ilsappelaitnoel

 

Par Claude Mourlam

claude mourlam

 

Il s’appelait Noël. Étrange prénom pour cet enfant venu au monde en plein mois d’août. Il faut dire que son père avait quitté le foyer conjugal un 24 décembre pour aller chercher de l’or en Afrique. On n’avait plus jamais entendu parler de lui, à la grande joie de la mère, Marina, qui ne supportait plus sa brutalité et son ivrognerie.

 

Noël était l’enfant unique d’une mère qui l’aimait passionnément. Rien ne semblait assez beau à cette femme pour celui qu’elle appelait parfois “mon petit roi”. Un soir de Noël, dans un grand élan d’amour, elle lui avait affirmé que toutes les lumières de la ville brillaient en son honneur. C’était lui, Noël, qu’on fêtait dans les maisons, dans les rues, dans les boutiques (mais peut-être le croyait-elle vraiment).

 

Quant à lui, le petit roi, il souriait, ravi dès qu’il entendait crier autour de lui, “Joyeux Noël ! Joyeux Noël!” “Tu vois, disait la mère, tout le monde t’aime et pense à toi.”

 

Un matin, à l’école, Noël entendit parler d’un certain Jésus. C’était la première fois. Des camarades lui annoncèrent qu’on allait bientôt célébrer la naissance de ce personnage illustre. Et cela, un 24 décembre, le jour de sa fête à lui, à Noël ! On allait donc l’oublier, lui, le petit roi. On allait faire comme s’il n’existait pas.

Sa mère lui aurait-elle menti? Et qui était ce Monsieur Jésus?

Le soir, à la maison, il interrogea Marina qui hésita gênée. “C’est vrai, dit-elle, on fête aussi à Noël, la naissance d’un certain Jésus. J’ai oublié de t’en parler, je le connais si peu. Mais ne sois pas triste, on célèbre beaucoup plus Noël que Jésus. Disons que c’est votre fête à tous les deux.”

L’enfant s’en alla dans sa chambre, attristé par cette incroyable nouvelle. Il n’était donc pas le seul à être fêté le jour de sa fête. Pendant quelques jours, il s’enferma dans un silence hostile et buté. C’était pas juste, après tout, on ne disait pas “Joyeux Jésus” mais bien “Joyeux Noël”. Sa mère inquiète ne savait comment se faire pardonner.

 

Arriva le soir fatidique. Noël dit à sa maman : “Finalement, je voudrais bien connaître ce Jésus dont tout le monde parle. Invitons-le à dîner puisque c’est notre fête à tous les deux.”

“Mais tu n’y penses pas, répondit la mère, il n’a plus ton âge, tu vas t’ennuyer.”

“Je veux jouer avec lui, insista l’enfant têtu, on est toujours seuls toi et moi, personne ne vient jamais”. Marina qui ne pouvait rien refuser à son fils, surtout un soir pareil, s’arma de courage et partit à la recherche d’un vieux cousin célibataire que l’enfant ne connaissait pas. Bien que timide et renfrogné, ce brave homme ferait un excellent Jésus, le temps d’un apéritif ou d’une bûche glacée.

Dans la rue, des passants marchaient d’un pas vif et joyeux. Soudain, Marina aperçut un clochard assis paisiblement sur un banc. Il n’attendait rien, il ne demandait rien, il regardait. Un grand manteau usé lui donnait l’air d’un voyageur venu de loin. Il semblait propre et se tenait droit sur son banc enneigé. On aurait pu lui demander des nouvelles d’un siècle passé, tellement il paraissait hors du temps. Marina l’avait souvent croisé dans la ville. Que lui était-il arrivé pour qu’il se retrouve, ainsi, clochard et vieillard errant?

“Joyeux Noël !” dit-il à Marina qui s’arrêta interloquée devant le vieil homme.

 

Il ferait un bien meilleur Jésus que son cousin célibataire, pensa-t-elle, aussitôt.

“Voulez-vous passer un moment à la maison?” demanda- t-elle, surprise elle-même de son audace. “J’ai promis une visite à mon fils. Il s’appelle Noël et je vous appellerai Jésus. Ne cherchez pas à comprendre, il vous suffira d’être là.”

“C’est drôle, répondit le vieillard, en fait, je m’appelle aussi Noël mais les gens m’ont surnommé Jésus.” Il se leva et suivit Marina.

 

L’enfant attendait sagement en regardant un livre d’images. “Noël, je te présente Jésus,” dit la mère inquiète.

 

Ce fut une merveilleuse soirée. Le clochard avait tellement d’histoires à raconter. Cet ancien comédien avait perdu sa femme et ses deux filles dans un accident d’avion. Alors il avait sombré dans le désespoir. Il retrouva en cette nuit mystérieuse la joie d’enchanter et de faire rire aux éclats un enfant et sa mère. Minuit arriva. Jésus et Noël s’embrassèrent. Marina essuya une larme.

Quelques instants plus tard, le vieillard se leva, prit son manteau usé, se dirigea vers la porte et s’inclina.

“Tu t’appelles vraiment Jésus ?” demanda l’enfant

“Chaque fois que tu ouvriras la porte à un pauvre, il s’appellera Jésus” répondit le clochard avant de disparaître.

 

C.M.

 

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