Ces habitudes qui nous emprisonnent

 

 accroc

 

 

SYLVAIN REMOND MÉDECIN GÉNÉRALISTE À BELFORT,

ANCIEN DE L’EGLISE EVANGÉLIQUE ACTION BIBLIQUE DU PAYS DE MONTBÉLIARD

SylvainRemond

 

 

De toujours, l’homme décrit des comportements dépendants quelles que soient les cultures ou les générations. Mais depuis 1968, année symbole de revendications libertaires, ce phénomène est paradoxalement en constant essor, au point d’être aujourd’hui un pilier de notre société. Malgré cela, les dépendances restent ‘tabou’ rendant dépistage, traitement et surtout prévention compliqués.

 

 

 

Définition

 

Une définition explicite de la dépendance serait « l’obligation de satisfaire régulièrement un besoin nuisible ». Pourtant, nous remplissons nos journées de réflexions, de décisions et d’actions qui visent à satisfaire des besoins. Mais, si un besoin n’est pas néfaste en soit, il peut progressivement prendre une place essentielle. Voilà qui ouvre une réflexion inattendue sur les dépendances.

 

 

Sources multiples, diagnostic unique

 

Qui dit sources de dépendance dit légitimement drogues illégales comme la cocaïne, l’héroïne ou le cannabis : un français sur 5 de 17 ans en consomme au moins 10 fois par an… Mais d’autres substances légales sont aussi dangereuses : tabac, alcool (un français consomme en moyenne 32 bouteilles de Whisky par an) ou médicaments psychotropes : presque un quart des filles de 17 ans en absorbe régulièrement ! Pourtant, réduire les dépendances aux drogues chimiques est dangereux. En définissant la dépendance comme le fait de cultiver une habitude malsaine, les sources se révèlent là où nous les attendrions le moins. Un adolescent français passe en moyenne chaque jour une heure devant facebook®, 3h30 devant la télévision et joue 2h30 sur une console de jeu. Il passe au final 11 jours par mois devant le net.

 

Quelle que soit la source, trois signes confirment une dépendance : besoin à assouvir de manière irrépressible, survenue de problèmes dans la vie quotidienne et gravité croissante de ces problèmes. Autrement dit, un accro au boulot a le même statut qu’un accro à l’héroïne.

 

 

Deux versants d’un même problème

 

Bien qu’ayant un diagnostic commun, on peut distinguer deux versants différents aux dépendances.

 

La dépendance physique est le retentissement le plus spectaculaire. A titre d’exemple, deux prises d’héroïne rendent l’utilisateur dépendant. Ce phénomène est lié à deux cercles vicieux : « l’accoutumance » d’une part qui entraîne un accroissement de la « dose » en quantité et en fréquence pour ressentir le même sentiment de satisfaction, et le « sevrage », d’autre part, sensations néfastes que l’individu dépendant ressent en l’absence de satisfaction de son besoin.

 

La dépendance psychologique. Moins connue et souvent relativisée, elle n’en est pas moins dramatique. Ce piège mental réside dans la croyance que le besoin que l’on cherche à assouvir est indispensable pour se sentir bien. C’est un « shoot » psychologique.

 

 

Le circuit de la récompense

 

Ces deux versants de la dépendance possèdent un mécanisme d’action unique : le renforcement positif – le fameux « tant que je gagne, je joue… » – qui est sous-tendu chimiquement par le circuit de la dopamine. La dopamine est une substance naturelle qui joue un rôle majeur de stimulant dans notre cerveau. Lorsque la dopamine augmente, nous ressentons du plaisir et considérons que tout va bien, même si par ailleurs tout va mal. Inversement, le défaut de dopamine engendre un sentiment de stress qui contraint l’organisme dans le but unique de réalimenter le cerveau en dopamine. La dopamine est donc cette récompense que l’individu dépendant cherche à obtenir et qui entretient le comportement addictif.

 

 

Ces habitudes qui nous emprisonnent

 

tentationRevenons sur les trois étapes du chemin qui conduit à la dépendance. Initialement, nous satisfaisons un besoin ponctuel dans le temps et l’espace : c’est l’usage simple, un contrôle total de la réponse apportée à la suggestion. Mais si le besoin se multiplie dans le temps et dans l’espace, nous passons progressivement à l’usage nocif. Le besoin déborde sur notre mode de pensée et sur le mobile de nos actions. Imperceptiblement, la troisième étape est franchie : c’est la dépendance.

 

Mais où est donc la ligne rouge à ne pas franchir ? L’entrée dans une dépendance est liée à la répétition d’une habitude nuisible dans la durée. Évidemment, je pense à ces foules d’habitudes malsaines que nous tolérons dans nos vies qui, sans être des déviations majeures, nous entraînent sur la pente sournoise de la dépendance.

 

 

La politique des petits pas

 

Alors, comment passe-t- on d’une habitude à la dépendance ? Il est difficile de faire faire un pas de géant à quelqu’un, surtout s’il refuse ; toutefois, en lui faisant faire des pas de fourmi les uns après les autres, nous le faisons parvenir au même résultat et sans contrainte. Il en est de même pour une dépendance. Ce périple de compromis est à la fois très long, ce qui nous donne le temps de réagir et de corriger le tir, et en même temps très bref, car chaque étape succède à la précédente si naturellement, qu’il laisse peu de place à la réflexion !

