La solidarité dans l’Eglise1

 culte

 

par Jean-Pierre BORY

 

 

 

La solidarité2  est dans toutes les bouches, dans tous les journaux, et au programme de tous les partis et syndicats. Mais ce ne sont pas les hommes qui en sont les premiers promoteurs.

 

 

A. Des exemples qui parlent

 

1. Dans l’Ancien Testament

 

a) Les tribus de Ruben et Gad : La solidarité n’a pas toujours caractérisé Israël : les Rubénites et les Gadites durent l’apprendre, eux qui pensaient s’épargner la traversée du Jourdain et laisser les autres tribus guerroyer en Canaan. Ils avaient projeté de s’installer sur les rives orientales du Jourdain ; mais ils comprirent bien vite leur devoir en écoutant Moïse ! Et voici ce qu’ils déclarèrent : « Nous construirons ici des enclos, dirent-ils,… puis nous nous équiperons en hâte pour marcher devant les Israélites… jusqu’à ce qu’ils aient pris possession chacun de leur héritage ».

 

Moïse leur confirma que ce n’était qu’à cette condition qu’ils « seraient quittes envers l’Eternel et envers Israël » (Nb 32.16ss). L’Eternel lui-même veillait à ce que tout Israël reste solidaire jusqu’à la fin de la conquête de Canaan. Et Canaan fut conquis.

 

b) Le bourg de Laïch : A l’inverse, le manque de solidarité perdit les habitants de Laïch (Juges 18). C’étaient de braves gens, de paisibles agriculteurs qui vivaient « tranquilles et confiants », isolés dans leurs collines : « Ils n’avaient de relations avec personne », « ils restaient éloignés des Sidoniens » avec qui, pourtant, ils avaient des activités et un mode de vie communs. Aussi, furent-ils une proie facile pour quelques Danites en mal d’héritage, ils n’étaient solidaires de personne, nul n’avait de souci ni d’intérêt pour eux. Et personne ne les secourut, ils furent tous massacrés et leur village brûlé.

 

2. Jésus-Christ et la solidarité

 

Jésus l’enseigna : Le Samaritain de la parabole a pratiqué la solidarité de façon exemplaire (Luc 10). En faveur du voyageur dépouillé sur la route, il s’est lui-même privé d’une partie de ses provisions de voyage, de son âne pour le trajet jusqu’à l’auberge et a payé de ses deniers les frais d’hôtellerie du blessé.


soupeJésus se considérait comme solidaire des malheureux (Mt 25.35-46). Souvenons-nous de ses propres paroles : lorsque vous avez rassasié un enfant miséreux, visité un prisonnier, accueilli un immigré, tout cela « c’est à moi que vous l’avez fait ».

 

Jésus a vécu la solidarité de la manière la plus absolue : il a déposé ses prérogatives divines pour prendre la condition d’un humble villageois confronté aux vicissitudes de la vie, une « condition d’esclave, une situation d’homme » (Ph 2.7-8). Son but était de devenir, « en tout, semblable » à ceux qu’il considérait comme ses frères, et cela jusque dans la mort, afin de les sauver (Hé 2.17-18). La solidarité de Jésus-Christ avec l’humanité est source de notre salut.

 

 

B. La solidarité dans l’Eglise

 

L’apôtre Paul emploie l’image du corps pour parler de la solidarité qui doit se vivre dans l’Eglise :

 

1. L’image du corps


a) Chaque membre a sa spécificité : II serait stupide de penser que tous les membres sont polyvalents et interchangeables ; peut-on voir avec les oreilles, peut-on entendre avec l’oeil (1 Co 12.16-17). Non, et cela implique les points suivants :

 

b) Chaque membre est indispensable : L’oeil ne peut longtemps se passer de la main, ni la tête des pieds (v. 21 ). Il suffit d’essayer, d’une seule main, de déboucher une bouteille de vin, de couper une tranche de pain, de beurrer une  tartine, pour se rendre compte qu’avoir deux mains est bien utile ! Même les membres les plus faibles sont nécessaires (v. 22).

 

c) Chaque membre est solidaire des autres : Les membres du corps doivent avoir le souci des autres et leur témoigner une égale sollicitude (v. 25) ; les pieds transporteront la tête (v. 21 ) ; les yeux et les oreilles renseigneront le reste du corps (v. 17-20) ; la souffrance de l’un touche les autres, le bien-être de l’un réconforte les autres (v. 26). Cette pluralité et cette complémentarité voulues de Dieu sont une des caractéristiques d’un corps (v. 20).

