La déclaration de Chicago sur l’inerrance

 

interview

 

 

ENTRETIEN AVEC M. HENRI BLOCHER – PROPOS RECUEILLIS PAR REYNALD KOZYCKI

 

 
 
 

 

SERVIR : Vous avez participé à la rédaction de la déclaration de Chicago, quels souvenirs marquants vous viennent à l’esprit ?

 
 
 
 
Henri BLOCHER : J’ai participé à la grande réunion sans faire partie du noyau de « l’état major », de ceux qui ont vraiment assumé la tâche rédactionnelle. J’étais dans ce conseil international, parmi les quelques continentaux, le gros de la troupe était anglo-saxonne… Dans les souvenirs qui m’ont marqués, je dirai quelques mots sur le revirement de James PACKER quelques années avant la déclaration de 1978.
 
J’ai fait partie en 1965 d’un colloque, sur le campus de Gordon, j’étais le plus jeune parmi les 40 ou 50 participants. Pendant près de 15 jours on a parlé de l’inerrance de la Bible, avec très nettement deux camps qui se sont opposés : des Évangéliques assez bien représentés par les professeurs de Fuller qui s’opposaient à la pensée de l’inerrance et d’autres théologiens qui maintenaient l’inerrance. Je pense que celui qui maintenait cette position avec le plus de lucidité, d’habilité, de distinction, était Edmund CLOWNEY. C’est de là que date notre relation. J’avais été très surpris, un petit peu déçu je dois le dire, par l’attitude des anglais dont James PACKER. Ils avaient adopté une attitude de retrait, ne voulant pas se mouiller dans le combat comme si c’était une question qui ne concernait que les américains. James PACKER, bien qu’il ait écrit son livre sur le sujet bien auparavant, n’avait pas pris parti très clairement pour l’inerrance. Suite à ce colloque à Gordon, dans les années qui ont suivi, il a, me semble-t-il, pris conscience de l’importance de ce combat théologique et de ses enjeux et il a pris fermement position pour l’affirmation de l’inerrance. Il est devenu par la suite le principal rédacteur de la déclaration de Chicago.
 
 
L’autre élément que je peux signaler dans la préparation de la déclaration de Chicago, c’est la pression assez forte de la part des « créationnistes » pour que leur position soit affirmée. Le comité responsable a su résister à cette pression et laisser une interprétation assez libre de la Genèse. Les articles, tels qu’ils sont écrits, rendent tout à fait possible une lecture autre que littéraliste de Genèse 1.3.

 

 

 

L’inerrance

 
SERVIR : Comment, en quelques phrases simples, définiriez- vous l’inerrance ?
 
 
 
Henri BLOCHER : L’inerrance se définit très simplement par l’absence d’erreur dans toute affirmation faite par un auteur biblique inspiré. Aucune erreur n’a été commise par l’auteur quant à la vérité de son dire. Ce que je peux ajouter en commentaire – c’est la pointe à mes yeux -, c’est l’affirmation de la vérité biblique, de la fiabilité et, par voix de conséquence, de l’autorité biblique. Certaines personnes ‘non inerrantistes’ peuvent affirmer que la Bible est globalement vraie, mais pas dans le détail de toutes ses affirmations. L’inerrance, par contre, est la position qui reconnaît cette vérité jusqu’aux détails et qui affirme cette vérité de la manière la plus pointue. Cette vérité, c’est l’équivalent de la fiabilité. Je peux me confier dans ce que dit l’auteur biblique sans réserve et, du coup, je reconnais son autorité entièrement comme autorité de l’Esprit de Dieu parlant par l’auteur. Ce qui me convainc d’affirmer l’inerrance c’est que je trouve impossible d’affirmer cette vérité, cette fiabilité, cette autorité, si je dis qu’il y a une erreur. En affirmant qu’il y a erreur sur un point précis, je ne me soumets plus à l’autorité, j’élève mon autorité au-dessus de ce que dit l’auteur biblique. Il me semble tout à fait « schizophrénique » de dire : « Je reconnais l’autorité », et en même temps de dire « Il y a une erreur dans la Bible ». Donc je définis cette inerrance comme l’affirmation « jusqu’à la pointe » de la vérité, de la fiabilité et de l’autorité biblique. Ce n’est pas autre chose que cette vérité affirmée jusqu’au bout.
 
 
 
SERVIR :  Y a-t-il des limites à cette inerrance ?
 
 
 
Henri BLOCHER : A mon avis aucune des limites ne représente un moins qui affecterait en quelque sorte l’affirmation de l’inerrance. C’est simplement l’explicitation d’une notion rigoureuse, clairement pensée, de ce que je viens d’affirmer : la vérité entière, jusque dans le détail. Toutes les délimitations qu’on doit faire à cause de certains malentendus ne représentent que des explicitations de ce qui devrait aller de soi pour toute personne intelligente. On pourrait néanmoins donner quatre délimitations :
 
 
 
  • L’inerrance concerne ce qu’a dit l’auteur biblique et non pas mon interprétation. Si je fais erreur à propos de ce qu’il a dit, bien évidemment l’inerrance ne couvre pas mon erreur.

