Dieu dans l’Ancien Testament1

 

par Reynald KOZYCKI

 Reynald Kozycki

 

Dans un contexte de polythéisme et d’idolâtrie, le Dieu de l’Ancien Testament se dévoile avant tout comme l’Unique. En regardant de plus près, on découvre que cette unicité n’exclut pas une certaine pluralité et laisse présager la tri-unité de Dieu.

 

 

 

 

 

Le Dieu unique

 

De la première à la dernière page, la Bible proclame l’existence d’un seul Dieu. La religion biblique est donc foncièrement monothéiste. L’affirmation du Dieu unique est reprise très fréquemment dans l’Ancien Testament. Par exemple en Es 44.6, 2 Rois 19.15 et Es 37.16. L’enseignement biblique est parfaitement clair : il n’y a qu’un seul Dieu. Mais dans ces passages qui appuient l’unicité de Dieu, figure le mot hébreu « Elohim », pluriel d’Eloah = Dieu.

 

 

Un pluriel pour le Dieu unique !

 

Le mot « Elohim » apparaît au tout début du livre de la Genèse (1.1) : « Au commencement Dieu créa… ». La traduction littérale donne : « Bereshit » (au commencement) bara (créa verbe au singulier) Elohim (pluriel de Eloah ‘Dieu’ = Dieux). Ce qui a intrigué les interprètes, c’est que le verbe est au singulier avec un sujet au pluriel. On peut admettre qu’il s’agisse d’un pluriel de majesté même si, ni Moïse, ni le pharaon, ni les prophètes, ni Néboukadnetsar, ni David n’utilisent un « nous » de majesté. L’hébreu utilise parfois le pluriel pour décrire certaines idées comme la jeunesse, l’expiation …2

 

Le pluriel est à nouveau utilisé lorsque l’Eternel délibère : « Dieu dit : Faisons l’homme à notre image selon notre ressemblance… » (Gn 1.26 ; voir aussi Gen 11.7 ; Es 6.8). Ce pluriel de « délibération » ne peut pas s’expliquer par un « pluriel de majesté ». Il est plutôt une affirmation discrète de la pluralité en Dieu.

 

 

Les « Créateurs »

 

trinite-2Malachie 2.10 affirme qu’un seul Dieu nous a créés. Cela est confirmé par la déclaration en Es 44.24 : « … Moi, l’Éternel, je fais toutes choses, seul je déploie les cieux, de moi-même j’étends la terre ». Cependant, l’Ancien Testament parle aussi de « créateurs », au pluriel.

 

Au Ps 149.2 : « Qu’Israël se réjouisse en celui qui l’a fait ! » Traduction littérale : ishema (qu’il se réjouisse) Israël (Israël) beòsaiv (les créateurs de toi). En Ecclésiaste 12.1 : « Mais souviens-toi de ton créateur. » Traduction littérale : ouzecor (souviens-toi) et (particule de l’accusatif) boreéiqa (les créateurs de toi). Le pluriel appliqué à Dieu et au Créateur plaide pour l’existence d’une pluri-personnalité au sein de l’unique divinité.

 

La personnification de la sagesse en Proverbes 8 suggère aussi une différence dans la divinité. Cette sagesse était le maître d’oeuvre de la création3, elle est d’origine éternelle.

 

Selon le Psaume 33.6 « Les cieux ont été faits par la parole de l’Eternel, et toute leur armée par le souffle de sa bouche. » La Parole de l’Eternel apparaît ici comme une personne créatrice. Les expressions «Parole de l’Eternel» et « Parole de Dieu » se trouvent 222 fois dans l’Ancien Testament.

 

La puissance créatrice de l’Esprit apparaît dans le texte d’Ezéchiel 37.9 : « … Tu diras à l’Esprit : Ainsi parle le Seigneur, l’Éternel : Esprit, viens des quatre vents, souffle sur ces morts, et qu’ils revivent ! » On trouve 12 fois l’expression « Esprit de Dieu » et 22 fois l’expression « Esprit de l’Eternel » dans l’Ancien Testament. Celui-ci attribue à cet Esprit les caractéristiques d’une personne.

 

En effet, cet Esprit peut, non seulement créer comme nous l’avons vu plus haut (Jb 33.4 ; Ez 37.9), mais aussi exercer les activités suivantes – qui sont celles d’une personne : parler (2 S 23.2), transporter quelqu’un (1 R 18.12, 16 ; Ez 11.24), saisir (2 Ch 20.14), agiter (Jg 13.15), mettre en fuite (Es 59.9), s’emparer de quelqu’un (Jg 14.6 ; 14.19 ; 15.14, 1 S 11.6), revêtir quelqu’un (2 Ch 24.20), faire revivre (Ez37.9), conduire (Ps 143.10), inspirer des paroles (Nb 24.2-3), il peut être attristé (Es 63.10).

 

Le Dieu Créateur est appelé « Père » en Mal 2.10. Il est appelé « Parole de l’Eternel » au Ps 33.6 et Esprit de Dieu en Job 33.4. Il faut en conclure que la Création est l’oeuvre, à la fois du Père, de sa Parole et de l’Esprit.