 

 

La « division » dans le corps est source de souffrance.

 


d) II faut une cohérence entre les membres : Leurs attaches doivent être solides, et leurs gestes bien coordonnés, harmonieux et enchaînés logiquement. Il n’y a rien de plus poignant que les mouvements spasmodiques d’un enfant handicapé, ses mains qui n’obéissent pas à sa volonté, et qui s’agitent sans jamais saisir le jouet désiré. La « division » (v. 25) dans le corps est source de souffrance parce qu’elle prive une partie des organes, du service indispensable des autres.

 

A quoi sert la main qui ne veut plus transcrire la pensée par l’écriture, qui ne veut plus porter la nourriture à la bouche ? Les autres membres souffrent parce qu’elle ne remplit pas son rôle ; ils souffrent de ses mouvements autonomes, désordonnés et non fonctionnels. Non seulement elle n’est plus d’aucune utilité au corps, mais elle est pénible à supporter.

 

2. La solidarité dans l’Eglise locale

 

La conclusion que Paul tire est simple : l’Eglise vit et fonctionne comme un corps humain (1Co 12.25); chacun de ses membres est utile, nécessaire, spécifique (v. 29 : penser que n’importe quel chrétien, pourvu qu’il soit bien disposé, puisse remplir n’importe quelle fonction, ou que la qualification vienne avec l’usage est une erreur ! N’est pas moniteur d’école du dimanche qui veut, pas plus qu’ancien, évangéliste, trésorier ou… pianiste).

 

poignee-mainLes membres sont complémentaires ; chaque chrétien doit remplir ses fonctions dans l’harmonie, avec le souci des autres (Ep 6.22 ; Ph 2.25-28), en coordonnant son action avec celle des autres en vue du développement, de l’édification (Rm 15.1 -2 ; 1 Co 10.24) et du bien-être de l’ensemble de l’Eglise (1 Co 14.12, 31 ).

 

Il ne s’agit pas, comme à Corinthe, de chercher à devenir chefs de file dans l’Eglise et à entraîner un groupe derrière soi (1 Co 3.3 ; 4.8) ; ni d’organiser des agapes coûteuses sans se préoccuper des chrétiens modestes qui ne peuvent pas payer leur part (1 Co 11.21-22). Ce sont des attitudes contraires à la solidarité. Quant à l’exercice des dons de parole, il fallut pour Corinthe, trois chapitres pour remettre les choses en place.

 

L’Eglise peut malheureusement se mutiler elle-même : un don n’est utile à l’ensemble de l’église… que s’il est exercé! (voyez l’exemple de Prisca et Aquilas : Rm16.3-4). Or recherche-t-on, encourage-t-on les capacités des jeunes chrétiens, ou celles de chrétiens pleins de maturité qui restent parfois inactifs dans nos assemblées ? L’Eglise souffre de cette privation, autant qu’un homme à qui l’on banderait les yeux. Mais en est-on vraiment convaincu ?

 

3. Une solidarité plus étendue

 

a) Quand Paul parle de solidarité dans l’Eglise, n’envisage-t-il que l’Eglise locale ?

 

Ep 4.4-5 : II y a un seul corps, un seul Esprit… Dans ce texte, ne souligne-t-il pas que l’Eglise dont il parle est UNIQUE, au même titre que l’Esprit-Saint, ou le seul Dieu et Père ? Ce que Paul dit du fonctionnement des membres, de leur nécessité, de  leur solidarité concerne toute l’Eglise-Corps de Christ.

 

Ep 4.11 : Y avait-il des apôtres dans chaque église locale ? Et à Ephèse en particulier ? (Actes 20 n’en dit rien en tout cas). Le verset 11 n’envisage-t-il pas encore une fois l’ensemble des églises locales : le corps de Christ ?

 

1 Co 12.13 : « Juifs, Grecs, esclaves, libres… nous avons TOUS été baptisés dans un seul Esprit pour former un seul corps » : il s’agit ici d’une claire allusion à  l’Eglise  universelle, qui est présente sur terre depuis la Pentecôte dans les diverses églises locales.

 

Toutes les églises du monde entier forment ensemble le Corps de Christ

 

Rm 12.5 : « Nous formons un seul corps en Christ. » Là encore, cette expression suggère plus qu’un groupe local de croyants.

 

Paul parle donc du type de relations qui doit exister à la fois ENTRE LES MEMBRES D’UNE EGLISE LOCALE, et aussi de la solidarité qui doit marquer L’ENSEMBLE DU CORPS DE L’EGLISE SUR LA TERRE, dans un pays, dans une région donnée, que ce soit dans l’empire romain au 1er siècle, en France aujourd’hui, ou plus largement dans le monde.

