Toi, suis-moi !

 

 

 traces

 

Par FRANÇOIS-JEAN MARTIN

François-Jean Martinsuis-moivoici l’interpellation bien connue de Jésus à ses disciples, que l’on trouve dans les évangiles1. C’est en ce vécu de suivre le Christ que réside le sens d’être son disciple2.

 

Depuis deux mille ans retentit toujours cet appel. Il est adressé à chaque chrétien lors de sa conversion. En effet, le terme que le Nouveau Testament emploie pour parler du chrétien est le mot disciple, et cela 352 fois, alors qu’on ne trouve que trois fois le terme chrétien avec le mot grec « christianos » (Ac 11.26 ; 26.28 ; 1 P 4.16). Un chrétien est donc avant tout un disciple du Christ Jésus.

 

 

 

 

Marcher à la suite du maître

 

À l’époque du Christ, le maître enseignait ses disciples tout en marchant, ceux-ci le suivaient, marchaient derrière lui, vivaient avec lui. On retrouve, pour le terme disciple, le sens des mots utilisés que nous avons soulignés dans l’étude du vocabulaire employé par le Nouveau Testament. Ainsi les disciples ne s’imprégnaient pas que de ses paroles, mais aussi de ses actes, de l’exemple de sa vie. On a continué à vivre ainsi la formation, dans le cadre juif, le rabbin ayant souvent des élèves chez lui pendant des années. On retrouve un peu cela dans la culture universitaire britannique.

 

Cette vie commune introduit de nombreux temps en tête-à-tête, de coeur à coeur. Aujourd’hui, c’est par la lecture journalière de la Bible, Parole de Dieu, par son étude, par la prière, par la louange, par les rencontres d’Église que nous pouvons vivre cette formation de notre être qu’est ce coeur à coeur avec Jésus. Cela forme en nous la stature accomplie du Christ (Ép 4.13). Dans ce sens, nous soulignons au passage non seulement l’importance d’une spiritualité personnelle individuelle, mais aussi d’une spiritualité personnelle communautaire. Ces derniers termes peuvent paraître contradictoires, mais ils ne le sont pas. Nous n’avons pas tous les dons, aussi nous avons besoin de ceux des autres. Ma spiritualité personnelle a besoin des autres et tout particulièrement de ceux de ma communauté pour croître et s’épanouir (Ép 4.1, 11-16). J’ai besoin de marcher en compagnie de mes frères et soeurs à la suite du Christ.

 

 

La « suivance » du Christ

 

L’origine et les conséquences

 

Le mot « suivance »3 est un barbarisme qui a le mérite d’être explicatif. Il provient d’un terme allemand : « Nachfolge », titre d’un livre du théologien Dietrich BONHOEFFER (1906-1945) qui a été intitulé tout autrement en français, à savoir : « Le Prix de la grâce »4, car l’auteur développe ce thème dès le début, mais il montre par là la nécessité de suivre le Christ jusqu’au bout et, dans son cas, jusqu’à la mort5.

 

Car c’est un appel qui engage. L’exemple des disciples que Jésus appelle en est un exemple fort et cet engagement comporte une part de souffrance à l’image du maître (Mt 10.38, 16.24 et parallèles). Cela est souligné par Pierre en 1 P 2.21. Ainsi, il ne s’agit pas d’une interpellation anodine, mais d’un engagement à vie et qui concerne toutes les sphères de notre existence.

 

Un exemple du Nouveau Testament : Pierre

 

À deux reprises, Pierre a entendu l’appel : Suis-moi. Ce fut la première et la dernière parole adressées par Jésus à son disciple, alors que celui-ci exerçait son métier de pêcheur. Entre les deux situations, il y a toute une vie de disciple, avec au centre la confession de foi de Pierre rapportée en Mt 16.16 : Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant et l’obéissance à l’appel. Appel de grâce, appel gratuit, don offert par Jésus, mais grâce qui coûte à Pierre l’abandon de sa vie antérieure, bien des larmes de repentance, et qui va le conduire à conformer sa vie à celle du Christ jusqu’à l’obéissance finale, l’ultime communion, celle du martyre.

 

Un exemple dans l’histoire de l’Église : Dietrich Bonhoeffer

 

Un homme de la Parole, un homme qui s’en remettait à Dieu dans la confiance et l’espérance, dans la foi et la fidélité. Quelques mois avant d’être mis à mort par la haine de ses bourreaux nazis, il écrit dans une lettre à son ami E. Bethge (21 juillet 1944) : « Quand on a renoncé complètement à devenir quelqu’un – un saint, ou un pécheur converti, ou un homme d’Église, un juste ou un injuste, un malade ou un bien-portant – afin de vivre dans la multitude des tâches, des questions, des succès et des insuccès, des expériences et des perplexités – et c’est cela que j’appelle vivre dans le monde –, alors, on se met pleinement entre les mains de Dieu… c’est ainsi qu’on devient un homme, un chrétien. »

 

Comme cette dernière lettre, son livre Le Prix de la Grâce s’achève sur la nécessité d’imiter le Christ dans la souffrance et dans la mort. Or, ce fut ce thème de l’obéissance du disciple, quoi qu’il en coûte (Lc 9.57-62), qu’il expliqua en 1935 aux premiers candidats du séminaire de Finkenwalde qu’il dirigea dans le cadre d’une vie communautaire. Il y donna l’exemple en faisant les tâches de service les plus humbles et que les étudiants refusaient, les tenant pour indignes. Pour eux, Bonhoeffer approfondit sa méditation sur la condition de disciple, il en fit le centre de ses cours. Quand la Gestapo mit les scellés sur le séminaire, il n’avait plus qu’un dernier acte à connaître, il n’avait plus qu’à entrer dans la mort.

