Les ouvriers dans la vigne

 

(Mt 20.1-16)

 

 fruit-disciple

 

Par Alain Kitt

 

C’est injuste ! Si on devait appliquer de tels principes dans le monde du travail, ce serait la faillite assurée pour les entreprises. En effet, on voit mal comment un chef d’entreprise pourrait se permettre d’accorder exactement le même salaire à tous ses employés, sans tenir compte du nombre d’heures que chacun aurait accomplies. Et même si un patron s’aventurait à agir de cette façon, il n’est pas trop difficile d’imaginer la réaction des employés. Est-ce le propos du Seigneur en racontant cette parabole ?

 

 

A-t-il voulu poser les principes que doit suivre un employeur chrétien en matière de rémunération ? Bien sûr que non ! Il n’empêche que ce récit peut laisser perplexe: nous sommes habitués à l’idée que le salaire doit refléter la qualité et la quantité du travail fourni. D’ailleurs, la Bible ne contredit pas cette corrélation (Voir par exemple Rm 4.4 et 1 Tm 5.18).

 

Pour essayer de rendre la parabole moins déconcertante, certains ont cherché du mérite chez les ouvriers de la dernière heure. Il y aurait eu urgence, de sorte que la participation des derniers venus aurait été absolument essentielle ; ou peut-être avaient-ils travaillé tellement mieux que les autres, qu’un salaire identique était justifié ? ou alors le maître les récompensa-t-il pour le fait qu’ils étaient venus travailler sans recevoir au préalable l’assurance d’un salaire, tandis que les premiers auraient négocié un contrat dans un esprit mercenaire ?

 

Aucune de ces trois explications ne reçoit de soutien dans le texte lui-même, et nous devons chercher la raison du comportement surprenant de ce maître de maison ailleurs que dans un mérite supposé des ouvriers de la dernière heure.

 

 

LE MAITRE

 

Commençons avec lui: qu’est-ce que le récit nous apprend au sujet de cet homme?

 

C’est un homme riche, « maître de maison », mais aussi propriétaire de terres importantes, avec une vigne assez étendue pour donner du travail à plusieurs ouvriers (dix au moins, probablement plus).

 

C’est un homme juste: en se mettant d’accord avec les premiers ouvriers pour la somme d’un denier par jour, il fait ce qui est juste: c’est le salaire normal pour un ouvrier agricole.

 

Il se soucie du bien-être des hommes, y compris des « laissés pour compte », ceux qui sont toujours là sur la place à cinq heures du soir parce que personne ne les a embauchés. Le maître n’a rien à gagner en les embauchant à une heure aussi tardive.

 

C’est un homme généreux: voilà le trait principal de son caractère qui va ressortir du dénouement surprenant du récit. Rien ne l’oblige à donner un denier entier à ceux qui n’ont travaillé qu’une partie de la journée. Sa générosité va même lui attirer des ennuis, avec les propos désobligeants et irrespectueux des ouvriers mécontents.

 

 

LES OUVRIERS

 

Laissons momentanément de côté le maître, pour nous intéresser aux ouvriers :

 

Les premiers: on ne peut pas les accuser d’avoir une mauvaise attitude dès le début de la journée. Le contrat conclu avec le maître (v.2) est tout à fait normal.

 

Les trois groupes suivants (v.3-5) n’ont pas de contrat, seulement la promesse du maître: « Je vous donnerai ce qui sera juste ».

 

Les derniers sont simplement invités à aller travailler dans la vigne (v.7): aucun contrat, aucune promesse. On peut se demander pourquoi ils sont restés oisifs toute la journée, mais la réponse qu’ils donnent à la question du maître indique que ce ne sont pas des chômeurs volontaires; ils ont bien envie de travailler, mais personne ne les a embauchés.

 

 

LA REMISE DU SALAIRE

 

Considérons maintenant ce qui se passe à la fin de la journée.

 

Première surprise : le maître ordonne à son intendant de payer d’abord le salaire des ouvriers venus en dernier. On peut trouver deux raisons à cela :

 

Jésus a raconté cette parabole pour illustrer le principe énoncé à la fin du chapitre précédent: Plusieurs des premiers seront les derniers et plusieurs des derniers seront les premiers, principe qui sera rappelé dans l’ordre inverse à la fin de la parabole.

 

Pour la suite du récit, il fallait que les ouvriers de la première heure voient la générosité du maître envers ceux de la dernière heure.

 

Deuxième surprise : les ouvriers de la dernière heure reçoivent chacun un denier, autant que s’ils avaient travaillé toute la journée. Ils ne s’y attendaient certainement pas !

 

Troisième surprise : les premiers ouvriers, voyant la générosité du maître, s’attendent à recevoir plus. Mais non, eux aussi reçoivent un denier. C’est à leur déception et à leur colère (v. 11-12) que le maître va répondre.

 

 

LES LECONS DE CETTE PARABOLE

 

1) Le maître est souverain

 

C’est lui qui appelle les ouvriers tout au long de la journée; c’est lui qui assigne à chacun la tâche qu’il doit accomplir; c’est lui qui donne à chacun sa récompense. Mais attention ! « souverain» ne signifie ni « injuste », ni « arbitraire ». Il ne fait aucun tort à ceux qui se plaignent, mais respecte les termes sur lesquels ils s’étaient mis d’accord (v.2 et 13).

 

2) Les serviteurs n’ont pas à être jaloux

 

Toutes les récompenses dans ce récit sont dues à la bonté du maître. Les ouvriers de la première heure se campent sur ce qu’ils considèrent comme un droit : ils ont oublié que si le maître ne les avait pas appelés, ils n’auraient rien eu du tout.

 

3) Travailler pour ce maître est un privilège

 

Nous trouvons chez les premiers ouvriers une attitude très semblable à celle du frère aîné dans la parabole du fils prodigue: comparez le v. 12 avec Le 15.29. Ils retiennent en mémoire «le poids du jour et la chaleur», passant sous silence tous les aspects positifs. Ils sont ingrats.

 

4) Le maître est bon

 

mendiant-3Loin de donner aux premiers ouvriers moins qu’un salaire juste, il choisit d’être généreux envers les autres. Même envers le porte-parole des premiers il reste très poli et amical (v.13), lui donnant ainsi la possibilité de changer d’attitude. Il est comme le père avec le fils aîné (Luc 15.31).

 

Jusque là nous sommes restés dans les termes de la parabole elle-même. C’est une image, bien sûr, une image de ce qui va se passer au renouvellement de toutes choses, quand le Fils de l’homme sera assis sur son trône de gloire (voir le contexte précédent, ch.19.28). C’est aussi une image de ce qui se passe déjà dans notre service pour le Seigneur. Sommes-nous par exemple jaloux d’autres chrétiens qui, à nos yeux, ont moins de « mérite » que nous, et qui reçoivent des bénédictions de la part du Seigneur ?

 

Apprenons plutôt à nous réjouir ensemble, soyons reconnaissants pour la grâce de Dieu manifestée chez les uns et les autres. Cette parabole nous invite à recevoir et à célébrer la grâce de Dieu. Elle nous incite aussi à le servir avec joie et à nous rappeler que tout ce qu’il nous donne est par grâce, sans rapport avec ce que nous percevons comme mérites respectifs des uns et des autres.

 

A.K.