 

  • L’inerrance ne couvre pas les erreurs que le copiste a pu commettre. C’est l’inerrance de ce que l’auteur inspiré a dit (selon les conventions de son langage) et non pas de ce que les copistes ont écrit.

 

  • Le genre littéraire, dans ses conventions de langage, doit aussi être pris en compte, les tournures imagées, l’usage tout à fait légitime des chiffres ronds, certaines inversions de l’ordre chronologique… Mais ce n’est pas retiret quelque chose à l’inerrance, ce n’est qu’une clarification.

 

  • Un dernier point : on ne parlera pas d’erreur lorsqu’il ne s’agit que d’irrégularités par rapport à des conventions variables. Par exemple : la grammaire est une convention humaine variable. Il y a des choses qu’on pouvait dire au 17e siècle ou qu’on peut dire encore en Suisse Romande – par exemple « lui aider » – qui ne se diront pas en français actuel en France. Cela ne touche pas à la vérité du dire. Que les auteurs bibliques aient pu dire des « erreurs », par rapport à des normes grammaticales, à une certaine époque, cela entre plutôt dans les « irrégularités » par rapport aux conventions variables et ne touchent pas à l’inerrance. Ces délimitations n’enlèvent pas un atome de son poids à la notion d’inerrance.

 

 

SERVIR :   En quelques mots, comment l’inerrance a-t-elle été comprise dans les siècles passés ?

 

 

Henri BLOCHER : A mon avis, l’inerrance a été la conviction constante des Pères de l’Église bien que le mot n’ait pas été utilisé. St-Augustin a été parfaitement clair (Épître 82) lorsqu’il pose la question : « Qu’est-ce que je fais si je trouve une erreur dans la Bible ? ». Il exclut d’imputer une erreur aux textes. Cette conviction a été constante dans l’histoire chrétienne. En ce qui concerne les réformateurs, je pense l’avoir démontré dans un article en ce qui concerne Luther, jamais il n’impute une erreur à un auteur inspiré. Plusieurs thèses de doctorat ont prouvé que Calvin maintenait clairement cette conviction.

 

Aux temps modernes ou au Moyen-Age, très marginalement, quelques auteurs ont fait de certaines inconséquences sur ce point. Matthew HENRY le grand commentateur biblique du 18e a pris une position qui n’est pas clairement inerrantiste. Au début du 20e siècle, on ne peut pas le nier, l’écossais James ORR, qui a été un grand défenseur de l’autorité biblique et l’un des rédacteurs des Fundamentals a lâché du lest sur l’inerrance, mais, dans l’ensemble, le relâchement était très marginal. Ce sont les catholiques qui ont employé les premiers, du moins du côté français, le mot inerrance. L’encyclique de Léon XIII en 1893 « Providentissimus deus » va aussi loin que les inerrantistes les plus stricts du côté évangélique, et même avec un ton plus crispé. Cela a été une position qui ne s’est relâchée qu’à partir de 1943 avec l’encyclique de Pie XII « Divino Afflante Spiritu ». Ce texte montrait qu’il fallait user de souplesse, sans contester l’inerrance, et cette encyclique a été prise comme une sorte d’autorisation de pratiquer la « critique biblique » dans une perspective non inerrantiste. Vatican II a d’ailleurs une formulation délibérément ambiguë.

 

 

 

Bible et mythes

 

SERVIR : Dans les médias, la Bible est souvent présentée comme un récit très « mythique ». Des archéologues très contestataires sur l’autorité de la Bible comme Israël FINKELSTEIN ont un grand succès en France. En quelques mots, comment répondriez-vous à ces critiques ?

 

 

Henri BLOCHER : Je répondrai en m’appuyant sur l’autorité de collègues, qui s’y connaissent plus que moi dans le domaine de l’archéologie. Je dirai d’abord qu’il ne faut surtout pas se laisser impressionner ou intimider.

 

Ces thèses sont réellement infondées, il y a aussi des archéologues qui ont tous les titres voulus, qui rejettent entièrement ces thèses très négatives sur l’histoire biblique. A l’université américaine de Weathon où j’ai enseigné, il y a un département d’archéologie biblique développé avec des professeurs qui passent une partie de l’année sur des chantiers de fouilles qui ne sont absolument pas d’accord avec les thèses de FINKELSTEIN (on pourrait parler de l’université de Trinity aussi ou de l’égyptologue anglais Kenneth KITCHEN). L’ouvrage de KITCHEN, On the Reliability of the Old Testament, 2003 – commenté par Matthieu RICHELLE dans notre revue Théologie Évangélique – a été accueilli bien au-delà des milieux évangéliques et dans les cercles archéologiques.

 

Les thèses de FINKELSTEIN sont l’illustration de la difficulté du travail historique et de l’interprétation archéologique reposant sur une documentation très fragmentaire. Nous n’avons que des « traces » à propos de l’histoire ancienne. On peut faire dire à ces documents fragmentaires un peu ce qu’on veut, selon les présupposés qu’on y apporte. Un esprit intelligent qui s’informe, peut toujours tordre les données et présenter un exposé qui a une allure académique, en apparence bien fondé. A mon avis nous avons, avec FINKELSTEIN, quelque chose qui ressemble méthodologiquement au négationnisme par rapport à la Shoah.

 

 

SERVIR : Merci !