interview

 

Former des disciples

 

Par MARIE CHRISTINE FAVE

M.C.Fave

 

Quand Jésus confie aux onze apôtres la mission de faire des disciples (Mt 28.19), il précise : « leur apprenant à garder tout ce que je vous ai prescrit ». Ainsi, la formation de disciples comporte un apprentissage qui va toucher bien des domaines de la vie.

 

Gérald Seed (Nantes Beaujoire), Liz et William Irwin (Nantes- Ouest), Jean-Luc Tabailloux (Grenoble, EPEGE), Charles Leroux (CEP Meylan, banlieue de Grenoble), Dominique Licciardi (Moulins) et Philippe Evan (Wittenheim) font part de leurs réflexions et de leurs vécus. Merci à chacun.

 

 

Que transmettre en priorité ?

 

Jesus-disciples

 

À cette question, Gérald et Liz répondent : « un amour pour Christ ». « Cultiver le désir de connaître le Christ, ajoute Gérald. En effet, quand on connaît le Christ, on ne peut s’empêcher de l’aimer. » William s’attache à la maturité dans la foi. Philippe et Charles visent « la capacité à étudier par soi-même l’Écriture afin d’y trouver les ressources pour progresser ». De son côté, Jean-Luc veille à ce que les personnes deviennent dépendantes de Jésus-Christ, et pas de lui.

 

 

 

Comment forment-ils ?

 

À chacun sa méthode. Philippe préfère donner un chapitre d’un livre à lire et en discuter ensuite : « La personne peut ainsi réfléchir tranquillement sans être orientée ». Quant à Gérald, Liz et William, ils utilisent des manuels comme « En Avant ». Cependant, « on a parfois enfermé la notion de discipulat dans celle de suivre un manuel, relève Gérald. On a besoin de l’élargir. Former des disciples, c’est aussi aller évangéliser avec eux, faire des activités, transmettre une envie d’aller plus loin. » De même, Dominique ne souhaite pas s’arrêter au canevas proposé dans les manuels. « Cela peut devenir très scolaire, explique-t-elle. J’élabore mes propres études. Souvent les gens viennent avec des problèmes et je pars de leurs difficultés. Je cherche à analyser le mécanisme qui a amorcé le fonctionnement de la personne. Je regarde ensuite comment le désamorcer. J’essaye aussi de voir avec la personne pourquoi elle n’arrive pas à mettre en pratique tel commandement biblique et comment faire pour changer. »

Jean-Luc se sert de manuels, de livres, d’études de textes bibliques : « Je m’adapte en fonction de là où est la personne et de ses capacités intellectuelles. Lors du premier entretien avec un jeune converti, je lui expose les grandes disciplines de la vie chrétienne (Ac 2.42) et je fais avec lui un survol de son arrière-plan et de ses relations (notamment sentimentales). J’essaye d’identifier les “valises” qui peuvent bloquer ou ralentir sa croissance, les mauvaises habitudes et les forteresses mentales. Dès le début de nos rencontres, je lui parle de service et d’évangélisation. Cela fait partie du paysage tout de suite. »

 

 

Et l’Église ?

 

« La formation, précise Charles, se situe à plusieurs niveaux dans l’Église : un accompagnement un à un, particulièrement au moment du baptême, et la prédication au culte. Si on adopte une continuité dans le choix des messages, le culte peut devenir un lieu d’enseignement systématique ». En ce qui concerne le un à un, « il est très important au début de la vie chrétienne, reconnaît Liz. Les nouveaux se sentent libres de poser des questions. »

Philippe, de son côté, met l’accent sur les petits groupes (groupes de maison). « En effet, souligne-t-il, dans une réunion qui comporte des chants et une prédication, il manque l’aspect complémentaire des relations les uns avec les autres. Le petit groupe apporte cette dimension, ainsi que le soin aux individus. Dans le petit groupe, la réflexion de l’autre va me faire réfléchir. Je vais être amené à aimer les personnes qui pensent et agissent différemment de moi. »