 

b) Royaume ou république ?

 

On ne trouve pas dans le Nouveau Testament de traces d’une fédération d’églises, d’une association ou d’une alliance des premières communautés. (Il y est bien question d’organisation, mais sur le plan local : nomination d’anciens, de diacres, leur prise en charge matérielle, les devoirs mutuels des membres et leurs privilèges : 1 Tm 3 ; 5.7 ; Tt 1 ; etc.).

 

C’est pour cela que l’on parle parfois de « L’INDEPENDANCE » de l’église locale. Ce terme peut-il légitimement s’appliquer à une église ? Selon le dictionnaire, indépendance signifie « situation d’une personne ou d’une collectivité qui n’est soumise à aucune autorité ». Mais Christ n’est-il pas le chef de l’Eglise (Ep1.22) ?

 

Dire: « Jésus est le Seigneur ! » c’est reconnaître qu’il a le droit de donner des ordres, des rôles et de coordonner les activités du peuple sur lequel il règne ; et il le fait (voir Ep 4.11-13 ; 1 Co 12.11 ). L’Eglise n’est ni une république, ni une démocratie (tant pis pour le bicentenaire), c’est un ROYAUME (Ap 1.6) ! Ça fait un peu rétro, mais c’est la réalité !

 

On parle aussi de « L’AUTONOMIE » de l’église locale. On la réclame pour son église ; et cela justifie parfois le fait d’aller son bonhomme de chemin sans être trop préoccupé des   problèmes des  autres   et encore moins des conseils  des autres. Or le dictionnaire définit l’AUTONOMIE comme la liberté de se gouverner par  ses  propres lois. Paul a imaginé ce que cela donnerait dans un corps  humain  si les membres décidaient d’être autonomes, d’agir selon leurs propres désirs : cet homme-là serait un monstre aux gestes incontrôlés (1 Co12.14-21). Or l’ensemble des églises locales forme UN CORPS (Rm12.5).

 

c) Un seul Seigneur et une loi commune

 

Les croyants sont soumis à une loi commune, celle que propose le Seigneur, et non celle de Paul, d’Apollos, de Pierre autrefois (1 Co 2), ou du frère Untel aujourd’hui (sinon bonjour les disputes). Cette loi de liberté, vécue dans l’amour, conduit à devenir serviteurs les uns des autres (Ga 5.13). Cette loi s’applique à l’Eglise entière.

 

Ne doit-on pas alors se poser quelques questions ?

 

1. Ai-je conscience, ici, dans ma communauté d’être membre d’un corps local ?

 

2. Ai-je conscience que ma communauté locale fait partie d’un Corps beaucoup plus large qui englobe de nombreuses autres communautés-soeurs ?

 

3. Ma communauté se sent-elle concernée par l’existence, le développement, les difficultés des autres assemblées de France ? ou d’autres églises évangéliques dans le monde ?

 

4. Cette prise de conscience conduit-elle à une véritable solidarité ?

 

 

C. La solidarité et l’interdépendance des premières communautés chrétiennes

 

4-mains– L’église de Jérusalem donne la première l’exemple dans ce domaine (Ac 13.22) ; elle apprend qu’un groupe de jeunes convertis se réunit à Antioche ; aussitôt elle délègue deux anciens pour aller les enseigner : elle se sent responsable de cette jeune communauté qu’elle suivra dans ses progrès (Ac 21.17ss).

 

– Le détail de l’enseignement que Paul et Barnabas délivrent à l’église Antioche (Ac11.13ss)  ne  nous est pas rapporté. Mais le premier fruit connu en est le souci qu’a cette jeune église pour d’autres églises : une collecte «pour les frères de la Judée » (1 Tm 5.8 et Ep 2.19). L’église  d’Antioche de Syrie se sent concernée par le besoin de celle de Jérusalem ; comme le furent plus tard celles de Macédoine, de  Corinthe et certainement de Galatie (1 Co 16.1ss) à l’égard des frères de Judée (2 Co 8-9).

 

– L’église d’Antioche va aussi se sentir concernée par les besoins spirituels du monde : elle enverra Barnabas et Paul en mission (Ac 13.2-3).

 

– Au retour de leur premier voyage, Paul et Barnabas organisent une réunion missionnaire pour donner des nouvelles de leur travail et des nouvelles églises : le sort  des nouvelles églises intéresse l’église d’Antioche (Ac 14.27) tout autant que les communautés de Phénicie et de Samarie (Ac 15.3).

