relâchons pas. » (Galates 6.9)

 

D.H.


NOTES

 

1. Responsable des Relations publiques du S.E.L.

 

2. Cf. Timothy CHESTER, Awakening to a World of Need, The recovery of evangelical social concern, Leicester, Inter-Varsity Press, 1993 (cf. en particulier le chapitre 3, p.37-46.

 

3. Cette considération est bien sûr caricaturale : il ne faudrait pas en conclure que la pauvreté soit un problème spécifique au Sud ou la dépression un problème spécifique au Nord. Mais les caricatures ont aussi leur utilité : elles grossissent des traits qui existent vraiment et peuvent ainsi attirer l’attention sur un point pertinent.

 

4. Cf. Tim CHESTER, La responsabilité du chrétien face à la pauvreté, trad. Annick Tchangang, Marne-la-vallée, Éditions Farel, p.71-87 (en particulier p.80-82).