Bioéthique et respect de la vie

 

Statut de l’embryon

 

Par Alain Lombet

Alain-Lombet

L’actualité législative française a remis au premier plan la question du statut de l’embryon. La loi autorisant la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires, votée le 16 juillet dernier, a été validée par le Conseil Constitutionnel le 1 er août 2013 et promulguée le 6 août 2013 1 . On est ainsi passé de l’interdiction de recherche avec dérogations 2 maintenue lors de la seconde révision des lois de bioéthique, à un régime d’autorisation de recherche encadrée.

 

 

Être humain ou chose ?

 

embryonPourquoi en France peut-on si facilement passer d’une interdiction à une autorisation d’utilisation de l’embryon ? La France, pays des Droits de l’Homme et du Citoyen depuis 1789, où « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits », ne s’est-elle pas dotée de lois protégeant l’homme avant sa naissance ? Qu’en est-il du statut de l’embryon dans notre pays ? Est-il reconnu comme une personne à part entière ou sinon, à partir de quel stade l’est-il ? Qu’en est-il chez nos voisins européens 3 ?

 

La loi française garantit le respect de tout être humain dès le commencement de la vie 4 , mais elle a dérogé à ce principe pour autoriser l’interruption volontaire de grossesse et l’utilisation de l’embryon pour la recherche. Cette ambiguïté vient du fait que l’embryon n’a pas de statut légal et l’on joue de ce flou législatif pour faire des compromis.

En Grande-Bretagne comme en Espagne, l’embryon est respecté dès le 14 e jour. Avant, le préembryon n’a pas de reconnaissance existentielle, ce qui autorise de fait presque toutes les expérimentations avant 14 jours. Par contre, l’Allemagne reconnaît l’embryon comme une personne dès sa conception et n’autorise donc aucune expérimentation. En France, on s’accommode de ce non- statut pour louvoyer entre les extrêmes.

 

Le statut à donner à l’embryon durant ses premiers jours, ou semaines, est une question débattue depuis des siècles. De tout temps, elle a mobilisé prêtres et savants, pouvoirs temporels et spirituels, juristes et philosophes. Cette inter- rogation n’est pas le propre de la civilisation occidentale. On trouve trace de la même question – la même énigme – aussi bien au Proche-Orient qu’en Asie ou en Afrique. D’innombrables traités (Aristote, Descartes, etc.) ont été écrits sur ce sujet. L’embryon est-il une simple chose ? Alors, il est difficile de comprendre comment cette chose porte en elle toutes les potentialités d’un être humain, car « l’œuf est riche de tout l’avenir de l’organisme et contient tout en puissance, même la destinée de l’espèce 5 ». Ce « grumeau de cellules qui hier n’était pas 6 » serait-il alors une personne méritant le statut ontologique d’être humain ?

 

Pour user d’une terminologie ancienne, la question revient à se demander si l’embryon a une âme. Et, si oui, à partir de quel stade de son développement ? Interrogation très ancienne, en effet, et irrésolue au cours des siècles.

 

 

Humanité et enjeux économiques

 

Dès l’origine, ce débat sur le statut de l’embryon fut jugé d’autant plus important qu’il induisait une certaine idée de l’homme lui-même. Il avait été mis entre parenthèses lorsque les sociétés occidentales, dans leur majorité, renoncèrent à pénaliser l’interruption volontaire de grossesse. Aujourd’hui, le statut de l’embryon redevient une immense question à cause du souhait de l’utiliser comme objet de recherche.

 

Deux occurrences particulières, liées aux progrès de la biogénétique, expliquent ce retour fracassant. D’abord, le problème des embryons dits surnuméraires lié au développement de la procréation médicalement assistée (PMA), et la seconde : celle des expérimentations éventuelles, de la recherche scientifique, voire de l’instrumentalisation biogénétique sur (et de) ces embryons.

 

La recherche scientifique et la bio- technologie ont ramené ce dilemme sur le devant de la scène comme nous l’avons vu ces derniers mois. Il est débattu aujourd’hui dans un climat d’urgence juridique, politique et aussi industrielle, qui ne favorise pas la sérénité.

 

Comment justifier, en effet, que l’on protège un embryon de quelques jours en refusant qu’il fasse l’objet de recherches ou d’expériences, alors même que l’on consent à ce qu’un fœtus de plu- sieurs semaines soit éliminé dans le cadre de l’IVG ? La recherche sur l’embryon reviendrait-elle à instrumentaliser ce dernier d’une façon plus délibérée, plus systématique et plus scandaleuse que si l’on se contente de « l’éliminer » ? Certains argumentent à partir de ce distinguo. D’autres – et notamment l’Église – y voient une hypocrisie inacceptable. Entre des positions symétriques aussi opposées, c’est peu de dire que la réflexion contemporaine et les juristes cherchent désespérément une voie raisonnable qui n’entraverait pas la recherche scientifique tout en respectant le principe d’humanité 7 .

