La non-violence : arguments bibliques

 

et pratique chrétienne

 

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par Michel Sommer1

 

 

Etre humain en Image de Dieu

 

 

Le premier argument qui conduit un chrétien à refuser la violence de mettre à mort un autre être humain se base sur la doctrine de la création, en particulier l’affirmation « Dieu créa les humains à son image » (Ge 1,27). Alors que Dieu est souverain sur sa création et interdit toute représentation de lui-même, l’être humain est dit en image de Dieu : c’est l’unique image de Dieu sur terre. Cela fonde le refus de commettre la violence ultime envers lui et ouvre un champ éthique sans limite.

 

Tu ne tueras point

 

tables-loiMais voilà ! Le péché et le mal se sont introduits dans la bonne création de Dieu ; la violence est partout présente (Ge 4 ; Ge 6,11-13). En appelant un peuple à le servir, Dieu lui donne une Loi pour qu’il reste libre de cette violence. Parmi les 10 commandements, le sixième ordonne : « Tu ne tueras point ». Même s’il désigne à l’origine l’interdiction de commettre un meurtre et non l’interdiction de la guerre, le mouvement de la Bible va vers une extension de la portée des différents commandements.

 

 

L’enseignement de Jésus

 

Dans l’Ancien Testament, Dieu fait des concessions à son projet initial de shalom, dans différents domaines, par exemple la polygamie ou la violence. Mais comme Dieu est positivement « têtu », il n’abandonne pas son intention première. C’est pourquoi il envoie son Fils, le Messie. En lui se révèle le plus clairement la volonté de Dieu pour ce monde.

 

Jésus enseigne à ses disciples le refus de l’escalade sans fin de la vengeance et de la violence (Mt 5,38-42), même si la loi du talion devait à l’origine les contenir. On a souvent compris le fait de tendre l’autre joue comme de la passivité devant le mal. Mais à y regarder de plus près, Jésus invite par quatre exemples à faire le bien activement, différemment, à réagir sur un autre registre.

 

Les contemporains de Jésus appliquaient le commandement « Tu aimeras ton prochain » à leurs concitoyens juifs et ajoutaient « tu détesteras ton ennemi ». Jésus renverse ces limitations en appelant à aimer même les ennemis, comme le montre la parabole du Bon Samaritain qui fait d’un étranger hérétique le modèle à imiter ! L’appel à l’amour de l’ennemi se base sur l’amour inclusif de Dieu pour les méchants et les bons (Mt 5,43-48).

 

 

La vie de Jésus

 

Ce que Jésus a enseigné en matière de non-violence, il l’a pratiqué. De la tentation au désert (Mt 4,8-10) jusqu’à Gethsémané (Mt 26,36-56), il a refusé le recours à la violence présentée comme une véritable option. Il se distinguait des Zélotes qui voulaient se débarrasser des Romains par l’insurrection armée et violente pour rétablir une nation au service de Dieu.

 

La non-violence de Jésus n’était pourtant pas de la passivité : quand on le frappe, il répond par la parole (Jean 18,22-23) ; face à la caste des saduccéens qui bénéficient du système du Temple, il pose un geste de type prophétique audacieux en chassant les bêtes du temple et en renversant les tables des changeurs (Mc 11,15-18) ; il harangue les pharisiens sûrs de leur justice propre pour toucher leur conscience endormie (Mt 23). Mais jusqu’à sa mort en croix comme un criminel qu’il n’était pas, Jésus ne tue ni ne violente personne.

 

 

L’oeuvre de Jésus

 

La mort de Jésus a été comprise par Jésus et les apôtres comme exprimant l’amour de Dieu pour l’humanité qui se perd : le Serviteur souffrant (Es 53) prend sur lui le mal au lieu de faire souffrir les autres. En Jésus, se donnant à en mourir, Dieu manifeste son amour pour ses ennemis (Rm 5,10). La croix révèle ici comment Dieu traite le mal : non en faisant périr les méchants (moi d’abord), mais en donnant sa vie pour que le méchant change et vive !

 

Finalement, la résurrection est la réponse non-violente de Dieu à ceux qui ont éliminé son Fils !

 

 

Vie de l’Eglise primitive

 

Les apôtres ont compris que l’Eglise était un lieu de paix pour les juifs et les non-juifs (Eph 2,11-22) : là où la haine et la violence les séparaient, le Messie Jésus rapproche et réconcilie dans sa personne les ennemis. C’est la réalisation de la prophétie de Michée (4,2) et d‘Esaïe (2,4) : un peuple nouveau transforme les épées en socs de charrue !

 

 

La fin à venir influence le présent

 

Même si le Royaume de Dieu n’est pas encore totalement accompli, l’espérance du monde à venir invite les chrétiens à être fidèles à Jésus, à vivre comme lui, comme signes du shalom ultime de Dieu dans ce monde.

 

 

En pratique

 

La non-violence de Jésus est à traduire dans de nombreux domaines par les chrétiens individuellement et en Eglise de manière communautaire :

 

  • respecter l’autre qui me parle plutôt que de l’interrompre

 

  • apprendre à dire mes limites et mon désaccord de manière non-agressive, mais ferme

 

  • chercher à élever les enfants sans les frapper violemment ou les terroriser

 

  • conduire ma voiture de manière à diminuer les risques de blesser ou de tuer

 

  • refuser de répondre par la vengeance quand on me fait du mal

 

  • favoriser les relations par delà les frontières nationales et s’opposer au nationalisme et au racisme

 

  • soutenir les efforts pour davantage de justice entre les pays et les peuples

 

  • proposer des moyens de résoudre les conflits de manière non-violente

 

  • favoriser la justice réparatrice plutôt que punitive

 

  • choisir un service civil au lieu du service militaire

 

  • ne pas travailler pour l’industrie de l’armement

 

  • militer pour limiter le trafic et la vente d’armements ou pour la conversion des usines d’armements

 

  • user de moyens fidèles à Jésus dans l’évangélisation, sans manipulation ni pression malsaine

 

  • etc…

 

On le voit, la tâche est infinie… Cela signifie simplement qu’il y a du « pain sur la planche » et que l’engagement de chacun et chacune compte. Mais avant tout, savons-nous que l’Eglise nous est donnée comme un lieu de paix, un moyen de s’engager pour la paix dans le monde, si elle est fidèle à sa vocation internationale ? Ce que nous affirmons en matière de comportement, nous avons à le vivre d’abord au sein de l’Eglise, dans les relations entre chrétiens.

 

Pour cela, nous avons besoin de la grâce de Dieu et de son Esprit pour nous rendre capables de marcher sur le chemin de la paix.

 

M.S.

 


Note

 

1. : Michel Sommer est rédacteur de « Christ seul », mensuel des Eglises Mennonites de France, et animateur théologique au Centre de Formation et de Rencontre du Bienenberg (CH). Il a fa.it ses études de théologie à la Faculté protestante de Genève et au Séminaire d’Elkhart (USA).

 

 

« Le peuple des régénérés possède un roi spirituel qui règne sur lui par le sceptre inaltérable de sa bouche, c’est-à-dire son esprit saint et sa parole. Il les revêt du vêtement de justice. Ils sont des enfants de paix qui ont converti leurs épées en charrues, leurs javelots en ébranchoirs et ne connaissent plus la guerre. Ils rendent à Dieu ce qui est à Dieu. leur épée est celle de l’esprit. » (Menno Simmons, 1496-1561).