 

 

Une vision au pluriel

 

« Le groupe de communion dans la semaine (groupe de maison, d’activités…) est un facteur de discipulat aussi bien que le un à un, affirme Jean-Luc. On a besoin d’alter ego, de pairs. Veillons à ne pas enfermer la personne dans une relation exclusive. Le passage bien connu de 2 Timothée 2.2 mentionne en présence de beaucoup de témoins. Ces nombreux témoins, c’est le cadre de l’Église locale. Développons une vision au pluriel : on ressemble davantage à un coach qui aiguille vers des ressources là où on n’est pas un spécialiste. Ce que je ne fais pas, d’autres le font. Ce que je ne suis pas, d’autres le sont. »

 

 

En chemin

 

« Ce n’est pas facile quand on veut commencer à suivre quelqu’un, rappelle Charles. Et après : que reste-t-il ? Cette question représente pour moi un réel défi. Je suis maintenant convaincu qu’on doit être en mode interactif, qu’il faut une part d’appropriation. C’est pourquoi mon attitude consiste aujourd’hui à poser des questions plutôt qu’à donner des réponses ». Même constat de la part de William : « Je suis plus à l’écoute des gens. Les faire parler s’avère très important. »

Dans le processus de formation, disciple et formateur apprennent tous les deux. Charles établit une comparaison avec son domaine professionnel : « Quand je travaille sur une formation, je me rends compte qu’un point qui me paraissait évident doit être approfondi. Ainsi le formateur progresse aussi lors de sa préparation. Dans l’Église, certains m’ont dit : je me fortifie en enseignant les enfants. »

 

 

Des difficultés ?

 

Motivation

Côté disciples, Charles soulève le manque de persévérance : « On peut s’enthousiasmer au début d’une formation, mais c’est important de continuer. » Et Dominique est convaincue : « S’il y a une soif de vivre l’Évangile, les problèmes de disponibilité et autres sautent. »

 

Timing

Néanmoins, presque tous mentionnent le manque de temps et de disponibilité de nos concitoyens. « Aujourd’hui, c’est dur d’avoir beaucoup de temps avec quelqu’un, confie Jean-Luc. Jésus était efficace avec ses disciples : il les voyait 24 heures sur 24. Pour impacter la vie de quelqu’un, il faut être proche. »

1 h ½ à 2 h toutes les 2 ou 3 semaines, voire chaque semaine, c’est ce que les uns et les autres consacrent avec le disciple qu’ils forment. Et « le rendez- vous doit être régulier, avertit Liz. Sinon, il y aura toujours quelque chose d’autre qui va l’empêcher. » Philippe, lui, aime bien ne pas poser un cadre strict afin de prendre le temps qu’il faut pour la personne. « Pour la durée, je ne mets pas un terme. Si la personne est demandeuse, je continue. Je prends ainsi le risque d’être débordé, mais je me dis que cela vaut le coup. » On touche ici à la question des priorités. « Parfois, reconnaît Jean-Luc, nous ne voulons pas payer le prix et nous envoyons le message : je donne 1 h ½, ne me demande pas plus. »

 

Difficultés psychologiques

Quand il s’agit de suivre une personne avec des problèmes psychologiques non résolus, le temps accordé peut devenir élastique. « J’aide quelqu’un avec un arrière-plan difficile, explique William. C’est un travail à très long terme. J’essaye d’être un grand frère pour lui. Est-ce que j’observe des progrès ? Oui aujourd’hui, non demain. D’autres n’arrivent pas à se concentrer. C’est alors compliqué d’aller en profondeur. Il faut beaucoup de patience, de compassion. »

 

 

Un don ?

