Histoire des C.A.E.F.

 


Histoire des C.A.E.F. (3)

 vieille ville

 

par Jean-Pierre BORY

 

 

LES PREMIERES ASSEMBLÉES EN GRANDE-BRETAGNE

 

C’est en Irlande1 que naît au début du XIXème siècle à la même époque qu’en Suisse mais sans lien commun avec lui, un mouvement qui s’appellera rapidement « brethren2 », frères, et qui enverra des missionnaires dans le monde entier avant la fin du siècle.

 

Dès le tout début du XIXème siècle, au sein même de l’Eglise anglicane (l’Eglise Unie d’Angleterre et d’Irlande), de nombreux membres du clergé, pasteurs, diacres, évêques, s’interrogent et déplorent le manque de vie spirituelle de leurs ouailles. Les sociétés bibliques sont très actives, et ici ou là se créent des églises indépendantes.

 

Vers 1825, à Dublin en Irlande, quelques intellectuels chrétiens d’horizons différents ont l’habitude de se retrouver en semaine pour prier. Ils aspirent à plus de vie et d’unité dans l’église.

 

Ils seront à l’origine du mouvement des frères en Grande-Bretagne.

 

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LES PIONNIERS DE DUBLIN

 

Edward CRONIN est un jeune étudiant catholique. Pendant ses études pour devenir dentiste, il se convertit et s’intègre dans une église anglicane. Vers 1820, pour des raisons de santé, il s’établit à Dublin où, après avoir obtenu son doctorat, il ouvre un cabinet. Il est préoccupé par les divisions qui déchirent les églises et souhaite retrouver l’unité décrite dans le Nouveau Testament. Il entre en contact avec d’autres chrétiens qui partagent son souci de communion et de vie spirituelle véritables. Avec eux, il se retrouve de plus en plus souvent pour lire, méditer la Bible et prier. Le petit groupe grandit lentement dans les années qui suivent.

 

Il faut mentionner parmi ses membres un Anglais, Anthony Noms GROVES, né en 1795. Il est aussi dentiste ! A Plymouth, il avait rencontré plusieurs pasteurs de tendance évangélique ; à Exeter, une demoiselle, Miss Paget, elle-même sortie de l’église officielle, l’amène à une expérience religieuse profonde3. Il s’établit dans cette dernière ville et y ouvre un cabinet dentaire qui devient rapidement très lucratif. Peu de temps après il se marie, et devenu membre actif de son église, il décide avec sa femme de donner aux pauvres un dixième, puis un quart, puis davantage encore de ses revenus ; et enfin, en 1825, se sentant concerné par l’évangélisation, il entreprend à Dublin des études de théologie en vue de partir en mission.

 

Et c’est là que son chemin croise celui de Cronin : les deux jeunes hommes deviennent des amis et des collaborateurs pour la vie, en partageant le même amour pour le Seigneur et le même désir de le servir.

 

A Dublin, ils font aussi la rencontre d’un pasteur, homme de grande piété, John Gifford BELLET. Né aussi en 1795, juriste, Bellet est membre d’une famille bourgeoise ; toute sa famille est anglicane et très pratiquante, ses frères sont membres du clergé et sa soeur a épousé un pasteur. Dans les décennies qui suivent, il joue un grand rôle dans la formation et l’édification des jeunes assemblées.

 

Groves se prépare à être ordonné pasteur de l’Eglise anglicane, quand un missionnaire de passage lui demande si cette ordination lui est vraiment nécessaire pour la mission. Cette question le préoccupe. Et deux jours avant la date prévue pour son ultime séjour à Dublin, celui pendant lequel il doit y être ordonné, des voleurs pillent sa maison et emportent ses économies ! Groves y voit l’intervention de Dieu et renonce à l’ordination ! Mais la Church Missionary Society, avec laquelle il projette de partir, l’avertit qu’il ne pourra pas prêcher sans avoir été ordonné ; il est troublé, mais arrive à la conviction qu’il pourra tout de même servir le Seigneur en toute simplicité.

 

 

LES PREMIERES REUNIONS

 

Au petit groupe initial se joignent quelques autres amis ; ils se retrouvent maintenant régulièrement tous ensemble pour lire la Bible et s’entretenir de sujets spirituels. Cela se passe dans les années 1825 à 18274. Ne se sentant plus à l’aise, ni les uns ni les autres dans leurs églises respectives, ils décident de continuer de se réunir entre eux, et bientôt de prendre la Cène ensemble pour manifester plus intensément la communion qu’ils vivent. H.A. Ironside raconte que c’est en 1825, dans l’antichambre de son cabinet dentaire, que Cronin, avec un de ses amis qui allait partir pour Londres, avait pris pour la première fois la Cène5. Mais c’est, semble-t-il, un peu plus tard, peut-être sur la suggestion de M. PARNELL, que ces rencontres avec louanges et Cène deviennent régulières6.

 

Un autre petit groupe de chrétiens les rejoint en 1830 et la communauté se développe.