 

– Un deuxième voyage missionnaire est organisé, puis un troisième, et dans chaque cas, le motif en est le souci de savoir où en sont les jeunes églises (Ac 15.36) et le désir de les affermir (Ac 18.23).

 

– La fameuse conférence de Jérusalem (Ac 15) a lieu à cause d’un désaccord théologique qui divise l’église d’Antioche. C’est le blocage complet car chacun reste sur ses positions. La situation va-t-elle pourrir sur place ? Non. On sait à Antioche que l’église n’est pas seule, qu’elle a de nombreuses églises-soeurs, et en particulier celle de Jérusalem, qui est en quelque sorte sa « mère spirituelle ». On forme une délégation pour y chercher aide et conseils spirituels, et même plus : demander quelle décision les frères de Jérusalem pensent qu’il faut appliquer à Antioche !

 

Les anciens d’Antioche étaient assez humbles pour cela (et pourtant parmi eux il y avait des gens aussi qualifiés, connus et expérimentés que Paul et Barnabas !). Ils en reviennent avec une lettre ; et ils sont même accompagnés de frères ayant autorité pour faire appliquer dans les églises d’Antioche, de Syrie et de Silicie les décisions prises à Jérusalem.

 

A Antioche, loin de se sentir humilié par ces frères venus d’ailleurs pour remettre de l’ordre, « on se réjouit de cet encouragement » ! Et les frères étrangers à l’église d’Antioche (Silas et Jude) se permettent encore de prononcer « de nombreux discours » dans une église qui n’est pas la leur !

 

Les églises du premier siècle étaient solidaires les unes des autres

 

Qu’on est loin d’une attitude d’indépendance ou d’autonomie locales ! Dès le début du livre des Actes, l’ensemble des églises formait un corps dont les membres coopéraient et se sentaient solidaires les uns des autres.

 

Et ce n’est pas tout :

 

– Tout au long des Actes et des Epîtres on constate le souci de Paul pour les églises : il s’en sent responsable comme de ses enfants. Il pleure à cause d’elles, il se réjouit, il envoie des messages : d’Ephèse en Macédoine, de Corinthe à Thessalonique, d’Ephèse à Corinthe, il envoie des formateurs en Crète, à Ephèse… Certaines lettres devaient être lues par plusieurs églises (établissement d’une conduite commune), et Paul donne des ordres précis à ce sujet (Col 4.16 ; Ga 1.2).

 

– L’attitude d’une église peut être la cause de la chute d’autres églises locales, membres du Corps universel de Christ (1 Co 10.32). Inversement, elle peut être un encouragement pour d’autres communautés (1 Th1.7; 2Th. 1.4), et même « pour le monde entier » (Ro 1.8).

 

Les églises, toutes ensemble, ne constituaient certes ni une fédération ni une association : mais les liens qui les attachaient les unes aux autres étaient probablement plus forts encore qu’un règlement associatif.

 

C’étaient des liens vivants : ceux qui lient entre eux des membres pour donner un CORPS qui vit et grandit sainement. Une solidarité spontanée, volontaire, qui se développait dans la joie.

 

Que sait-on aujourd’hui des autres assemblées qui se réunissent dans la même agglomération que la sienne ? A-t-on de la joie à retrouver les membres des communautés voisines dans une rencontre régionale ? Y participe-t-on seulement ? Se sent-on préoccupé par telle assemblée qui peine pour acheter un local indispensable à son développement ? Par telle autre qui cherche depuis longtemps un serviteur à plein temps qu’elle n’ose engager car ses moyens sont trop faibles actuellement ? Savons-nous si elles ont besoin de nos prières ? Où en est la librairie de X ? Le camp jeunes de juillet a-t-il besoin d’un cuisinier ? Et les assemblées du Tchad, de Roumanie… ?

 

Que nos assemblées soient un corps bien ordonné et cohérent qui tire son accroissement du Christ, et s’édifie dans l’amour !

 

J.-P. B.


NOTES

 

1. Notes des messages donnés à la Conférence Nationale des CAEF les 30 et 31 octobre 89.

 

2. Le mot SOLIDAIRE vient du latin solidus qui veut dire : tout d’une pièce, entier ; ferme, de confiance. La SOLIDARITE est une dépendance mutuelle des hommes entre eux ; elle est un sentiment qui les pousse à s’accorder une aide mutuelle parce qu’elle leur donne conscience que ce qui arrive à leur voisin, les touche aussi eux-mêmes.