 

Faire des disciples nécessite-t-il un don particulier ? « Oui, pense Philippe, une certaine capacité relationnelle et un don pastoral. En effet, il faut parfois reprendre la personne, la réorienter. Cela demande de la douceur. Il faut aussi accepter la personne là où elle en est avec les erreurs commises et celles qu’elle fera ensuite. » « Le don pastoral, souligne Jean-Luc, va avoir des facilités à entrer en prise avec un besoin. Toutefois, le don d’enseignement, sans aller directement au besoin, parcourt les grands thèmes de la vie de disciple et le travail se fait. D’après 2 Timothée 2.2, pour former, il faut être fidèle et capable, ce qui n’implique pas nécessairement un cursus théologique. Là où je suis parvenu, je retransmets. »

Pour Charles, « certains ont un don particulier pour la formation, mais tout le monde a des compétences, en particulier les chrétiens mûrs. Pendant le congrès CAEF 2013, on a proposé un moment de partage sur le culte personnel entre un jeune et un aîné. Cet échange relève de la formation. La formation peut aussi être informelle. » Bref, « chacun devrait essayer de s’investir dans la vie de quelqu’un », précise Gérald. Et « c’est plus un fardeau, une sensibilité, qu’un don » ajoute Dominique.

 

 

Un coeur pour les autres

 

Former des disciples requiert « un coeur pour les autres, un amour pour les gens » comme l’expriment William et Liz. « Il faut aimer chacun individuellement, ajoute Liz. Cela demande du temps et de la patience. Il faut avoir envie de le faire. Sans passion, c’est difficile de continuer à long terme. »

 

 

Onésime, une vie impactée par l’apôtre Paul

 

L’épître à Philémon fournit des détails instructifs sur cette relation formateur-disciple. Paul rédige cette lettre avec Timothée : une occasion pour cet autre disciple de voir comment Paul gère une situation délicate. Élargir la notion de discipulat aux domaines du vécu et du faire, c’était le rappel de Gérald.

Les termes employés par Paul pour décrire Onésime sont très forts : une partie de moi-même (littéralement mes entrailles, v.12), mon enfant (v.10), un frère bien-aimé (v.16). Paul répondrait largement au critère « un coeur pour les autres ». L’attachement de Paul se manifeste aussi dans son souci pour l’avenir d’Onésime : son coeur a besoin d’être tranquillisé (v.20). Le discipulat de Paul touche à la vie pratique (retourner chez Philémon, avec peut-être même une dette). Paul s’occupe des problèmes non résolus, des « valises », de l’arrière-plan, du changement, de la réorientation comme l’ont mentionné plusieurs. Paul porte avec Onésime les conséquences de la vie passée de celui-ci (v.18 et 19). Il s’engage dans le dénouement de cette histoire : reçois-le comme moi-même (v.17) Enfin, Paul avait déjà mis Onésime au service (v.13). Cela faisait partie du paysage, dirait Jean-Luc. Le disciple Onésime est devenu utile (v.11).

Proximité, amour, soutien, exemple, confiance, conseils pastoraux, annonce de l’Évangile font partie de cette formation informelle qu’a reçue Onésime. Même si nous ne nous sentons pas au niveau de Paul et si nous n’avons pas la même disponibilité avec un Onésime, demandons-nous néanmoins : quelle vie pourrais-je impacter ?

 

 MC.F.

 

 Former des disciples, c’est une passion.   Liz Irwin

Je ne suis pas plus pro aujourd’hui qu’il y a 20 ans. Je suis un mendiant de la grâce de Dieu autant que celui qui débute.   Jean-Luc Tabailloux

 


Bibliographie utile

 

Bâtir ma vie PETER MAIDEN, EDITIONS BIBLOS, 200 PAGES, 12.00 €

 

Une vie centrée sur la croix, MAHANEY C.J., EDITIONS MINISTÈRES MULTILINGUES, 98 PAGES, 13.15 €

 

Révolution intérieure EDWARD DWIGHT, EDITIONS LA CLAIRIÈRE, 240 PAGES, 19.95 €

 

Si tu veux aller loin RALPH SHALLIS, EDITIONS FAREL, 160 PAGES, 13.00 €

 

ABC de la vie chrétienne WILLIAM MC DONALD, MAISON DE LA BIBLE, 358 PAGES, 24.00 €