 

 

L’ange de l’Eternel, le Messie

 

Ces deux personnes ont un statut très particulier dans l’Ancien Testament :

 

L’ange de l’Eternel est souvent mis en équivalence à Dieu. Cet ange, par exemple, lutte contre Jacob au gué du Jabbok et n’est autre que l’Eternel lui-même. Il apparaît à Moïse dans le buisson ardent (Ex 3.2), il conduit Israël dans le désert avec le pouvoir de pardonner les péchés et porte le nom de l’Eternel (Ex 23.20-23). La liste serait longue (Gen 16.6-13 ; 22.11-19; Jug 6.11-24; Zach 1.8-12…).

 

Le Messie attendu est associé à la divinité. Au Ps 45.8 il est fait allusion à deux personnes divines : « C’est pourquoi Dieu, ton Dieu, t’a conféré une onction d’huile de gaieté ». Le ps 110.1 est du même ordre : « Oracle de l’E­ternel à mon Seigneur : Assieds-toi à ma droite, jusqu’à ce que je fasse de tes ennemis ton marchepied ». En Esaïe 7.14 et 9.5 le Messie sera « Dieu avec nous », ou le « Dieu-héros, merveille de conseiller, Père d’éternité ». Le Messie-Roi de Daniel 7.13-14, appelé le Fils de l’homme, est associé directement à l’Ancien des jours. Sa domination sera éternelle.

 

 

Le Dieu « un » et communicant

 

La pluralité de Dieu ne s’oppose-t-elle pas à son unité de Dieu ? Nous lisons en Deut 6.4 : « Ecoute, Israël ! L’Éternel, notre Dieu, l’Éternel est un. » La traduction littérale de ce texte est : shema écoute) israël (Israël) YHVH (l’Eternel) elohénou (nos dieux) YHVH (l’Eternel) éhad (un).

L’adjectif « éhad » signifie « un, unifiant » dans une unité composée et n’a pas la signification de « unique ».

 

On le rencontre dans les passages suivants : Gn 1.5 ; Gn 2.24 ; Gn 11.1 ; Jg6.16 ; 1 S 11.7 ;Esd3.1 ; Jr 32.39 ; Ez 37.17. L’adjectif « éhad » traduit donc l’unité, l’union et non le caractère unique ou unicité. Pour exprimer l’unicité, l’isolement, la solitude, l’hébreu utilise l’adjectif « iahid » (Gn22.2 ; 22.16 ;Jg 11.34 ;Pr4.3 ; Jr 6.26 ; Am 8.10 ; Za 12.10). Il est aussi utilisé pour désigner l’ « unique » âme (Ps 20.21 ; 35.17) ou l’état « solitaire » ou « abandonné » (Ps 25.16 ; 68.7). Il n’est jamais utilisé pour désigner la nature divine. Par contre, l’adjectif « éhad » seul est même utilisé pour désigner le Créateur : « Celui qui m’a formé dans le ventre de ma mère ne les a-t-il pas formés aussi ? Un seul ne nous a-t-il pas placés dans le sein maternel ? » (Jb 31.15).

 

 

Les dialogues mentionnés plus haut montrent clairement qu’une des caractéristiques de Dieu est son caractère communicatif. Il est aussi décrit comme étant le Dieu d’amour (Es 54.8 ; Jér 31.3). Il est donc nécessaire que Dieu ait un vis-à-vis à aimer et avec qui communiquer. Sans vis-à-vis, Dieu serait incapable d’exercer ses attributs de communication et d’amour. Il lui manquerait donc quelque chose et ne serait alors pas Dieu.

 

Le vis-à-vis de Dieu Père, doit être éternel comme lui-même. De ce fait, il possède la nature divine. La Bible l’appelle « Fils » (Ps 2.7 ; Pr 30.4) pour souligner sa consubstantialité avec le Père4. Le lien d’amour qui unit le Père au Fils est aussi divin et éternel que le Père et le Fils, c’est le Saint-Esprit.

 

 

Conclusion

 

L’Ancien Testament appuie fortement qu’il y a un seul et unique Dieu. Mais, en observant de plus près certains textes, on découvre que la nature de Dieu porte en elle une certaine pluralité. Il serait erroné de formuler clairement la trinité à partir de l’Ancien Testament. Le Nouveau Testament apportera plus de lumière sur cette pensée et les pères de l’Eglise la formuleront vers 180 par Ignace d’Antioche et par les Conciles de Nicée et Constantinople).

 

R.K.


NOTES

 

1. Adapté d’un article de Robert Schroeder, « Le Dieu unique est-il un ? » paru dans le journal « Le Berger d’Israël ». Nous n’en suivons toutefois pas tout l’argumentaire.


2. La jeunesse (ne’rim), l’expiation (kipurim)…

 

3. Henri Blocher, « Trinité », Grand dictionnaire de la Bible, Exclesis, 2004.

 

4. Ici, il faut simplement rappeler que le Père n’est pas antérieur au Fils. On n’est Père que s’il y a un Fils : Père et Fils sont donc synchrones.