 

La science n’est pas armée pour apporter des définitions ou fixer des « seuils » qui ne relèvent pas d’observation. On a toujours tort de confondre le « descriptif » et le « prescriptif ». Un biologiste agnostique aussi averti que René Frydman le reconnaît : « L’être de l’embryon, écrit-il, n’appartient pas à la biologie : elle ne peut que le décrire, car il est, fondamentalement, de l’ordre de la métaphysique 8 . »

 

Au sujet de l’embryon, les progrès technoscientifiques – et les réformes juridiques qui les accompagnent – ont débouché sur une contradiction objective trop rarement évoquée. D’un côté, par mille chemins, la science et le droit nous ont conduits vers une personnification sans cesse plus avancée du fœtus. À l’opposé, le droit à l’avortement, considéré comme un acquis dans la plupart des pays développés, et main- tenant la volonté de recherche sur l’embryon font de ce dernier un objet à la disposition de la mère dans un cas, de la science dans l’autre. La contradiction est donc totale, insurmontable. Sauf à ruser avec le langage.

 

C’est le plus souvent ce qu’on fait. « Analysant le discours des divers praticiens, écrit Michèle Fellous, il est paradoxal de constater que, selon la recherche poursuivie, le fœtus est qualifié de personne humaine ou que ce statut lui est dénié. […] Certaines techniques induisent une personnification du fœtus tandis que d’autres le déshumanisent. » 9 C’est ainsi qu’est apparue la notion sémantique de préembryon dénué d’humanité.

 

 

Choisir le respect de la vie

 

L’énigme de l’embryon n’est pas résolue, tant s’en faut. Aujourd’hui comme hier, elle renvoie chacun de nous à l’écrasante responsabilité du choix. Écrasante, en effet. L’Histoire nous enseigne que le statut qu’on accorde à l’embryon reflète celui que l’on concède à l’homme. L’embryon transformé en chose ? Ce ne serait pas de bon augure. « Si l’être humain ne respecte pas son œuf, il ne respecte pas l’humanité qui est dans l’œuf et, si on ne respecte pas l’humain qui est dans l’œuf ou le cadavre, on va vers la barbarie 10 », dit Jacques Testart.

 

Si les hommes n’ont pas réussi à statuer sur l’embryon, tournons-nous vers Celui qui nous a créés à son image et faisons le choix qu’il agrée en respectant l’autre dès sa conception :

 

Toi qui as formé mes reins,

Qui m’as tenu caché dans le sein de ma mère.

Je te célèbre ; car je suis une créature merveilleuse. …

Mon corps n’était pas caché devant toi,

Lorsque j’ai été fait en secret,

Tissé dans les profondeurs de la terre.

Quand je n’étais qu’une masse informe (un embryon), tes yeux me voyaient ;

Et sur ton livre étaient tous inscrits Les jours qui étaient fixés,

Avant qu’aucun d’eux (n’existe).

Que tes pensées, ô Dieu, me semblent impénétrables !

Que la somme en est grande ! 11

 

A.L.

 

 


NOTES

 

1. Loi n° 2013-715 du 6 août 2013 tendant à modifier la loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011 rela- tive à la bioéthique en autorisant sous certaines conditions la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires

 

2. Article 41 de la Loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique

 

3. http://fr.myeurop.info/2013/07/19/recherche-sur-l-e mbryon-le-grand- cart-europ-en-11626

 

4. Loi n° 75-17 du 17 janvier 1975 relative à l’interruption volontaire de la grossesse et Loi n° 94-653 du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain

 

5. Étienne Wolf, article « Embryologie » de l’Encyclopaedia Universalis, éd. 1989, cité par René Frydman, Dieu, la médecine et l’embryon, Eds. Odile Jacob, 1999.

 

6. France Quéré, L’éthique et la vie, Eds. Odile Jacob , 1991, 336 p

 

7. Jean-Claude Guillebaud, Le principe d’humanité , Eds. Seuil, 2001, 379 p

 

8. Pr René Frydman, Dieu, la médecine et l’embryon, Eds. Odile Jacob, 1999, 353 p

 

9. Cité par Michèle FeIlous, « Échographie, fœtus, per sonne », in Simone Novaes (dir.), Biomédecine et Devenir de la personne, Eds. Seuil, 1991.

 

10. Jacques Testart, Le désir du gène , Eds. François Bourin, 1992

 

11. Psaume 139.13-17 (BC)