 

En 1829, Anthony Groves, Parnell et d’autres partent en mission à Bagdad, puis en Inde. Les épouses des deux premiers meurent en cours de route. Les épreuves furent nombreuses, mais ils poursuivirent fidèlement leur ministère missionnaire.

 

Dans les années qui suivent le départ de A.N. Groves en mission, Darby, qui a une forte personnalité, devient un des éléments moteurs du mouvement naissant. Vers 1830, il y a quelques cinq ou six petites assemblées en Irlande7. Le ministère de J.N. Darby a contribué à leur création.

 

 

J.N. DARBY

 

DarbyJohn Nelson DARBY, né le 18 novembre 1800, est fils d’un lord, riche propriétaire terrien irlandais et petit-fils de l’amiral Nelson, le vainqueur de Trafalgar. Il se destine à la carrière juridique et fait de solides études de droit dans une université de Dublin. Quand il manifeste le désir de devenir pasteur (prêtre dans l’Eglise anglicane), son père le déshérite, mais le jeune homme persiste dans sa vocation. Il devient diacre, puis est nommé en 1926 ministre du culte dans une paroisse de montagne en Irlande.

 

Dans sa jeunesse, il a été anglican zélé, et même fortement tenté par la théologie catholique, plus respectueuse de la personne du Christ que ne l’est la théologie protestante libérale. Il croit fermement à la succession apostolique, pratique régulièrement un jeûne sévère, mettant même sa santé en danger8.

 

Après un grave accident, il doit se rendre à Dublin pour sa convalescence. C’est là, en 1828, que toujours très préoccupé par les choses spirituelles, il entre en contact avec J.G. Bellet qui le présente à ses amis. Il fréquente occasionnellement la petite communauté. Cette année-là9 (certains disent un peu plus tard), il démissionne de sa cure mais sans quitter officiellement l’Eglise anglicane et sans devenir formellement membre des assemblées naissantes10 , car il souhaite pouvoir continuer de prêcher dans les églises anglicanes si l’occasion lui en est donnée. Après avoir quitté sa cure, il va vivre une année entière dans une chaumière de paysan, passant ses journées dans la prière et la méditation.

 

Selon Bellet, J.N. Darby est un homme qui, bien que ne payant pas de mine à première vue, se révèle vite érudit, brillant, excellent prédicateur et enseignant11 ; il est très doué pour les langues.

 

En 1828 déjà, il écrit une brochure qui a pour titre « De la nature et de l’unité de l’Eglise de Christ12 ». J.N. Darby est profondément peiné par les divisions, les ambitions rivales dans l’Eglise, les crises qui se résolvent trop souvent par des sécessions13.

 

Dès 1831, un mouvement de réveil se dessine en Irlande ; sur l’invitation de ses amis, il collabore avec eux dans la prédication itinérante. Son ministère infatigable contribue à faire connaître le mouvement dans d’autres villes14, et cela jusqu’en 1845.

 

Par ses dons remarquables, sa piété profonde, son zèle exemplaire et sa capacité de convaincre, Darby a été un de ceux qui, dans les débuts, ont le plus contribué à développer le mouvement des frères, d’abord en Irlande, puis en Angleterre, dans les décennies 30 et 40.

 

 

PLYMOUTH

 

A la même époque qu’en Irlande, de petits groupes similaires à ceux de Dublin commencent à se créer aussi en Angleterre. Benjamin Wills NEWTON fait partie de celui de Plymouth.

 

Newton est né en 1807 dans une famille quaker. Orphelin de père dès avant sa naissance, il est élevé dans un climat austère, et se révèle un très brillant étudiant dans de nombreuses disciplines. De conviction calviniste modérée, il se désole de constater que la plupart des personnes qu’il côtoie vivent « dans une torpeur spirituelle mortelle pour leur âme15 »

 

J.N. Darby a été son condisciple à Exeter Collège. C’est invité par Newton, devenu le principal responsable de l’assemblée de Plymouth, qu’il vient, en 1834, visiter le groupe de cette ville. Mais Darby décline l’invitation de s’y intégrer et d’y prendre une responsabilité, toutefois il y prêche régulièrement.

 

Les ministères de NEWTON et DARBY contribuent au développement de cette assemblée qui joua un rôle déterminant dans l’histoire des frères. Elle compte rapidement plus de 1000 membres.

 

A partir de 1834, HARRIS publie à Plymouth le périodique The Christian Witness (Le Témoignage Chrétien) et d’autres ouvrages qui font ainsi connaître le mouvement16.

 

Il y aura, dans les années qui viennent, de nombreux contacts entre le réveil de Genève et les assemblées naissantes britanniques : ainsi Newton et Wigram se rendent à Genève ; tandis que Malan et d’autres sont chaleureusement accueillis en Grande-Bretagne17.

 

 

BRISTOL

 

A Bristol, deux assemblées se développent bien sous l’impulsion de George MULLER et Henri CRAIK.

