Poser une toison ?

 

Par Robert Souza

 

 

« … que la toison seule reste sèche et qu’il y ait de la rosée sur le sol partout ailleurs ! »(Juges 6.39)

 

Qui n’ a jamais été tenté – dans une situation critique, devant une décision difficile – d’imiter Gédéon et « d’étaler une toison » ? Tout ne serait-il pas plus simple si nous pouvions interroger le Seigneur de cette façon et à volonté ? Avant d’investir dans l’achat d’une peau de mouton, prenons un instant pour regarder de plus près l’expérience de ce héros de la foi…
 
 
 
 
 
 
L’aventure de Gédéon s’inscrit dans cette période sombre de l’histoire d’Israël qu’on appelle l’époque des juges. Lorsque l’ange de l’Éternel surprend le jeune homme qui s’escrime à vanner du blé dans le pressoir, son peuple est au fond du gouffre. Sept longues années d’oppression aux mains des Madianites ont brisé l’esprit des Israélites. L’explication humaine de cette situation est que ces ennemis féroces profitent de leur « avance technologique » : ils ont réussi à domestiquer des chameaux pour en faire des montures, ce qui leur a permis d’inventer la razzia. Ils arrivent si vite et si nombreux que les Israélites n’ont jamais le temps de s’organiser ou de réagir. L’explication spirituelle de cet état de choses est autre : Israël subit le jugement de Dieu sur son infidélité, son idolâtrie. Mais le Seigneur a entendu les cris de son peuple affaibli et va susciter un meneur pour bousculer le statu quo, rétablir le culte de l’Éternel et secouer le joug des Madianites.
 
Dieu appelle Gédéon et lui accorde un premier signe en faisant sortir du feu du rocher pour consumer son offrande. Fort de cette expérience, qu’on peut voir comme le renouvellement de l’alliance de l’Éternel avec Israël, le jeune homme trouvera le courage de s’attaquer aux symboles du culte idolâtre : il démolit l’autel du Baal, abat le poteau cultuel appelé « ashéra », construit un autel tout neuf en l’honneur du seul vrai Dieu et y offre un sacrifice. Avec le soutien de son père, Gédéon réussit à imposer cette réorientation spirituelle aux gens du voisinage. C’est une première victoire.
 
Ensuite, les choses se corsent… Les Madianites et leurs alliés viennent tranquillement s’installer, pour la huitième année consécutive, dans la vallée de Jizréel. Ils se préparent à fondre sur le pays. C’est à ce point du récit que l’auteur inspiré introduit deux précisions importantes… sur lesquelles le lecteur moderne passe trop facilement. D’abord, il écrit que Gédéon fut revêtu du souffle du Seigneur. Brian Tidiman commente : « Ce n’est pas Gédéon qui revêt l’Esprit telle une armure, c’est l’Esprit qui enveloppe le chef militaire comme un vêtement afin d’en faire son instrument.

Rien ne semble lui manquer pour engager le combat. 1 » Rien… sinon une armée ! Et c’est là que nous est donnée une deuxième précision : la convocation publiée par Gédéon a mobilisé bon nombre de ses compatriotes de la partie nord du pays. Il n’est plus seul.

 
Et c’est à ce moment-là que Gédéon abat sa peau de mouton… et donne le top départ à une discussion qui n’est pas près de s’arrêter ! A-t-il manqué de foi, oui ou non ? A-t-il eu raison ou tort d’agir de la sorte ? Et, bien sûr, nous est-il permis de l’imiter ? N’allons pas trop vite… Gédéon semble avoir tout ce qu’il faut : l’appel de Dieu, l’Esprit de Dieu, des compagnons prêts à se battre. Pourtant, il lui manque quelque chose d’essentiel : la reconnaissance de ses pairs. Ce n’est pas parce qu’il sait sonner de la trompette qu’on va accepter de le suivre dans une expédition militaire à haut risque ! Il dit que l’Éternel est avec lui ? Qu’il le prouve !
 
