La Bible à l’UNESCO : Extraits de tables rondes

 

 

 

Par SERVIR

 

 

 

Table ronde «Regards croisés sur la Bible »

Animée par Ivan LEVAÏ, journaliste à France Inter; Rachid BENZINE, islamologue, chercheur à l’IEP d’Aix-en-Provence ; Michel SANTIER, évêque catholique ; Louis SCHWEITZER, pasteur évangélique, membre du comité consultatif national d’éthique, René Samuel SIRAT, grand rabbin, directeur de la chaire « Connaissance réciproque des religions du Livre et enseignement de la Paix » à l’UNESCO ; Marc DELAUNAY, professeur de philosophie à l’École Normale Supérieure (Ulm).

 

 

 

Ivan Levaï

 

Je vais demander à chacune des personnalités présentes de nous dire ce qu’a été son approche des textes sacrés, Bible ou Coran, et de lever le voile sur leur origine, non pas pour céder à je ne sais quel voyeurisme, mais pour répondre à la question importante : qui me parle ? Pour ce qui me concerne, l’histoire de l’Europe fait que je suis un mouton à trois pattes. J’appartiens à trois religions à la fois. Il me manque l’islam. Ma mère a été juive. Donc je suis juif, incontestablement. Mais il se trouve que je suis né à une époque où il ne faisait pas bon d’être juif. Ma mère, prudente, m’a emmené en France juste à temps (de Budapest), et a pris soin de me faire baptiser catholique. J’ai été recueilli par des protestants. Ma confirmation s’est faite dans l’Église réformée, par libre choix. Et la Bible ? Mes enfants sont juifs, j’ai enseigné à l’école du dimanche et j’ai donc approfondi les deux Testaments

 

 

Louis Schweitzer,

 
[…] Ma formation s’est faite à plusieurs étages : c’est à l’école du dimanche que j’ai reçu les enseignements bibliques, j’ai reçu ainsi une familiarité avec la Bible. J’en suis sorti avec l’impression très forte de connaître la Bible. Je me sentais très protestant et très fier de l’être, pas forcément croyant. Je me suis passionné ensuite pour les religions. Puis à l’université, en étudiant la médecine, j’ai rencontré des étudiants des Groupes Bibliques Universitaires. Je les trouvais très sympathiques, mais un peu « timbrés », prenant le texte vraiment au sérieux. Pour moi, il fallait prendre une certaine distance avec le texte. Après un certain temps, il s’est passé quelque chose d’étonnant pour moi quand je me suis rendu compte que, soit ils avaient raison, soit ils avaient torts. La Bible parlait par exemple de Dieu, et eux ils croyaient en lui, la Bible parlait de la prière, ils priaient, elle parlait de Jésus ressuscité, ils y croyaient vraiment. Si donc ils avaient tort, il valait mieux partir et ne pas perdre son temps, s’ils avaient raison : cela méritait plus que ça. C’est à ce moment que j’ai vécu ce qu’on appelle une conversion, en faisant le choix de prendre moi aussi au sérieux ce texte. Je me suis tourné après cela vers la théologie. Puis je me suis retrouvé pasteur de paroisse avec la possibilité de partager, prêcher et enseigner les Écritures…
 

 

Marc Delaunay,

 

Je n’ai pas l’habitude de me retrouver devant un public aussi considérable lorsqu’il s’agit de parler de la Bible, en général plutôt réservé à très peu de jeunes (lesquels ont pour la plupart perdu leur lien avec la Bible). Je suis né et j’ai grandi dans un pays musulman, ma mère était protestante et mon père catholique. J’ai vécu dans une ambiance familiale où les deux partis avaient l’intention de refaire la Réforme et la Contre-Réforme avec ténacité de part et d’autre. C’est une famille juive qui a façonné mon éducation intellectuelle. On comprend bien qu’après ce périple à travers 4monothéismes et deux variantes du christianisme, j’ai choisi tout naturellement la philosophie. J’ai eu tout à fait tort, car, en croyant trouver un certain rapport apaisé au texte sacré, c’est évidemment le contraire qu’on y rencontre. En commençant avec Philon qui a voulu nouer le premier des liens entre la philosophie et le monde romain. Si on poursuit plus avant, on n’en finira pas d’égrener les noms de ceux qui, en philosophie, ont parlé de la Bible, l’ont commentée, se sont appuyé sur ces textes, notamment les Pères de l’Église, Augustin, en prolongeant par Thomas d’Aquin, mais aussi Maïmonide, Spinoza, Kant, Hegel, Nietzsche, Schelling, Levinas, Derrida, Ricoeur… La philosophie n’a pas fini de tisser des liens, parfois complexes, avec les textes sacrés. Beaucoup de philosophes (pas tous) convoquent le texte biblique, le citent et le commentent, mais on s’aperçoit qu’en réalité ils le font pour servir leur propre fin argumentative, en mettant entre parenthèses la « textualité du texte sacré ». Ils se donnent bon droit de citer l’Ancien et le Nouveau Testament, comme d’ailleurs ils se donnent le droit de parler de la peinture, de telle manière que les tableaux, sous leur analyse, cessent d’être des oeuvres artistiques