 

George MULLER était un jeune Allemand, étudiant en théologie fort mondain, jusqu’au jour où il passe par une réelle conversion. Se sentant appelé à évangéliser les Juifs, il se rend en Angleterre pour y terminer ses études. C’est là qu’il rencontra Henri CRAIK, lui-même ami de Groves. G. Müller, gagné aux convictions spirituelles de Craik, renonce alors à n’évangéliser que les Juifs et décide de s’établir avec Craik à Bristol. Au bout de peu de temps, Müller et Craik louent la chapelle de Béthesda qui devient le centre d’une communauté florissante. Müller épouse la soeur de Groves. En 1835, sensibilisé à la détresse des enfants abandonnés, il décide d’y ouvrir un orphelinat.

 

George Müller, avant de devenir le fondateur des orphelinats, connu pour sa foi extraordinaire, fut un évangéliste et un enseignant de la Bible. C’est lui qui, en étudiant les Ecritures, arriva à la conclusion que le baptême ne pouvait être administré qu’à des croyants, comme signe et témoignage de leur foi. Sur ce point, il s’opposa à J.N. Darby resté pédo-baptiste (quinze ans plus tard, les deux hommes se séparèrent). C’est aussi en lisant les Ecritures que G. Müller renonça à toute collecte et décida de s’attendre au secours de Dieu pour subvenir à ses propres besoins et à ceux de ses orphelins ; et nous savons comment Dieu honora sa foi.

 

Des communautés nouvelles se créent dans plusieurs autres villes d’Angleterre. La grande préoccupation de ces groupes est l’union et la communion avec tous les enfants de Dieu. On y lit la Bible, on l’étudie, on prie, puis on partage le repas du Seigneur.

 

Il faut noter en passant que les initiateurs de ce mouvement des frères sont des hommes jeunes, entre 25 et 35 ans, souvent issus de riches familles bourgeoises (tel M. Parnell qui hérita par la suite du titre de Lord Congleton). La plupart étaient des intellectuels, et avaient une solide formation théologique (comme en Suisse Romande), et surtout il s’agissait d’hommes d’une piété profonde. On peut citer encore Robert CHAPMAN (auteur de nombreux cantiques) ou Francis NEWMAN (jeune frère du prêtre anglican John Henry Newman qui, lui, se convertit au catholicisme et devint cardinal).

 

(à suivre)

 

J.-P. B.

 


NOTES

 

1. L’Irlande a été unie à l’Angleterre depuis l’Acte d’Union de 1800, et jusqu’en 1921.

 

2. Les membres de ces nouvelles communautés, dans leur ferme volonté de ne pas vouloir créer une nouvelle dénomination, refusent tout titre à leurs assemblées, et s’appellent simplement « frères », en veillant à ne pas mettre de majuscule à cette appellation !

 

3. H.H. Rowdon, The origins of The Brethren , p.38.

 

4. F.Roy Coad, A History of the Brethren Movement, p.l9ss. Cf aussi The Principles of the open Brethren (Glasgow : édité par Pickering & Inglis, sd), p.87ss. H.A. Ironside, A Historical sketch of the Brethren Movement, p. 12.

 

5. H.A. Ironside, op.cit., p.12.

 

6. II y a quelques hésitations sur la date précise où le groupe commence à prendre régulièrement la cène : F.Roy Coad, op.cit., p.28-29 propose 1828 (son ouvrage est le plus documenté). Dans The Principles of the open Brethren (p.89), on propose la date de 1827 ; H.A. Ironside suggère que les réunions sont devenues régulières entre 1825 et 1827. (op.cit., p.11-12) ; et P. Perret, (Nos églises dissidentes, p.22) propose 1825, date qui semble un peu élevée pour convenir, en regard des événements mentionnés dans les biographies de A.N. Groves.

 

7. H.A. Ironside, op.cit. p.22.

 

8. G. Nicole et R. Cuendet : Darbysme et Assemblées dissidentes, p.l9ss.

 

9. Harold H. Rowdon, op.cit., p.48. Cf aussi G. Nicole et R. Cuendet, op.cit., p.19-20.


10. H.H. Rowdon, op.cit., p.45.

 

11. H.A. Ironside, op.cit., p.15.

 

12. The Nature and Unity of the Church of Christ. Cette brochure révèle déjà les préoccupations de Darby bien avant qu’il ne quitte sa charge de prêtre anglican.

 

13. F.Roy Coad, op.cit., p 31.

 

14. The Principles of the open Brethren (Glasgow : édité par Pickering & Inglis, sd), p.89.

 

15. H.H. Rowdon, op.cit., p.62.

 

16. C’est de là que vint l’appellation « plymouthisme » par laquelle on désigna au XIXème s. le mouvement des assemblées, désignation d’ailleurs erronée puisque le premier rassemblement eut lieu à Genève pour le continent et à Dublin pour la Grande-Bretagne !. Le terme de « plymouthisme » désigna aussi les communautés qui adhérèrent aux convictions de Darby.

 

17. Marc Luthi, L’évolution des ministères dans les Assemblées Evangéliques de Suisse Romande issues du réveil du XIXe siècle, (Thèse de doctorat, Faculté de Théologie de Strasbourg, 1992, Tirage limité) p. 124.