 
Gédéon n’est pas pris au dépourvu. Il a déjà réfléchi à la question : il se trouve justement qu’il a une toison de mouton sous la main ! Le sens du signe demandé est dans ce début de phrase : Si tu veux sauver Israël par moi, comme tu l’as dit… Les détails sont choisis avec soin. L’essorage de la toison pour en sortir un plein bol d’eau est un geste théâtral, visible de loin par des hommes nombreux massés autour de l’aire. Voilà un beau signe !
 
Ensuite, qui a douté ? Gédéon ? Les hommes qui l’avaient rejoint ? Une forte tête qui aurait voulu être juge à la place du juge ? Le récit ne le précise pas. Il y a peut-être eu des murmures : « Tout le monde sait que la laine retient l’eau tandis que le rocher sèche aux premiers rayons du soleil levant ! » Lorsque Gédéon demande un dernier signe en confirmation, on le sent hésitant, craintif même. Il s’exprime comme Abraham l’a fait lorsqu’il intercédait pour Sodome : Ne te mets pas en colère contre moi… je ne parlerai plus que cette fois. Pour ce qui est de la crainte de l’Éternel, Gédéon a une longueur d’avance sur ses compagnons. N’est-il pas écrit dans la loi : Vous ne provoquerez pas le SEIGNEUR, votre Dieu2 ? Mais le Seigneur dans sa grâce accède à la demande de son nouveau serviteur – et ce qui n’était jusque-là qu’un rassemblement hétéroclite de guerriers peut être désigné désormais comme Gédéon… et toute sa troupe (7.1) !3
 
Quelles analogies nous permettraient de tirer édification de l’histoire de Gédéon ? Si nous avons bien décrypté le récit, la toison est avant tout le signe que Dieu reconnaît Gédéon comme le sauveur (à petite échelle et pour un temps) qu’il a désigné pour délivrer son peuple. De ce point de vue, la toison renvoie aux miracles qui ont marqué le ministère de Jésus et, en particulier, au « signe de Jonas », sa victoire sur le « dernier ennemi » : il a été déclaré Fils de Dieu avec puissance… par sa résurrection d’entre les morts4. Jésus est le Sauveur désigné par Dieu, pour toute l’humanité et pour tout temps. Nous n’en attendons pas d’autre – dans ce sens, il n’y aura plus d’autre « toison ».
 
Le parcours de Gédéon reste, néanmoins, un exemple intéressant de vie vécue par la foi (il est cité à ce titre dans Hébreux 11). Son expérience de la découverte de la volonté de Dieu ne commence pas par la toison, mais par l’écoute : le Seigneur l’appelle, lui parle, se révèle à lui. Ensuite, Gédéon accepte de faire ce qu’il peut avec les moyens dont il dispose. Il s’occupe de l’autel de Baal et le Seigneur honore son courage. Le soutien inattendu de son père est aussi un « signe » qu’il est sur la bonne voie. Après cela, Dieu juge que Gédéon est prêt pour une mission de plus grande envergure. Il le revêt de son Esprit et lui envoie des renforts. Bien avant l’incident de la toison, Gédéon s’est engagé à marcher dans la volonté de Dieu. Dans ces conditions, celui qui marche par la foi reçoit les signes en confirmation dont il a besoin.
 
Si nous avançons courageusement dans la direction que Dieu nous indique, il nous encouragera de toutes sortes de manières et nous pouvons avoir confiance qu’il saura lever, les uns après les autres, les verrous qui semblent nous barrer la route. Il n’y a pas de « technique » pour découvrir la volonté de Dieu. Le « secret » est de cheminer avec lui, les yeux, les oreilles et le coeur grand ouverts.
 
 
« Mes frères, considérez comme un sujet de joie complète les diverses épreuves que vous pouvez rencontrer, sachant que la mise à l’épreuve de votre foi produit la patience. Mais il faut que la patience accomplisse une oeuvre parfaite, afin que vous soyez parfaits et accomplis, et qu’il ne vous manque rien. » (Jacques 1.2-4)
 
R.S.
 
 

NOTES
 
 
1. Le livre des Juges, Édifac, 2004, p. 168
 
 
2. Deutéronome 6.16
 
 
3. cf. Exode 4.1-9 et les signes accordés à Moïse pour lui permettre d’établir son autorité.
 
 
4. Romains 1.4