Le Rwanda : pourquoi ? comment ?

 

Femme priante
 

 

par Esther BUCKENHAM1

 

 

 

Nous en avons beaucoup entendu parler. Il en est peut-être moins question maintenant – mais la souffrance est toujours là. Le Rwanda s’est détruit lui-même. L’année dernière – 1994 – il y a eu 10 séries de massacres, souvent à l’intérieur des églises et des hôpitaux, et ce furent souvent des enfants et des femmes qui furent massacrés.


Vous direz : « C’était un travail de sauvages, de gens non civilisés, de païens ». Hélas non ! C’était une guerre entre deux tribus chrétiennes !

 

Pays d’holocauste ou de bénédiction ?

 

Aujourd’hui en grande partie oublié, le réveil des années 1920 à 1930 au Rwanda a été une source de bénédiction pour un très grand nombre de chrétiens dans le monde entier. Ceci rend encore plus triste le fait que lorsqu’aujourd’hui le nom Rwanda est prononcé, on pense de suite à la violence, au génocide, à l’autodestruction atroce qui ont ravagé le pays. Comment expliquer ce terrible changement, qui fait qu’actuellement il y a entre 1 et 2 millions de sans-abri – que selon la Croix-Rouge il y a plus de 500 000 disparus – et que les organismes humanitaires donnent à manger à plus de 670 000 personnes chaque jour…

 

Jusqu’au XVe siècle, le Rwanda et son voisin le Burundi étaient le territoire de la tribu Hutu – un peuple agricole, calme, attaché à sa terre et à ses animaux. Une nouvelle ère commença avec une invasion de la tribu Tutsi venue d’Ethiopie. Les Tutsis étaient grands et agressifs, la cohabitation avec les Hutus s’est avérée difficile, des clans se sont formés.

 

En 1894, il y eut l’arrivée et la victoire des armées des Blancs, et le Rwanda est devenu une partie de l’Afrique de l’Est Allemande. Vingt-quatre années plus tard, l’Allemagne perdait la guerre, et le Rwanda fut pris en charge et administré par la Belgique. Les Belges utilisèrent les chefs Tutsis – grands et forts – pour imposer le pouvoir européen. Les Hutus eurent du mal à accepter cette domination Tutsi, et en 1959 une guerre éclata entre les deux tribus.

 

En 1962, l’indépendance du Rwanda est proclamée, et un président Hutu est élu – mais la paix reste précaire. En 1990 il y a de nouveau une invasion Tutsi – une guerre ouverte se déclenche entre les deux tribus. En 1994, l’avion transportant les présidents du Rwanda et du Burundi explose en plein vol : c’est le détonateur de la guerre civile qui ravage alors le pays… un pays où 80 % de la population se dit chrétien !

 

Le travail évangélique a commencé en 1921, alors que pour une très courte période le pays s’est trouvé sous le contrôle de la Grande-Bretagne – qui projeta la construction d’un chemin de fer, projet jamais réalisé. Deux noms sont à retenir : ceux des docteurs Glen Sharp et Stanley Smith, qui commencèrent une œuvre d’évangélisation sous les auspices de la « Church Missionary Society » de l’Eglise Anglicane.

 

Après seulement cinq années de travail, le réveil éclata, « avec, écrit Stephen Neil, les caractéristiques habituelles du réveil : un profond sentiment de péché – la confession de ses péchés – l’assurance du pardon – et un fort appel missionnaire ». La bénédiction, qui avait touché en premier lieu les missionnaires et leurs familles, s’étendit rapidement : au Rwanda, au Kenya, en Ouganda et au Tanganyika. Par la suite, les résultats inspirèrent des phénomènes semblables en Europe, et même en Inde.

 

Pour beaucoup de chrétiens dans le monde entier – surtout dans les milieux anglicans – le Rwanda était donc devenu synonyme de réveil, de bénédiction, de renouveau. L’évêque Festo Kivengère et le pasteur Roy Hession ne furent que deux parmi des centaines d’autres ministres de l’Evangile dont le service et le témoignage furent richement bénis. Pendant les années 50, plusieurs équipes ont sillonné le monde entier pour apporter le défi de la Croix – cette croix devant laquelle s’étaient retrouvés noirs et blancs ensemble dans l’humilité et dans l’attente de choses meilleures. A l’époque on disait que chaque homme au Rwanda était devenu un étudiant de la Bible…

 

 

Comment donc expliquer la suite ?

