Quelle attitude face à Israël

 drapeau-Israel

par Brad Dickson

 

 

 

Peu de questions sont aussi complexes et suscitent autant d’émotion et de débats que celle indiquée par notre titre. Puisque le terrain est miné, nous pourrions être tentés de bannir toute conviction et même d’éviter toute discussion. Mais nous sommes interpellés par les actualités et sollicités par des associations chrétiennes diverses nous parlant d’Israël.


De plus, face à près de 3000 références bibliques qui emploient le mot Israël, et suite aux événements renversants de la Shoah et de la création de l’Etat moderne d’Israël en 1948, il est impossible pour le lecteur biblique sérieux d’esquiver la question. Il nous faut une théologie d’Israël.


 

Le plus simple me paraît être de nous calquer sur l’exemple et les exhortations de Paul à l’Eglise de Rome. Il y avait dans cette Eglise des chrétiens d’origine gréco-païenne et d’origine juive. Cette diversité était source de difficultés sur le plan théologique (questions concernant le statut du peuple juif dans Romains chapitres 9 à 11) et sur le plan pratique (questions concernant le régime alimentaire et le calendrier liturgique dans les chapitres 14-15). Paul écrit notamment pour apaiser ces tensions.1

 

Relevons quelques mots-clés qui ressortent et qui peuvent nous aider à nous concentrer sur l’essentiel en ce qui concerne les attitudes à adopter face à Israël.

 

 

Profonde tristesse

 

Comme Paul, cultivons un souci particulier pour ce peuple qui a besoin de l’Evangile (Rm 9.2), leur seule espérance de salut. L’apôtre va jusqu’à dire qu’il préférerait être lui-même maudit si cela pouvait provoquer leur salut (9.3).

 

 

Prière

 

Paul prie pour qu’ils soient sauvés (Rm 10.1-3). Il ne pense pas, comme quelques-uns, que le peuple juif soit sauvé automatiquement par sa filiation à Abraham. Il sait également que la pratique sincère de sa religion ne suffit pas non plus. Les juifs, et les missions qui travaillent pour leur annoncer l’évangile, ont-ils une place sur notre liste de prière ? Sommes-nous informés des actions de ces dernières et de leurs besoins ?

 

 

Evangélisation

 

II y a urgence pour qu’ils entendent et qu’ils s’approprient l’Evangile. Comment croiront-ils s’ils n’ont pas entendu ? Et comment entendront-ils s’il n’y a personne pour le leur annoncer ? Et comment y aura-t-il des gens pour l’annoncer s’ils ne sont pas envoyés ? (Rm 10.9-15). Le contexte de ces versets montre que Paul pense particulièrement, mais pas exclusivement, à l’évangélisation des juifs. Même sa mission aux non-juifs avait comme but de rendre jaloux ses compatriotes et d’en conduire ainsi quelques-uns au salut (Rm 11.14).

 

 

Reconnaissance et humilité

 

Ne te mets pas à mépriser les branches coupées (Rm 11.18). Où serions-nous sans le peuple juif ? Ne pensons pas que nous, païens convertis, nous leur soyons supérieurs. Paul prévient que Dieu peut très bien délaisser son oeuvre parmi les nations pour se recentrer sur Israël. C’est une des leçons de l’image de l’olivier avec ses greffes successives décrites par Paul (Rm 11.16-24). Il est inconvenant pour un chrétien de penser ou de dire du mal des juifs à qui il doit tant. Nous sommes appelés au contraire à les bénir (Gn 12.3).

 

 

Israël et l’Eglise

 

Deux interprétations bibliques…

 

Bon nombre de croyants voient dans l’Eglise le prolongement et l’accomplissement même de l’alliance que Dieu a faite avec Abraham. Cela mettrait fin aux promesses de l’Ancien Testament concernant le pays d’Israël. Voici des versets souvent cités : Il n’y a plus ni Juif, ni Grec (Ga 3.28) ; Abraham, notre père à tous (Rm 4.16-17) ; Jésus… dans sa chair a annulé la loi… pour créer en sa personne, avec les deux un seul homme (Ep 2.15). Le peuple juif donc, ne conserverait aucun statut particulier et Dieu n’aurait qu’un objectif, l’Eglise.

 

Dans cette interprétation, les termes Israël et Eglise deviennent presque interchangeables. C’est probablement une position majoritaire dans la chrétienté depuis Augustin et un trait commun des réformateurs. Les détracteurs appellent cette approche « théologie de remplacement » (l’Eglise remplace Israël), mais on peut l’appeler plus positivement « théologie de l’alliance ». Certains de ces théologiens attendent néanmoins une conversion importants des juifs.

 

D’autres croyants, s’il voient aussi l’Eglise comme prolongement de l’alliance faite avec Abraham, ne la considèrent pas comme un accomplissement complet des prophéties. Ils pensent que le peuple juif conserverait un statut particulier de peuple élu, et une place centrale dans l’eschatologie biblique.

 

Parmi leurs versets préférés : Ce sera une alliance perpétuelle (Gn 17.7) ; Dieu a-t-il rejeté son peuple ? Certes non ! (Mc 11.1) ; les Israélites, à qui appartiennent (verbe au présent) l’adoption… (Mc 9.4) ; l’appel de Dieu est irrévocable (Mc 11.29). Ils attendent une conversion massive des juifs, et beaucoup un règne terrestre de Jésus-Christ pendant une période appelée le millénium qui aurait un fort caractère juif. Là, les promesses terrestres faites à Abraham et à son peuple s’accompliraient. On appelle cette interprétation le « prémillénarisme ».