 

L’appel s’adresse à tous

 

disciplesEt la question se pose pleinement à tous aujourd’hui, non pas sous forme de recettes, de trucs à faire ou ne pas faire le dimanche matin, mais comme principe de vie pour tout instant. Notre foi  est fondée sur l’Évangile dont le but est l’obéissance en paroles et en actes (Rm 15.16-18). L’écoute est liée à l’obéissance concrète, c’est-à-dire à la mise en pratique. Notre génération écoute dans les meilleurs cas, mais elle ne veut pas passer par la porte d’accès à la grâce : l’obéissance. Jésus-Christ, lui, en a payé le prix en se rendant obéissant jusqu’à la mort sur la croix.

 

Dans son épître aux Romains, Paul conclut, après avoir développé le thème de la grâce gratuite, mais qui n’est pas bon marché et qui entraîne l’obéissance : Donc (à cause de ce qui précède) je vous exhorte, frères et soeurs, à cause de la bonté que Dieu vous a témoignée, de lui consacrer votre être entier ; que votre corps, vos forces et toutes vos facultés soient mis à sa disposition comme une offrande vivante, sainte et digne d’être acceptée. Ainsi toute votre vie servira Dieu. C’est là le culte nouveau qui a un sens, un culte logique, conforme à ce que la raison vous demande. Ne vous coulez pas simplement dans le moule de tout le monde.6

 

Si nous, chrétiens, ne prenons pas conscience du besoin d’être conséquents vis-à-vis de notre foi, si nous n’entrons pas dans le prix obligatoire qu’est l’obéissance, alors nous serons une Église orthodoxe, avec la seule doctrine de la grâce, et non plus une Église fidèle – Dietrich dirait une Église confessante, nous dirions une Église de professants. Que Dieu aide chacun à vivre en disciple de nos jours, tous les jours, tout le jour et ensemble.

 

F-J.M.

 

Un peu de vocabulaire

 

Les différents termes employés et qui ont été traduits par disciple soulignent les différentes facettes du disciple :

 

• celui qu’on enseigne, avec le mot grec « mathètes » (261 emplois dont 243 concernent les disciples de Jésus) et ses dérivés « mathèteuô » (4 emplois pour les disciples du Christ), « mathètria » (1 emploi pour les disciples du Christ) et « sym-mathètes » (1 emploi pour les disciples du Christ)

 

• adepte, qui appartient, qui est avec, avec le mot grec « eimi » 3 emplois pour les disciples de Jésus (en Lc 23.55, Ac 9.2, 1 Co 3.22)

 

• partisan qui suit, qui vient après, qui accompagne quelqu’un, avec le mot grec « erchomai » (1 emploi pour les disciples du Christ en Ac 1.21)

 

• on trouve aussi le terme : obéir, dans le sens de suivre, avec le mot grec « acoloutheô » (91 emplois mais s’il s’agit toujours de suivre Jésus ; il n’est pas toujours question des disciples de Jésus, il s’agit parfois de foules ou du jeune homme riche) et dans le sens d’aller à la suite de, de marcher à la suite de, avec le mot grec « opisô » 8 emplois pour les disciples de Jésus (Lc 14.27)

 

• on notera aussi un emploi de fils avec le mot grec « huios », mais il s’agit de fils des juifs, participant, adepte (2 emplois Mt 12.27, Lc 11.19).

 

 


 NOTES

 

1. (Mt 8.22, 9.9, 19.21, Mc 2.14, 10.21, Lc 5.27, 9.59, 18.22, Jn 1.43, 21.19, 22).

 

2. On se reportera avec profit à l’encart sur le vocabulaire qui est employé dans le Nouveau Testament pour le mot disciple.

 

3. Nous retrouvons là encore un des sens des termes employés pour le mot disciple.

 

4. Comment ne pas reconnaître la lumière qu’ont apportée pour moi ce livre et l’exemple de vie de son auteur, donc je recommande vivement la lecture de cet ouvrage de qualité.

 

5. On se reportera avec profit aux deux articles du même auteur, précédemment sortis dans cette revue La grâce est gratuite mais n’est pas bon marché, novembre 2001 ; Dietrich Bonhoeffer : un flambeau dans les ténèbres, mai 2001.

 

6. Rm 12.1-2, Parole Vivante, transcription d’Alfred Kuen