 

Nous sommes sans doute trop loin pour bien comprendre, ou pour essayer d’analyser, alors qu’aujourd’hui encore l’on estime à plus de 25 % le nombre de chrétiens évangéliques ou pentecôtistes au Rwanda. C’est vrai qu’il y a toujours un danger lorsque nous pensons être les « héritiers » d’une bénédiction. Il est nécessaire que chaque génération – chaque individu – soit touché, saisi, par l’Esprit de Dieu. C’est vrai aussi que toute bénédiction un peu « spectaculaire » est porteuse de lourdes responsabilités. C’est vrai encore qu’il y a la tentation – simple et subtile – de l’autosatisfaction. On est tenté de juger, ou de critiquer ceux qui ne passent pas par les mêmes expériences. C’est si facile ensuite de devenir rigide, légaliste, orgueilleux, voire arrogant.

 

En plus des données spirituelles, il faut prendre en compte la longue histoire de la lutte entre Hutus et Tutsis, débouchant sur les cinq semaines de folles tueries de 1994.

 

Pour les chrétiens, il y a le problème éthique : le Seigneur qui aime tous les hommes ne nous a-t-il pas commandé d’aimer nos ennemis, de faire du bien à ceux qui nous persécutent ? Le chrétien n’a donc pas le droit de s’impliquer dans des divisions et des querelles tribales. Cette conviction qu’il est obligatoire de placer l’obéissance à Christ au-dessus de l’obéissance aux partis, aux tribus, a rendu les chrétiens du Rwanda vulnérables à des attaques venant de deux directions différentes. Un envoyé du Service d’Entraide et de Liaison (le S.E.L.) raconte que « malgré la complexité de la situation, des chrétiens ont quelquefois accueilli dans leur maison, pour leur sauver la vie, des membres de l’autre tribu ; ce qui risquerait de leur coûter la vie si cela se savait… »

 

II y aurait certainement beaucoup d’histoires de courage et d’héroïsme à raconter. Dans la situation tragique actuelle de l’Après-guerre, il y a encore beaucoup de chrétiens au Rwanda. Beaucoup de missionnaires ont dû quitter le pays – et ceux qui restent travaillent souvent avec des organisations humanitaires. D’autres – tels Simon-Pierre Mugabo et Israël Havugimana de la Ligue pour la lecture de la Bible – ont perdu leur vie dans le conflit.

 

 

Que peut-on faire ?

 

Le n° 170 de La Bible dans le monde, publication de l’Alliance Biblique Française, nous apporte quelques réponses. L’Alliance Biblique Universelle a déjà imprimé et distribué 100 000 exemplaires des Psaumes dans les camps de réfugiés de Goma et de Bukaou au Zaïre, et de Benako et Rumase en Tanzanie – et elle a lancé début 1995 une opération visant à fournir un exemplaire de la Bible entière à chaque famille chrétienne. Et « avant tout, écrit Steven Downey dans son éditorial, les chrétiens doivent apporter leur contribution en fournissant de la nourriture et de l’aide médicale à ceux qui en ont besoin ».

 

Mais cela ne suffit pas ! « Les réfugiés, une fois le minimum vital assuré, continuent de demander la Bible. Pourquoi ? Parce que les privations matérielle ramènent à la surface les combats spirituels. » L’Alliance Biblique cherche, en réponse aux besoins, à récolter 2,6 millions de dollars au cours des trois prochaines années, pour fournir plus d’un million de Bibles au Rwanda.

 

Donner c’est bien – que ce soit pour la nourriture, pour les médicaments, pour les missionnaires – mais nous sommes appelés en premier lieu à prier. Dans les camps, les réfugiés ont de nombreuses heures libres pour prier, pour lire, pour méditer. Dieu n’a pas arrêté son œuvre en 1940, ou en 1994 ! Aujourd’hui encore il sauve, il parle, il transforme des vies. Prions – pour l’avenir du Rwanda, et pour le témoignage des chrétiens – un témoignage rendu dans des circonstances très difficiles. Nous savons que la demeure de Dieu est (encore) parmi les hommes.

 

E.B.


NOTE

 

1. : Rapport préparé sur la base de plusieurs articles parus dans la presse nationale, dans les publications de la Société Biblique et dans AWARE, revue évangélique de Grande-Bretagne.