 

 

Repentance

 

Car l’Eglise, dès les premiers siècles, a souvent méprisé, souvent persécuté les juifs. Du coup, notre témoignage auprès d’eux en subit les conséquences. Paul utilise des mots chocs pour éveiller des lecteurs juifs éventuels dans Rm 2.24 : à cause de vous, juifs, le nom de Dieu est outragé parmi les païens. Ne pourrait-il pas dire à la chrétienté aujourd’hui : « à cause de vous, chrétiens, le nom de Christ est outragé parmi les juifs ? »

 

 

Espérance

 

Luther, et les réformateurs de manière générale, n’ont pas trouvé dans Rm 9-11 de quoi espérer le salut des juifs. C’est ce que montre la citation suivante : « II est impossible de convertir ces enfants du diable, comme quelques-uns ont cru comprendre dans l’épître aux Romains2. » Pourtant, dans de nombreux versets de ces trois chapitres, Paul affirme que Dieu a encore un projet pour Israël (Rm 9.6; 11.1; 11.11-13; 11.24-31). Aujourd’hui, des commentateurs évangéliques réputés, dont Bruce3, et Samuel Bénétreau dans son excellent ouvrage4 comprennent que Paul s’attend à un réveil du peuple juif. Mais l’apôtre passe quasiment sous silence les circonstances et les contours de ce renouvellement.

 

 

Juifs et Israéliens

 

Au-delà des exhortations claires ci-dessus, qui visent notre attitude envers les juifs dans leur ensemble, une question épineuse reste à traiter. Quelle doit être notre attitude envers l’Etat moderne d’Israël et sa politique ?

 

Dans la Bible, nous pouvons constater que depuis le début, malgré l’amour très fort de Dieu pour Israël, il ne l’a pas toujours approuvé dans son comportement. Loin de là ! Son alliance avec lui comportait des exigences de justice et de fidélité, et il l’a souvent repris en paroles, par les prophètes, et en actes, par des événements comme les déportations. Nous devons, nous aussi, aimer le peuple juif, mais sans le confondre avec l’Etat israélien.

 

Encore une fois, l’attitude des apôtres peut nous servir d’exemple.

 

 

Une mission universelle

 

Au moment de l’ascension de notre Seigneur, les apôtres étaient très curieux de savoir à quel moment Jésus inaugurerait le royaume pour Israël (Ac 1.6). La question était brûlante, puisqu’Israël était sous domination ennemie de Rome. Au passage, notons que Jésus ne dit pas qu’il n’y aura pas de royaume pour Israël, ou que l’Eglise en est l’accomplissement.

 

La réponse de Jésus oriente les disciples vers un autre souci : ce n’est pas à vous de connaître le temps… mais vous serez mes témoins à Jérusalem… et jusqu’aux extrémités de la terre. Il leur demande de se préoccuper de l’évangélisation du monde entier. Faisons nôtres ces paroles encore valables pour aujourd’hui. Notre devoir premier est l’évangélisation de tous les hommes, même si nous gardons un souci particulier pour le peuple juif.

 

Dans les Actes et les Epîtres, nous ne voyons aucun exemple, ni aucune exhortation à une action politique qui viserait le soutien de la nation d’Israël, malgré la cruelle domination romaine dont elle souffrait et les nombreuses tentatives de révolte dont les apôtres étaient sans doute informés. Paul ramassait des fonds auprès de chrétiens grecs qu’il envoyait à Jérusalem, mais seulement pour aider des juifs convertis qui souffraient de la famine et de l’exclusion sociale liée aux persécutions (Ac 11.29 ; Rm 15.25,26). L’entraide, de manière générale, paraît être prioritairement, sans l’être exclusivement, pour les convertis (Ga 6.10).

 

La théologie de nos assemblées C.A.E.F a été fortement influencée au 19e siècle par Darby, qui a contribué à renouveler l’intérêt de l’Eglise pour la prophétie biblique et pour Israël. Plusieurs d’entre nous prennent pour perpétuelle la promesse faite à Abraham d’une terre pour son peuple (Gn 17.8), et voient dans la création quasi miraculeuse d’un Etat pour Israël en 1948 une manifestation de la fidélité de Dieu à sa promesse.

 

Tous ne seront pas d’accord sur ce point, qui ne doit pas être un sujet de division (voir l’encart ci-contre). Mais nous pouvons tous prier pour la paix de Jérusalem, selon l’exhortation du Psaume 122.6. Prions aussi qu’Israël cherche activement une solution paisible, miséricordieuse et généreuse pour les Palestiniens dont la souffrance est visible. Aucune interprétation d’une prophétie biblique aujourd’hui ne peut justifier une guerre « sainte » par qui que ce soit.

 

Jésus, le dernier et le plus grand des prophètes, nous a enseigné une meilleure voie, celle de l’amour du prochain. Dans la parabole offerte en réponse à la question : qui est mon prochain ? le Samaritain, voisin proche mais détesté des juifs, est loué pour sa bonne action, et le Lévite, représentant de la religion juive, est désapprouvé. Qui est le prochain d’Israël aujourd’hui ?

 

B.D.

 

 

L’étoile de David

 

cette étoile à 6 branches est devenue le symbole du judaïsme puis de l’Etat d’Israël. ce symbole, appelé parfois le « sceau de Salomon » n’apparaît en fait sur l’architecture juive que depuis le 3e siècle av. J.-C. (curieusement, sur certains bas-reliefs, elle n’a que 5 branches).

 

 


NOTES

 

1. Voir entre autres son introduction et sa conclusion : 1.16,17 et 15.5-13.

 

2. Citation de Luther dans le Commentaire sur l’épître aux Romains de Hodge (Editions Impact).

 

3. EE Bruce, L’épître aux Romains (Editions Sator/Farel note sur 11.26).

 

4. Epître de Paul aux Romains (Edit. Edid-fac, tome 2), p. 112-124.