 

 

 

Table ronde « La Bible un outil pédagogique »

Animée par Matthieu ARNÉRA, chef de projet de l’exposition pour l’Alliance biblique française, avec Dominique BORNE, inspecteur général de l’Éducation Nationale de 1988 à 2005,président de l’Institut européen en sciences des religions, Isabelle RENAUD-CHAMSKA, docteur d’État ès lettres et sciences humaines, agrégée de grammaire, enseignante de lettres en collège, auteur, Patrice ROLIN, docteur en théologie, bibliste, membre du comité de rédaction de l’exposition
 

Dominique Borne, […]

 
Les programmes des 6es et des 2ndes, entre autres, incluent des cours bibliques en histoire et en français (naissance du christianisme, étude de textes autour de la Méditerranée, etc.). La Bible continue à nous inspirer. Et l’on peut s’en inspirer de manière humaniste. Ainsi, la Bible n’appartient ni aux rabbins, ni aux curés… Elle appartient à tous. À priori, tout ce qui provoque la réflexion est utile et nécessaire. J’invite donc un maximum de gens à venir visiter cette exposition.
 
[…] La France est le pays le plus sécularisé au monde (au moins l’un des pays). Les sociologues estiment que quand on pose une question du style : « Estce que vous vous rattachez à une religion ? », en France environ 50 % disent oui, aux États-Unis c’est 95 %. C’est de cet ordre de différence. La pratique religieuse s’est effondrée dans toutes les religions, y compris dans l’islam, où environ 6 ou 7 % pratiquent réellement leur religion. On est dans un monde où nous avons besoin de « croyances », de symboles, de spiritualité (y compris laïque). On vit dans un monde où les idéologies, pour de nombreuses raisons, se sont cassé la figure. Jusque dans les années 1980, les milieux de l’Éducation Nationale, que je connais bien, croyaient à un certain progrès de l’humanité, un peu dans le cycle des Lumières. Ce n’est plus vrai maintenant, il y a beaucoup moins d’optimisme, la crise s’ajoutant. C’est vrai que quelque chose de symbolique, de spirituel, réapparait… Le travail que je mène, c’est d’essayer de transmettre tout le substrat humaniste et spirituel d’où nous venons, et qui est extraordinairement varié. Nous venons du logos grec, nous venons de la Bible, nous venons aussi de l’islam qui a été européen très largement, nous venons du judaïsme […] Nous avons besoin d’un ressourcement qui fournisse des symboles à travers un tableau de Botticelli, un texte de Racine, ou le texte de la Bible. […] Sans ressourcement on ne peut pas aller de l’avant.
 

 

Isabelle Renaud-Chamska

 
Je peux ajouter que les enfants ont absolument besoin de cela, ils le réclament à cor et à cri. Pas forcément de « connaissance », mais d’un monde symbolique de plus en plus riche, sans quoi ils sont perdus dans cette société de consommation. Ils sentent bien qu’ils ont envie de jeux vidéo, de chaussures de marque, mais en même temps ils ont besoin d’autre chose. […] Cela fait deux ans que je consacre quatre mois de mon programme à la découverte de la Bible. Ainsi, c’est la deuxième fois qu’à la rentrée je demande aux élèves d’apporter une Bible de chez eux. Ce qui provoque des problèmes idéologiques, financiers, et de poids dans le cartable. Malgré ça, je tiens bon et ai réussi à faire comprendre aux parents l’intérêt de cet apprentissage. […]
 
 

NOTES

 

1. Parmi les organisateurs, Reynald Kozycki a pris quelques notes à partir des différents enregistrements. Pour plus d’informations : Voir le site internet de l’Alliance Biblique Française, notamment la présentation de l’expo-Bible faite à l’UNESCO :