 

 

Un déni suicidaire

 

Nous connaissons ces habitudes à risque, mais pour nous rassurer, deux excuses classiques servent à botter en touche une remise à plat de nos comportements. Primo : L’auto-justification. Défiant tout raisonnement logique, nous nous persuadons que la satisfaction de ce besoin est bénéfique. Deuxio : la relativisation. Si nous finissons par reconnaître que la satisfaction de ce besoin n’est pas bénéfique, nous insistons pour expliquer qu’au moins ce n’est pas si mal avec une foule de réponses toutes faites pour couper court à la discussion

 

 

La spirale du rejet

 

Dans la pratique, nous tombons toujours dans le même travers. D’abord, nous ressentons une envie systématique et difficilement contrôlable de répondre à un besoin. Nous consacrons toujours plus de temps, d’argent, de moyens, pour satisfaire notre besoin, au point de délaisser nos activités habituelles. S’ensuivent, des tentatives de restriction, des pseudo modérations ou des périodes d’abstinences insignifiantes pour tenter de nous prouver que nous gardons la maîtrise de la situation. En réalité, assouvir notre besoin n’est même plus agréable. Mais nous continuons parce que c’est plus fort que nous, même si cela nous cause des problèmes au travail, dans la famille, avec les amis. Finalement, cette habitude en apparence pas si dramatique a fait de nous son esclave (2P 2.19).

 

 

L’ « homo dependantis »

 

Dieu a créé l’homme intrinsèquement dépendant de son Créateur. Mais depuis son choix d’indépendance, l’homme souffre d’un vide qu’il essaye de combler en créant toutes sortes d’artifices. L’homme court après ce sentiment de bien-être où chaque nouveau pas doit être plus rapide, plus ambitieux, plus démesuré que le précédent. Mais tôt ou tard, c’est le « bad-trip ». La réponse espérée n’a pas été à la hauteur de l’attente, créant un ressenti morbide de désespoir.

 

 

Une lutte très (trop) dure

 

Finalement, la question n’est donc plus de savoir si l’homme est dépendant ou pas, mais de quoi il le sera. Or, l’épître aux Éphésiens affirme que « l’homme sans Dieu est sous la dépendance des passions qui habitent en lui » (Jr 13.23). Alors comment l’homme peut-il contrecarrer ce besoin inhérent de dépendance à ce qu’il y a de pire en lui si ce n’est en rétablissant avec son Créateur la communion brisée par le péché. Voilà qui nous éclaire sur les remèdes que l’homme peut trouver à ses dépendances personnelles ou à celles des personnes de son entourage.

 

 

Mon choix d’être libre

 

Considérons les versets 1 à 14 de Romains 6. Après le SAVOIR, c’est-àdire la connaissance de l’oeuvre de Christ, Paul nous encourage à COMPRENDRE ce que cela représente pour nous qui nous trouvons dans cette situation d’homme vendu à l’esclavage d’une dépendance. Puis à CROIRE que Christ peut nous mener à une vie nouvelle, et enfin, à NOUS CONSIDÉRER comme des êtres nouveaux sur lesquels le péché n’a plus d’emprise. (Rm 6.12-13) Sans négliger l’aspect médical, le moyen le plus prometteur de s’éloigner d’une dépendance se trouve paradoxalement dans l’intensité de notre dépendance envers Dieu.

 

 

Cinq points à ne pas oublier

 

L’instinct d’une personne dépendante est de penser que « c’est trop tard », ou que « Dieu ne pourra jamais pardonner cela ». Écoutons plutôt ces vérités bibliques :

 

•Dieu nous aime et il est sensible à notre état de dépendance.

 

•Dieu reste accessible malgré notre dépendance.

 

•Dieu ne se satisfait pas de notre situation de dépendance (1Jn 1.9).

 

•Dieu nous donne le dynamisme pour sortir de notre dépendance (Ph 2.13).

 

•Dieu nous a équipés pour triompher de l’esclavage d’une dépendance (2 P 1.3).

 

 

Cinq pistes à explorer

 

Si nous sommes en état de dépendance, la solution va se construire progressivement autour de cinq axes :

 

•Créer une relation de dépendance envers Dieu.

 

•Accepter la coupure, même si c’est difficile (Mt 5.29)

 

• Persévérer malgré la souffrance (Rm 5.4 ; Jn 15.10-11).

 

•Chercher de l’aide à l’extérieur (1 Th 5.11) (Ga 6.2).

 

• Établir un plan d’action réaliste.

 

 

Conclusion

 

Tout est permis mais… « je ne me laisserai asservir par quoi que ce soit » (1Co 6.12). Le mieux, dans le domaine des dépendances, c’est encore de ne jamais y entrer ! Veillons donc à cultiver des habitudes qui nous rapprocheront de Dieu, car « si le Christ nous a rendus libres, c’est pour que nous le restions et que nous jouissions de la vraie liberté qu’il nous a acquise. Donc tenez bon et n’allez pas vous replacer sous un joug. Refusez de vous laisser imposer les chaînes d’une nouvelle servitude. » (Ga 5.1)

 

S.R.